jeudi 16 avril 2015 à 19h
à la Bourse du travail de Paris
3, rue du Château d’Eau, Paris 10e
avec Bernard Schmid (membre de VISA [1])
et Ugo Palheta (membre de la rédaction d’Acrimed)
Si le rôle effectif des médias dans la progression du Front national est indéniable, ce serait leur prêter un « pouvoir » disproportionné que d’expliquer prioritairement par ce rôle l’écho que rencontrent les « thèses » et « thèmes » portés par le FN, ainsi que ses scores électoraux. Les médias ne créent pas les mouvements d’opinion : ils peuvent les accompagner, les amplifier ou les brider. Les médias n’interviennent pas isolément : leur « pouvoir » n’existe qu’en résonance ou en convergence avec d’autres pouvoirs, à commencer par le pouvoir politique.
Dire cela ne revient toutefois pas à exonérer les médias de leur responsabilité dans la progression du FN : reste à identifier les mécanismes et les pratiques par lesquels les médias dominants contribuent à favoriser cette progression. Ils sont principalement de deux ordres : légitimation de thèmes portés par Front National, incitation à lui faire confiance.
Ainsi, la dépolitisation médiatique de la politique (personnalisation des enjeux, frénésie sondagière, focalisation sur les futilités de la « vie politique », etc.), la construction médiatique des cibles de la haine et de la peur (« immigrés », « délinquants », « musulmans », etc.), ou encore la mise en scène médiatique de débats mutilés (« pro-européens » vs « anti-européens », « partis républicains » vs « partis populistes », etc.) sont autant de pratiques qui tendent à favoriser la montée du FN.
Les questionnements sur la soi-disant « dédiabolisation » du FN participent des mêmes logiques : en discutant et en commentant les stratégies déployées par le Front national pour se normaliser, on accrédite l’idée selon laquelle le FN tendrait vers une normalisation et on concourt à cette normalisation. En d’autres termes, en ce cas, dire c’est faire : annoncer que le Front national se normalise contribue à sa normalisation… médiatique.
Ces phénomènes n’empêchent toutefois pas le FN, et plus largement les courants d’extrême droite, de s’en prendre avec virulence aux médias et aux journalistes, qu’ils accusent d’être partie prenante du « système », dans une version à peine actualisée de la rhétorique des fascismes de l’entre-deux guerres. C’est ainsi que l’on a pu voir se développer, au cours des dernières années, notamment sur internet, une « critique des médias » et une « lutte pour la réinformation » orchestrée, de manière plus ou moins assumée, par des groupuscules d’extrême-droite.
Comment appréhender et combattre les pratiques journalistiques qui contribuent, souvent de manière non-intentionnelle, à légitimer les thèses de l’extrême-droite et à donner du crédit au FN ? Un autre traitement médiatique de l’extrême-droite est-il possible ? Dans quelle mesure une critique des médias radicale, mais ne se confondant pas avec une dénonciation stérile du « système médiatique » et une stigmatisation « des » journalistes, est-elle indispensable pour contenir l’influence de l’extrême-droite ?