C’est L’Est Éclair qui nous l’apprend le 16 octobre 2014 : « 8 500 € : le coût de la conférence de François Lenglet fait jaser ».
« Le journaliste François Lenglet est attendu au centre des congrès, à Troyes, jeudi 4 décembre. Il sera l’invité de marque de la 10e édition de la Magic Business, organisée par l’association Le Cercle des services. Durant une heure, François Lenglet livrera ses analyses autour du thème : industrie-service : le match du siècle ». Pour la conférence du siècle ?
La plaquette de présentation de l’événement nous en apprend davantage sur la « Magic Business » : « Un événement 100% professionnel au cours duquel les acteurs du département pourront faire valoir leur savoir-faire et compétences. Une opération unique, intégralement dédiée à des rencontres « Business & Convivialité », qui favorisera les échanges entre entrepreneurs, les synergies et les signatures de nouvelles affaires. Une grande soirée prestige ». Voilà qui, chacun l’avouera, est conforme au métier de journaliste.
Rédacteur en chef du service France au sein de la rédaction de France 2, animateur du magazine hebdomadaire « L’angle éco » sur cette même chaîne, chroniqueur au Point et animateur d’une chronique économique quotidienne le matin sur RTL, François Lenglet est surtout connu pour ses interventions dans le Journaux télévisés et dans les émissions de débat politique de France 2. Spécialiste des questions économiques, il a donc décidé de se mettre au service d’une initiative du « monde de l’entreprise » et de répondre à cette épineuse question : « Faut-il à tout prix réindustrialiser la France (si jamais elle s’est désindustrialisée !) ou faut-il tout miser sur les services de plus en plus qualitatifs et laisser d’autres pays produire compte tenu de leurs coûts plus bas ? » (sic) [1]. Coût de la prestation : 8 500 euros hors taxes, financés en partie par de l’argent public. En effet, selon L’Est Éclair, « pour que la fête soit belle, Le Cercle des services se base sur un budget prévisionnel de 70 000 € hors taxes. Une somme importante qui amène l’association à solliciter le conseil général (6 000 €), la chambre de commerce et d’industrie (4 000 €) et le Grand Troyes (5 000 €) ».
Soucieux de sa réputation, François Lenglet a fourni à L’Est Éclair, le 17 octobre, des « explications » selon lesquelles la somme indiquée comprend les charges et la marge de la société de conférenciers qui a servi d’intermédiaire, les frais de son déplacement et le prix de livres qui seront offerts aux participants. Conclusion : « Ma rémunération sera donc inférieure de moitié au chiffre que vous indiquez ». Et François Lenglet de préciser : « Une conférence, c’est un travail, au même titre qu’un livre ou un article qu’on publie. Et je suis rémunéré pour le travail que je produis. Cette activité de conférencier se fait évidemment avec l’accord de mon employeur France 2. Mon contrat de travail m’accorde explicitement le droit d’intervenir ainsi dans le prolongement de mon activité d’essayiste, sur les sujets qui sont la matière de mes livres. ».
Argument numéro 1 : Cette intervention rémunérée de François Lenglet n’est pas illégale, puisque son contrat de travail avec France 2 ne lui interdit pas d’arrondir ses fins de mois en offrant ses services à des tiers. Grâce à un habile dédoublement de sa personnalité, François Lenglet exercerait donc ces activités non en qualité de journaliste, mais en qualité d’essayiste… Comprenne qui pourra. Et il n’en est pas à son coup d’essai. En témoignent par exemple ces conférences prononcées à la Chambre de Commerce et de l’Industrie de Bordeaux en novembre 2013 dont le titre délicieux - « Confidences économiques de François Lenglet » - est tout un programme, ou lors du Forum Destination International à Toulouse en juin 2014 (« Les leviers pour sortir de la crise »), dont on peut douter qu’elles aient été prononcées à titre gracieux…
Illégales, ces autres interventions ? Non, nous dit-il, puisqu’elles sont prévues dans son contrat de travail. Peut-on pour autant parler de « ménages » - ces prestations rémunérées que condamnent les codes de déontologie ? Pas vraiment, mais quand même… En effet, « un journaliste digne de ce nom (…) ne touche pas d’argent dans un service public, une institution ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d’être exploitées. » [2] On peut donc s’interroger sur le respect de la déontologie par un journaliste-essayiste qui met à profit sa réputation acquise grâce au service public pour engranger plusieurs milliers d’euros de bonus, le tout en prodiguant ses conseils au secteur privé… Car c’est bien à la notoriété que lui a apportée le service public que François Lenglet doit d’être invité, puisqu’il est présenté, sur le programme de l’événement de Troyes, comme « économiste sur France 2 ».
Argument numéro 2 : Une conférence, c’est un travail, et elle a un coût. Certes. Mais, quand bien même, dans le cas de la conférence à Troyes, François Lenglet ne toucherait que « la moitié » des 8 500 euros hors taxes, la somme perçue pour une conférence d’une heure est pour le moins… rondelette : environ 3.5 smic. A fortiori lorsque celui qui prononce ladite conférence est connu pour ses saillies régulières contre les « excès » et les « privilèges » de certains salariés…
… comme les intermittents du spectacle qu’il stigmatise ainsi dans Le Point : « La comédie des intermittents du spectacle, refusant depuis des mois la pseudo-réforme de leur régime d’indemnisation chômage, représente à merveille le dévoiement du modèle social français. Dévoiement, ou confiscation. Ou dénaturation, au profit d’un petit nombre de personnes et d’entreprises, vivant au crochet du "cochon de payeur", le salarié de base, muette victime d’excès honteux dissimulés sous l’apparence trompeuse du soutien à la culture ». Rien à voir avec des « excès honteux » de certains journalistes, « dissimulés sous l’apparence trompeuse » du « soutien » à l’emploi.
… ou les salariés bénéficiant de « régimes spéciaux » de retraites, dont il pourfendait ainsi, en 2013 et toujours dans Le Point, les « privilèges » : « La France des régimes spéciaux - agents de la SNCF, de la RATP, d’EDF - vit encore à l’époque de Pierre Mauroy. Elle ne connaît ni le chômage, ni la récession, ni la dette. Elle prend sa retraite à 55 ans, voire 50 ans pour les conducteurs de train, avec des niveaux de pension sensiblement plus élevés que les salariés ordinaires. Elle entretient ses privilèges désuets, à l’abri du fracas du monde, comme d’autres époussettent leurs bibelots ». Rien à voir avec les « privilèges désuets » de certains journalistes qui facturent des conférences d’une heure à plus de 4 000 euros.
Pardon : des « privilèges désuets », non pas de journalistes, mais d’essayistes !
Henri Maler et Julien Salingue
– Merci au correspondant qui nous a mis sur la piste.