Les démocrates ayant subi un revers important lors des récentes élections de mi-mandat, les experts et les journalistes politiques vont vraisemblablement, comme d’habitude, leur conseiller de se positionner plus à droite.
C’est le conseil qui a été donné pratiquement chaque fois que les démocrates ont perdu les élections [2], selon l’idée ancrée dans les esprits que, quand le parti penche trop à gauche, les électeurs s’en émeuvent. D’ailleurs, les recommandations n’ont pas tardé à arriver.
USA Today, par exemple, s’appuie sur une interview d’un ancien conseiller de Ronald Reagan pour préconiser que Barack Obama fasse publiquement son « mea culpa » dans un discours du style de celui prononcé en 1987 par Reagan sur l’affaire Iran/Contra. Obama, indique le journal, peut encore « marquer des points sur les questions cruciales » s’il « prend l’initiative d’un rapprochement avec les républicains du Congrès ».
Selon les commentateurs politiques, se rapprocher davantage des républicains s’impose. Mais ils vont plus loin.
Le site d’actualités Business Insider cite les propos d’un démocrate bien informé qui aurait déclaré : « Le président a 60 jours pour faire le ménage, reprendre du poil de la bête et proposer un programme centriste audacieux. S’il ne répond pas à l’une de ces trois conditions, autant qu’il commence à écrire ses mémoires. »
Et qu’est-ce qui pourrait servir de référence à ce « programme centriste audacieux » ? De nombreux articles présentent les années Clinton comme un modèle de réussite.
Comme l’écrivait le New York Times le 5 novembre dernier,
Les années Obama ont en fait été marquées par une politique de concessions : les démocrates ont largement renoncé à la démarche plus centriste, aux contours plus flous, de Bill Clinton, afin de répondre aux attentes d’un électorat progressiste croissant. Cette stratégie leur a permis de décrocher la présidence à deux reprises, mais, à cause d’elle, il a fallu, lors des batailles électorales de mi-mandat, sacrifier les circonscriptions et les états traditionnellement conservateurs qui avaient assuré aux démocrates la majorité au Congrès.
D’abord, il est abusif d’affirmer que le Parti démocrate de la période Obama a, à quelque moment que ce soit, renoncé au « centrisme » à la Clinton [3] ; en outre, cette idée toute faite sur la présidence de Clinton omet certains faits essentiels.
Comme l’a démontré Jeff Cohen - fondateur de FAIR - dans le Los Angeles Times du 9 avril 2000, le positionnement idéologique de Clinton n’a pas été d’un grand secours au parti.
Quand Clinton est entré à la Maison Blanche, son parti contrôlait le Sénat (57 D. contre 43 R.), la Chambre des représentants (258-176), les postes de gouverneurs (30-18) et une grande majorité des assemblées législatives des états.
Aujourd’hui, les républicains contrôlent le Sénat (55-45), la Chambre (222-211), les postes de gouverneurs (30-18) et près de la moitié des assemblées législatives des États.
Un des résultats les plus intéressants des sondages à la sortie des urnes en 2014, c’est que 63% des électeurs pensent que le système économique favorise les riches ; en 2012, ils n’étaient que 56 %.
Cela voudrait dire qu’une forme plus énergique de populisme économique (souvent accusé par ses détracteurs de créer des divisions) trouverait un écho favorable chez les électeurs.
Mais ce n’est pas cela que proposent les commentateurs politiques : ils veulent que la Maison Blanche trouve un terrain d’entente avec les républicains sur les politiques économiques. Probablement des accords qui profitent aux entreprises, comme le Partenariat Trans-Pacifique.
Comme l’explique la journaliste de USA Today, Susan Page :
Il est certain que les élections tumultueuses de mi-mandat ont parfois préparé le terrain pour qu’il y ait davantage de coopération bipartite. Quand les démocrates ont perdu la majorité au Sénat et à la Chambre en 1994, le président Clinton a repensé sa stratégie, s’est rapproché d’une majorité républicaine revigorée et du nouveau porte-parole de la Chambre, Newt Gingrich, a réussi à équilibrer le budget et à faire adopter sa réforme sur les aides sociales.
Vous vous souvenez peut-être de cette époque de « coopération bipartite » d’après 1994 comme étant celle où le parti républicain, dirigé par Gingrich, avait imposé deux blocages de budgets gouvernementaux en 1995 et en 1996.
Et il est révélateur que l’entente bipartite soit illustrée par la réforme des aides sociales. Que les grands groupes de presse citent en exemple cette entente bipartite conclue sur le dos des pauvres en dit long sur leur état d’esprit. Quand ils parlent de responsables politiques qui ont réussi à lever le « blocage » imposé par Washington, c’est le genre de mesures qu’ils citent en exemple.
Qui pourrait mieux assumer le rôle de centriste de l’époque Clinton qu’Hillary Clinton elle-même ? Anne Gearan, du Washington Post, en opposant Clinton à Obama, à la faveur de celle-ci, laisse entrevoir le discours que comptent nous tenir les médias ces deux prochaines années :
Clinton a exprimé publiquement son désaccord avec Obama concernant ses réticences à armer les rebelles syriens au cours de son premier mandat, et se livrera probablement à d’autres critiques si elle devient candidate.
Selon plusieurs conseils en stratégie, cela préfigure une possible candidature démocrate centriste, que Clinton incarne naturellement, avec des thèmes de prédilection comme la question des dépenses des ménages, la sécurité au travail, le salaire des femmes et les inégalités face à la santé, plus une projection musclée de la puissance des Etats-Unis à l’étranger.
Parallèlement, les républicains se voient attribuer par les grands médias privés le mérite d’avoir remporté la victoire grâce à leur centrisme.
Sous le titre « la première mesure des républicains a été de s’occuper des extrémistes au sein du parti », Jeremy Peters et Carl Hulse du New York Times ont récemment souligné « la volonté farouche du parti républicain d’épurer le parti de ses extrémistes pour reprendre le contrôle du sénat ».
À coté de cet article, dans la version papier du journal, il y a une photo de la sénatrice républicaine pour l’Iowa, Joni Ernst (anciennement sénatrice de l’état et nouvellement élue au Sénat des Etats-Unis, NDT), qui est persuadée, entre autres, que l’ONU participe à un complot visant à organiser une rafle des agriculteurs de l’Iowa pour les envoyer vivre dans les villes [4] Elle, pourtant, ne figure pas parmi les candidates extrémistes dans l’article du New York Times. Peut-être a-t-elle été épurée.
Traduction : Acrimed