(1) La notion de pluralisme désigne prioritairement le pluralisme politique, entendu comme un principe d’organisation de la société et de l’État : le principe qui reconnaît et garantit l’expression et la représentation de la diversité des opinions politiques, et en particulier de leur représentation institutionnelle et partisane (c’est-à-dire le multipartisme). Ainsi entendu, le principe du pluralisme doit ou devrait trouver sa traduction dans l’espace médiatique. Autrement dit, se traduire par l’expression du pluralisme politique dans les médias.
(2) Or l’expression du pluralisme politique dans les médias revêt deux formes ou dimensions relativement distinctes : le pluralisme dans l’expression des institutions et des partis politiques et, abstraction faite de ce dernier, le pluralisme dans l’expression des opinions politiques au sein de tous les médias ou au sein d’un même média. On ne saurait confondre ces deux formes de pluralisme :
- le pluralisme politique institutionnel et partisan : l’expression de pluralité des institutions et des partis politiques dans les médias et la représentation qui est accordée à chacun d’eux ;
- le pluralisme politique éditorial : l’expression des opinions politiques propres à chaque média, mais aussi au sein de chacun d’entre eux et, plus généralement, dans tous les médias, que ces dernières expressions émanent des journalistes eux-mêmes ou d’autres commentateurs.
(3) Le pluralisme dans les médias ne se limite pas (ou ne devrait pas se limiter) à l’expression et la représentation de la diversité des seules opinions politiques. Il doit (ou devrait) englober l’expression de toutes les opinions. Le pluralisme désigne alors le pluralisme des opinions de toutes natures ou, pour dire dans le langage de nombre de décisions du Conseil Constitutionnel, « le pluralisme des courants d’expression socioculturels » [1] ou « le pluralisme des courants de pensée et d’opinion » [2] : pluralisme dont il est souligné, dans toutes les décisions correspondantes, qu’il est « en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ».
(4) Enfin le pluralisme dans les médias, entendu de façon élargie et dans toutes ses dimensions, englobe ou devrait englober, en prenant soin de les distinguer, non seulement le pluralisme des opinions, mais aussi le pluralisme des informations et le pluralisme des goûts et des cultures.
(5) Encore convient-il de ne pas confondre le pluralisme des informations, des opinions et des goûts et cultures (et donc des contenus) avec le pluralisme des supports et des opérateurs qui, sous réserve de certaines précisions, est une condition primordiale du pluralisme proprement dit. Cette confusion est entretenue par le Conseil constitutionnel lui-même [3].
(6) C’est à la multiplicité des médias et des opérateurs (que les dispositifs anti-concentrations visent à garantir) que fait ou devrait faire référence, en toute rigueur, la distinction fréquemment opérée entre le pluralisme « externe » et le pluralisme « interne ».
- En toute rigueur, la notion de pluralisme « externe » devrait exclusivement viser la multiplicité des médias et, plus précisément, la distribution (et la limitation) des parts de capital qu’une même personne physique ou morale peut posséder dans plusieurs médias (eux même en nombre défini).
- Et la notion de pluralisme « interne » devrait être réservée à la distribution (et à la limitation) des parts de capital détenues par des opérateurs dans une même entreprise médiatique.
Force est de constater que, dans nombre de textes, plus ou moins officiels, la distinction en question recouvre tantôt les dispositifs qui sont sensés garantir ces multiplicités, tantôt le contenu du pluralisme qu’ils garantissent. C’est ainsi que le pluralisme interne fait souvent référence au pluralisme des contenus, et le pluralisme externe au pluralisme des opérateurs.
(7) En d‘autres termes, pour peu qu’on ne confonde pas le pluralisme avec la multiplicité toujours souhaitable des médias et de leurs opérateurs, le pluralisme dans les médias, entendu de façon élargie et dans toutes ses dimensions, englobe ou devrait englober, en prenant soin de les distinguer, la pluralité des opinions, la diversité des informations, la variété des goûts et des cultures.
(8) Le pluralisme ainsi compris doit s’exercer, pour être lui-même pleinement garanti, selon deux modalités : comme un pluralisme généralisé et comme un pluralisme particulier à chaque média.
- Comme un pluralisme généralisé à l’ensemble de l’espace médiatique ou à un secteur de cet espace (presse, radio, télévision, internet).
- Comme un pluralisme particulier à chaque média qui diffère selon qu’il s’agit de médias d’opinion qui assument une orientation éditoriale de parti-pris (voire partisane) ou de médias de consensus qui prétendent fédérer des publics ou des usagers indépendamment de leurs opinions.
Les principes et repères ainsi posés peuvent guider les diagnostics, à commencer par celui-ci que l’on peut livrer sans attendre : dans les médias dominants, qu’ils soient publics ou privés, prévaut, de quelque façon qu’on l’entende et dans toutes ses dimensions (opinions, informations, goûts et cultures), un pluralisme rabougri. Encore convient-il de préciser ce diagnostic, comme nous avons commencé de le faire sur notre site, s’agissant notamment de la pluralité des opinions politiques (qu’elles soient partisanes ou éditoriales) et des opinions économiques [4].
Mais c’est aussi en fonction de ces principes et repères que l’on peut tenter de répondre notamment aux questions suivantes :
– Qu’en est-il des effets des concentrations et de la concurrence capitalistes sur le pluralisme dans les médias ? Ou, en d’autres termes, à quelles conditions la multiplicité des opérateurs et des médias peut-elle favoriser, dans toutes ses dimensions, le pluralisme ?
– Qu’en est-il l’expression de la pluralité des opinions ? Et que valent de règles et conditions auxquelles elle est soumise, dans l’audiovisuel, dans la presse écrite et sur internet ?
Etc.
À ces questions seront consacrés de prochains articles.
Henri Maler