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Journée de la critique des médias : « De la responsabilité des journalistes »

par Mathias Reymond,

Lors de la première journée de la critique des médias, tenue le 31 janvier 2015, une table ronde (« Des journalistes sous contraintes ») réunissait Dominique Guibert (pour la Ligue des droits de l’homme) Dominique Pradalié (pour le SNJ) et Emmanuel Vire (pour le SNJ-CGT). En attendant d’autres comptes rendus et d’autres textes, ainsi que la ou les vidéos de la rencontre, nous publions la contribution de Mathias Reymond pour Acrimed.

Une tendance forte dans nos travaux et nos publications consiste à expliquer que la mauvaise qualité de l’information résulte des structures qui produisent cette information, et des structures qui forment les journalistes.

Tout ne s’explique pas par l’appropriation des médias par des groupes privés dont les motivations sont purement mercantiles ou symboliques. Mais rien ne s’explique sans.
Tout ne s’explique pas en parlant du poids de la publicité dans le financement des médias privés et publics, mais rien ne s’explique sans.
Tout ne s’explique pas par la pauvreté de la formation des journalistes et la faiblesse de culture générale qui en découle, mais rien ne s’explique sans.

Nous le savons, ne le voyons, nous ne cessons de le voir et de le dire, les médias sont malades. Et la responsabilité des grands groupes propriétaires des médias et la responsabilité des gouvernements successifs qui laissent l’eau prendre de toute part, est évidente. Et pour faire simple, le « système » économique dans lequel nous vivons, le capitalisme donc, est la cause de tous les maux. Le dire est une évidence.

Pourtant, expliquer cela n’est pas déresponsabiliser les journalistes. Un journaliste a le droit de manger, de se loger, de voyager. Et a donc le droit à un salaire. Pour travailler, il devra le faire en tenant compte des contraintes structurelles évoquées ici. Faire des concessions parfois, des compromis aussi. Mais jusqu’à quel point ? Quelle sera la limite ?

Régulièrement, des sondages d’opinion – qui valent ce qu’ils valent – montrent que les journalistes sont des mal-aimés. On préfère largement les pompiers ou les infirmières aux journalistes. Leur cote de confiance est basse et côtoie celle de François Hollande. Pourquoi ? J’y vois deux grandes raisons – il y en a sans doute d’autres. Mais les deux majeures sont : 1/ les journalistes connus du grand public ne sont pas crédibles ; 2/ les médias (et donc les journalistes qui y participent) se ressemblent, se copient, en n’hésitant pas à tomber dans la surenchère ; pis : les médias (les journalistes) se trompent et parfois même, les médias (les journalistes) mentent…


1. Les journalistes connus du grand public ne sont pas crédibles

Tous les journalistes ne sont pas des vedettes. Peu peuvent même se vanter de faire régulièrement la « une » de Paris Match comme Claire Chazal, il n’empêche que le haut de l’iceberg contribue pour beaucoup à donner une mauvaise image de sa partie immergée. Pour faire simple : les animateurs vedettes (David Pujadas, Claire Chazal, Yann Barthès, Laurent Delahousse, etc.) et les commentateurs vedettes (Jean-Michel Aphatie, François Lenglet, Éric Zemmour, Laurent Joffrin…) sont des journalistes factices. Ils laissent penser que le journalisme, c’est ce qu’ils font. Alors qu’ils ne font qu’animer et commenter.

Je ne vais pas m’éterniser ici sur le poids qu’occupe le commentaire dans nos médias, mais il devient extrêmement difficile d’y échapper. Dans les journaux, éditorialistes, chroniqueurs ou auteurs de tribune libre occupent une place considérable. À la radio, les matinales sont remplies de chroniqueurs qui ont un avis quotidien sur la géopolitique, l’économie ou la politique. À la télévision, les débats d’éditorialistes succèdent aux débats d’experts.

Et de manière générale, le lecteur, l’auditeur et le téléspectateur ne peuvent que constater : le commentaire (c’est-à-dire la simple opinion) prime sur le fait, l’éditorialiste sur le reporter. Pour être un bon éditorialiste ou chroniqueur, il faut être un bon client (toujours disponible) de bonne composition (aimer se plier aux exigences des médias et de la télévision en particulier). à partir de là, il n’est pas étonnant qu’un journal ou une radio lui offre un espace pour donner son avis sur l’actualité. Et ainsi, lui offre l’occasion de devenir, ce que l’on appelle communément, un éditocrate…

Les commentateurs vedettes ont aussi cette particularité de partager souvent les mêmes opinions. Il y a certes des mauvais élèves qui composent bien le rôle qu’on aime qu’ils jouent (Éric Zemmour ou Ivan Rioufol). Mais dans l’ensemble, dès qu’il s’agit d’économie et de social, il y a une convergence d’opinion des éditocrates (voir par exemple, le traitement médiatique du référendum 2005 pour le Traité constitutionnel européen ou la couverture médiatique des réformes économiques).

Je préfère ici dire un mot sur les chroniqueurs économiques. En effet, à l’écoute de France Inter ou d’Europe 1, de RTL ou de RMC, dès qu’il est question d’économie, l’auditeur a toujours droit à la même sonnerie de réveil. Les chroniqueurs économiques se nomment Dominique Seux, Axel de Tarlé, Nicolas Beytoux, Nicolas Doze, Éric le Boucher, Christian Menanteau ou François Lenglet. Ils partagent les mêmes points de vue sur « l’urgence des réformes » (forcément libérales), sur « le rôle de l’État » (forcément trop gourmand), sur « l’Allemagne » (forcément paradisiaque) ou sur « la mondialisation » (forcément heureuse). Et les crises à répétition n’y font rien : les mêmes – toujours les mêmes (ou leurs semblables) – continuent de pérorer sans plier. Tous ces chroniqueurs ont le droit de penser ce qu’ils pensent, et même de le dire. Le problème, c’est qu’ils pensent presque tous la même chose et qu’ils le disent un peu partout. Certains sont peut-être de bons commentateurs, d’autres d’excellents animateurs. Mais ils ne sont pas journalistes.

Que peuvent faire les journalistes – les vrais – face à l’omniprésence de ces commentateurs et de ces animateurs qui se revendiquent journalistes ? Ils pourraient par exemple se désolidariser de leurs collègues et tweeter : « Not in my name ». On demande bien aux musulmans de se désolidariser des djihadistes de l’État Islamique ou d’Al Qaeda. Pourquoi ne pas demander aux journalistes de France 2 de se désolidariser des analyses foireuses de François Lenglet ? Pourquoi ne pas demander aux journalistes de RTL de s’exclamer « Not In my Name » après chaque crotte laissée sur les ondes par Éric Zemmour ? Pourquoi ne pas demander aux journalistes de Canal Plus – si tant est qu’il y en ait – de condamner les errances déontologiques de Yann Barthès et de son équipe dans le « Petit journal » ?


2. Les journalistes se ressemblent et se copient

La plupart des journalistes ne sont pas des commentateurs ou des animateurs. Ils essayent de faire leur métier – tant bien que mal – dans des médias qui ont une fâcheuse tendance à se ressembler, à se copier et à tomber dans la surenchère.

Je pourrais revenir ici sur la misère du journalisme régional qui produit une information locale de piètre qualité. En témoignent les « Unes » navrantes de la PQR.

Je pourrais revenir sur la folie du journalisme dans la course poursuite après les attentats contre Charlie Hebdo, la couverture médiatique des chaînes d’info en continu, les « unes » de la presse – similaires – au lendemain de la mort des ravisseurs.

Je pourrais revenir sur l’indigence du journalisme lors de la couverture de « l’affaire DSK » et la tweetomania délirante qui a occupé les journalistes politiques devenu pour l’occasion de véritables nombrils électroniques. Le comble ayant été atteint par cette journaliste de i>Télé qui n’avait pas pu accéder à la salle d’audience, et qui nous lisait en direct, téléphone portable à la main, les tweets de l’un de ses confrères installé à l’intérieur. Parmi lesquels celui-ci : « Dominique Strauss-Kahn s’est tourné vers Anne Sinclair ». Merci pour l’information.

Mais finalement je vais revenir sur un évènement un peu plus lointain et tout autant cocasse dans la mesure où il a occupé tous les médias (excepté le Journal de Mickey) pendant 5 jours.

Rappel des faits. Cela s’est passé lors de la Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud. À la mi-temps du match France-Mexique, un joueur (Nicolas Anelka) aurait insulté le sélectionneur de l’équipe de France (Raymond Domenech). Des insultes comme il y en a tous les dimanches dans tous les vestiaires de tous les stades de football du monde. Des mots privés qui concernent des joueurs et leur entraîneur. Mais L’Équipe, quotidien sportif dont les ventes seront moins bonnes dès que l’équipe de France sera éliminée décide de mettre en « une » les propos prétendument tenus par le joueur français et fait exploser ses ventes.

« On ne s’imaginait pas vraiment d’avoir à commenter ce genre de chose » s’exclamera deux jours plus tard Élise Lucet après dix minutes passées à gloser sur l’état de l’équipe de France (13h, France 2, 21 juin 2010). On ne s’imaginait pas, en ce qui nous concerne, d’avoir à contempler le lamentable spectacle offert par la plupart des médias qui se sont emparés de « l’affaire ». Jusqu’à l’overdose.

Overdose d’abord, sur les chaînes d’information en continu : i>Télé, BFM TV ou LCI qui n’avaient plus qu’un seul sujet à traiter, à commenter, à analyser. Envoyés spéciaux en Afrique du Sud, interviews de spécialistes de football, débats appelant à la rescousse n’importe qui (Jacques Séguéla sur i>Télé par exemple), tout était bon pour tenir en haleine le téléspectateur… Les autres sujets de l’actualité n’étaient même plus évoqués par des journalistes si excités qu’ils n’en finissaient plus de lire et de relire les « gros mots » placés en « une » de L’Équipe.

Évidemment, la radio était de la partie. France Info a ressassé en boucle les aventures de l’équipe de France durant tout le week-end. Le dimanche 20 juin, France Inter a consacré les sept premières minutes (sur 14 minutes) de son journal de 19 heures (« Intersoir ») aux « événements ».
Puis vint le tour de tous les journaux télévisés.

France 2 a consacré la moitié de ses éditions de 13 heures (8 minutes sur 16) et de 20 heures du 20 juin (12 minutes 15, sur 26 minutes) aux mésaventures de l’équipe de France. Le 19/20 de France 3 du 20 juin leur a attribué plus de 10 minutes (sur 25).

Mais le pompon revient naturellement à TF1, première chaîne concernée par ces « événements ». Si le 13 heures du 19 juin n’a consacré « que » ses cinq premières minutes aux propos d’Anelka, le 20 heures a produit un « dossier » de 15 minutes. Le sujet a été développé de nouveau pendant 10 minutes dans le 13 heures du 20 juin et pendant 15 minutes (sur 18 minutes !) à 20 heures le même jour. À la quinzième minute de ce journal, Claire Chazal, consciente qu’il y a malgré tout d’autres sujets à aborder dans un journal d’information, lâche : « Et on revient à la compétition avec quelques images… » En effet, après tout, il est temps de parler… football. Il reste donc trois minutes pour faire le tour du « reste de l’actualité ».

Les médias se ressemblent, les médias se copient et les médias font la course à l’échalote. Et les journalistes qui y participent y contribuent également. Et parfois se trompent. Nous avons tous en mémoire les errements journalistiques lors des conflits armés au Kosovo (100 000 morts annoncés !), en Irak (les armes de destruction massive introuvables) ou plus récemment en Ukraine. Nous n’avons pas oublié non plus l’affaire du RER D ou l’affaire d’Outreau. Et quand de telles couvertures se reproduisent pour répéter les mêmes erreurs, les mêmes rumeurs, les mêmes mensonges, cela montre bien que les journalistes ne retiennent pas les leçons.


***



Dans tous ces exemples, il n’y a pas que des animateurs vedettes et des commentateurs qui sont impliqués. Il y a certainement des directions de journaux, des rédacteurs en chef, mais aussi des journalistes, des reporters, photographes… Des journalistes inconnus, des reporters inconnus, des photographes inconnus. Qui ont toutes les excuses du monde, à faire mal leur boulot, qui ont toutes les raisons du monde à vouloir avoir un salaire décent à la fin du mois. Mais la pression subie, la précarité réelle, ne doivent pas faire oublier que les journalistes ont une part de responsabilité dans la formation des esprits, dans la diffusion de la culture, du savoir au même titre qu’un enseignant ou qu’un intellectuel.

Cette responsabilité mérite une exigence sans faille. Comme la nôtre, celle d’Acrimed, à l’égard des journalistes. On n’est pas là pour flinguer le journaliste talentueux qui fait mal son travail parce qu’il n’a pas le choix, on n’est pas là pour ignorer le journaliste rebelle qui veut monter son média alternatif. L’un comme l’autre doivent savoir que nous sommes à leurs côtés et qu’une association de critique des médias comme la nôtre, et que les syndicats de journalistes présents à cette table (SNJ et SNJ-CGT), peuvent les appuyer.

Mathias Reymond

 
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