Ainsi donc, à en croire le titre d’un article paru le 10 novembre, le cannabis que fument des dizaines de millions de personnes à travers le monde leur « pète les câbles du cerveau » ! Rien que ça…
Les lecteurs du Monde qui, terrifiés par cette révélation présentée dans les pages « santé » du quotidien, se sont précipités sur l’article en question, ont néanmoins été rassurés : le cerveau de celles et ceux qui s’adonnent à ce « vice » autour d’eux n’implosera pas, ils ne risquent ni démence précoce, ni amnésie subite, ni débilité définitive. Ces lecteurs risquent en revanche de changer de quotidien dans les plus brefs délais…
Car aucune des études scientifiques mentionnées dans l’article n’évoque, même à demi-mot, des « câbles » qui « péteraient » dans le cerveau des fumeurs. Une recherche américaine aurait certes permis de mettre en évidence « un moindre volume de matière grise dans le cortex orbitofrontal – une zone du cerveau associée aux addictions –, et des modifications de la connectivité cérébrale (…) corrélés à la durée de la toxicomanie et à l’âge de l’initiation », mais cela reste hypothétique et mal compris ; d’autres avancent « diverses atteintes cérébrales chez des fumeurs réguliers de cannabis », mais « ces études sont peu concluantes, et souvent contradictoires ».
Mieux : loin de faire « péter les câbles du cerveau » une consommation intensive de cannabis provoquerait au contraire « une augmentation de la connectivité , à la fois structurelle et fonctionnelle », ce qui pourrait être dû à « un phénomène de compensation de la perte de matière grise », mais sur ce point les scientifiques prennent bien garde de préciser que « d’autres travaux sont nécessaires ».
Quant au chercheur français interrogé sur cette étude, il s’exprime avec une grande prudence. S’il relève « les altérations de la qualité de la substance blanche chez les consommateurs de longue date » découvertes par ses collègues états-uniens, il ajoute aussitôt, circonspect : « On peut supposer que cela provient d’interactions entre le cannabis et le cerveau en pleine maturation des adolescents. Mais cette étude ne le démontre pas , car elle n’a été faite que chez des adultes », et précise encore que « la moitié des participants prenaient d’autres substances en plus du cannabis »…
Avec ce titre fantaisiste, alarmiste et anxiogène, Le Monde s’assied doublement sur la déontologie journalistique. D’une part, il travestit le travail scientifique dont l’article rend pourtant honnêtement compte, et défigure ses résultats ; pis, la formule presque argotique « péter les câbles » tire la vulgarisation scientifique vers la caricature. D’autre part, alors que l’inefficacité de la prohibition se fait de plus en plus patente et qu’elle est remise en cause dans de nombreux pays – dont les États-Unis qui en furent pourtant les initiateurs et longtemps les plus farouches zélateurs, ou encore très récemment… la France –, ce titre qui présente cette plante comme un véritable poison constitue une entrave mensongère à un débat public rationnel et apaisé sur la question. Il s’agit donc rien moins qu’un… enfumage des lecteurs !
Blaise Magnin