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Loi de modernisation du secteur de la presse : menaces sur l’AFP

par Henri Maler,

L’Agence France Presse (AFP), les publics l’ignorent trop souvent, est indispensable à l’information. Non que ses productions soient au-dessus de toute critique (comme en témoigne notre rubrique consacrée à certaines de ses dérives), mais parce qu’elle joue un rôle irremplaçable. Notamment en ce qui concerne l’information internationale, alors que les correspondants permanents des médias clients de l’Agence se raréfient.




En cours d’adoption, la « Loi de modernisation du secteur de la presse » (dont nous avons discuté ici même certaines dispositions) prévoit des modifications très inquiétantes dont la lecture, peut-être fastidieuse, est nécessaire.

Contextes

La présentation de l’AFP que nous avions proposée en 2006 n’est pas totalement caduque, mais demanderait à être précisée. Or depuis cette date (et déjà en 1999 sous l’ère Jospin), les tentatives de remettre en cause son statut et ses missions se sont multipliées. Et nous avions relevé certaines d’entre elles.

Leurs principes sont toujours les mêmes : alternativement ou conjointement, assujettir l’AFP à un contrôle de l’État et/ou envisager sa privatisation même partielle.

La dernière des attaques en date contre l’AFP a pour origine une plainte déposée par une agence allemande (DAPD, disparue depuis) devant la Commission européenne pour concurrence déloyale. Et ladite Commission, protectrice comme on sait de la « concurrence libre et non faussée », même, lorsqu’il s’agit de services publics (rebaptisés missions d’intérêt général), a demandé des comptes au gouvernement français… qui s’est empressé de les fournir. En janvier 2012, pour tenter de parer aux attaques de Bruxelles, l’Assemblée nationale avait adopté un amendement définissant les missions d’intérêt général (MIG).

S’en est suivi avec la Commission européenne un long échange d’arguties juridiques et commerciales, consignées dans un document de 40 pages (que les syndicats ont fini par obtenir non sans peine et dont la lecture détaillée est déconseillée à quiconque souffre de maux de tête) [1]. Il se conclut par la préconisation bruxelloise de « mesures utiles ».

Or, ce sont ces « mesures » que la loi de modernisations de la presse, à côté d’autres modifications qui ne sont pas anodines, transpose dans le droit français, en modifiant la loi n° 57-32 du 10 janvier 1957.

À quoi il convient d’ajouter le « rapport sur l’avenir de l’Agence France-Presse » remis par le député PS Michel Françaix en mars 2014 : entre autres préconisations, le député proposait « une filiale technique de moyens »


Modifications

Pour prendre la mesure de ces modifications, il faut rappeler les deux premiers articles de cette loi :

 L’article 1 du statut de l’AFP, voté en 1957, stipule que sa mission est « de rechercher, tant en France et dans l’ensemble de l’Union française qu’à l’étranger, les éléments d’une information complète et objective ».

 L’article 2 précise que son activité est soumise aux obligations fondamentales suivantes :
- 1. « L’Agence France-Presse ne peut en aucune circonstance tenir compte d’influences ou de considérations de nature à compromettre l’exactitude ou l’objectivité de l’information ; elle ne doit, en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique ; »
- 2. « L’Agence France-Presse doit, dans toute la mesure de ses ressources, développer son action et parfaire son organisation en vue de donner aux usagers français et étrangers, de façon régulière et sans interruption, une information exacte, impartiale et digne de confiance. »

Les modifications reviennent, pour l’essentiel, à ceci :

(1) Distinction entre les missions d’intérêt général (pour lesquelles les aides publiques seraient admissibles) et des activités qualifiées de commerciales qui font l’objet d’une comptabilité séparée.

La loi en cours d’adoption ajoute dans l’article 13 :

« Les activités de l’Agence France-Presse ne relevant pas des missions générales définies aux deux alinéas précédents et à l’article 2 font l’objet d’une comptabilité séparée. »

Or c’est l’existence même, et l’objet, de l’AFP qui est « d’intérêt général ». Ainsi, en un seul amendement, la loi autorise l’AFP à avoir des activités commerciales qui ne relèveraient pas de sa mission d’intérêt général et qui ne peuvent bénéficier d’aucune aide publique.

(2) En application de la séparation des comptabilités, la compensation financière versée par l’État est réduite. En effet, l’article 12 de la loi n° 57-32 du 10 janvier 1957 qui prévoit que « La commission financière est chargée de la vérification générale permanente de la gestion financière de l’Agence France-Presse. » est complété en ces termes :

« Elle s’assure annuellement que la compensation financière versée par l’État prévue à l’article 13 n’excède pas les coûts nets générés par l’accomplissement des missions d’intérêt général. »

Et la loi modifie le deuxième alinéa de l’article 13.

La rédaction initiale stipulait :

« Les conditions de vente aux services publics de l’État sont déterminées par une convention entre l’État et l’Agence France-Presse ; cette convention fixe le nombre et le taux des abonnements souscrits par lesdits services, sur la base des tarifs appliqués aux entreprises de presse françaises. »

La loi stipule désormais :

« Les conditions de vente aux services publics de l’État sont déterminées par une convention entre l’État et l’Agence France-Presse ; cette convention fixe le nombre et le taux des abonnements souscrits par lesdits services, sur la base des grilles tarifaires générales de l’Agence. Elle prévoit les conditions de sa révision. »

(3) L’article 14 de la loi de 1957 est modifié ainsi (en caractères gras, les modifications) :

En cas de cessation des payements constatée par le tribunal de commerce sur demande, soit du conseil d’administration, soit de la commission financière, soit de créanciers, le Gouvernement transmet toutes les informations utiles, dans le délai d’un mois, au Parlement afin de permettre à celui-ci d’adopter une loi [2], tendant soit à fixer les conditions dans lesquelles l’Agence France-Presse pourra poursuivre son activité, soit à prononcer la dissolution de l’Agence et la liquidation de ses biens. Dans chacune des hypothèses, les dispositions du livre VI du code de commerce relatives à la détermination des créances et au désintéressement des créanciers sont applicables. La responsabilité de l’État ne peut se substituer à celle de l’AFP envers ses créanciers. Il peut être pourvu par décret en conseil d’État à l’administration provisoire de l’Agence France-Presse jusqu’à l’intervention de la loi.

La modification des dispositions appliquent désormais à l’Agence les mêmes règles qu’à toute entreprise privée, la privent de tout secours financier de l’État et laissent l’AFP à la merci d’une éventuelle faillite.

(4) Alors même que la loi n’était pas encore adoptée, l’actuelle direction de l’AFP a précédé les désirs du législateur. Elle a déjà mis en place depuis plusieurs semaines la filiale technique, soumise au droit privé, préconisée dans le rapport de M. Françaix. Appartenant à 100 % à l’agence (pour le moment…) cette filiale reprend l’ensemble de l’outil technique (sauf le personnel) et ses moyens de transmission développés et conçus depuis des dizaines d’années, son savoir-faire… et les loue à la maison-mère. Autrement dit, c’est une première brèche dans l’indépendance rédactionnelle et technique de l’agence.

Mais rien n’interdit d’utiliser cette filiale et d’emprunter. Dans le cas où elle ne pourrait pas rembourser ses créanciers, nous serions dans un scénario de faillite. Ainsi l’AFP serait privée de son outil technique. Et en conséquence de son indépendance.

Paradoxalement, et en contradiction avec l’article 2 du statut, cité plus haut, l’AFP a créé depuis plusieurs années une filiale dite « corporate » dénommée « AFP Services » qui fournit des (publi) reportages aux entreprises ou aux institutions. Des gros contrats ont été signés avec des fédérations sportives et avec la Commission européenne. Au risque de voir un jour ces clients influencer ou compromettre l’exactitude et l’objectivité de l’information.


***



L’évolution de l’AFP et notamment les modifications introduites par la loi peuvent sembler anodines. Mais elles ouvrent la voie à des transformations qui ne peuvent que satisfaire les partisans, plus ou moins avoués, d’une privatisation de l’Agence. Danger !

Henri Maler

 
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Notes

[1Publié notamment sur le site de Sud-AFP.

[2En remplacement de « le Gouvernement doit saisir, dans le délai d’un mois, le Parlement d’un projet de loi tendant… »

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