Parmi les nombreuses réactions à la publication des « Swissleaks » par le journal Le Monde, celles de Mathieu Pigasse et de Pierre Bergé ont évidemment un caractère particulier, puisqu’elles révèlent ce que pensent deux des détenteurs [1] du journal du travail des journalistes qu’ils emploient.
Ainsi, la déclaration du banquier Mathieu Pigasse, signalant lors de la matinale de France Inter le risque de basculement de son journal dans « le maccarthysme fiscal », aurait pu ne pas passer inaperçue. Mais l’homme d’affaires Pierre Bergé, un peu plus tard sur RTL, a quelque peu éclipsé la remarque de Pigasse. Il explique d’abord son malaise vis-à-vis des révélations publiées dans Le Monde : « Est-ce que c’est le rôle d’un journal, et surtout d’un journal comme Le Monde, de jeter en pâture des noms, des gens ? Pourquoi Gad Elmaleh ? Qu’est-ce que ça veut dire ça ? ». Avant de préciser : « (…) ce n’est pas ça que devrait être un journal, en tout cas un journal comme Le Monde. Et ce n’est pas pour ça que je suis venu au secours du Monde et ce n’est pas pour ça que j’ai permis aux journalistes du Monde d’acquérir leur indépendance. Ce n’est pas pour ça. Ce sont des méthodes que je réprouve totalement et qui n’ont aucune justification ». Et l’on comprend par là ce que Pierre Bergé pense de l’indépendance des journalistes vis-à-vis du ou des propriétaire(s) de leur journal : quelque chose qu’il revient au(x) propriétaire(s) d’autoriser, ou non ; et qui permet aux journalistes de pratiquer les méthodes que le(s) propriétaire(s) approuve(nt).
Ayant vraisemblablement une autre perception de l’indépendance éditoriale (peut-être parce qu’elle ressent les pressions qui menacent cette indépendance), la Société des rédacteurs du Monde a réagi dans un communiqué. On y trouve notamment cette affirmation, qui semble se vouloir auto-réalisatrice : « Cela n’a pas empêché et n’empêchera pas les journalistes de travailler sereinement en toute indépendance et responsabilité. » Malheureusement l’indépendance ne se décrète pas. Et les déclarations de bonnes intentions [2] ne suffisent pas à l’instaurer, surtout lorsqu’au travers d’autres déclarations, publiques et très médiatisées, le(s) propriétaire(s) se permettent de peser sur les futurs choix éditoriaux, quoi qu’en disent ceux qui les prennent.
Dans quel metier imaginerait-on en effet que l’avis de personnes qui peuvent eventuellement décider de votre renvoi soit une donnée qu’on peut choisir de négliger ?
Martin Coutellier
PS : la rédaction du Monde a reçu le soutien de Laurent Joffrin, sous la forme d’un tweet flagorneur et… déconnecté :
« Libre », en effet, de censurer à répétition un journaliste récalcitrant, de trapper des informations inopportunes, ou de saborder la rédaction au point que le pire sera pour ceux qui restent.