Finies les belles déclarations de nos gouvernants sur la liberté d’expression à la suite des attentats du début de l’année, oubliés les engagements selon lesquels il n’y aurait pas de « Patriot Act » à la française. Le premier projet de loi d’envergure (Projet de loi relatif au renseignement) faisant suite à ces événements est le plus attentatoire aux libertés que notre pays ait connu depuis longtemps. La mise en discussion de ce projet au Parlement selon une procédure accélérée qui limite drastiquement le débat parlementaire et la possibilité d’une réaction de la société civile, de surcroît pendant une période de vacances scolaires, est déjà, s’agissant d’un texte de cette importance, un déni de démocratie [1].
On a connu ce président moins pressé pour légiférer, par exemple sur le secret des sources des journalistes, pourtant une de ses promesses de candidat. Un projet de loi est pourtant prêt depuis février 2013 mais celui-ci est sans cesse repoussé depuis. Un retard encore accru suite au projet de loi sur le renseignement, discuté en ce moment à l’Assemblée nationale et visiblement prioritaire. « Esprit du 11 janvier » oblige… Mais peut-être le projet de loi sur le renseignement met-il fin à cette attente. Car il ne fait pas de doute que les pratiques des journalistes et la connaissance de leurs sources y sont incluses.
Malgré une communication trompeuse visant à présenter cette loi comme « antiterroriste », et exigeant l’union nationale déjà invoquée lors de la manifestation du 11 janvier, de nombreuses oppositions se sont d’ores et déjà exprimées aussi bien dans les diverses sphères de la société civile que sur tout l’échiquier politique, sans oublier la CNIL - peu réputée pourtant pour son radicalisme - ni les multiples réactions internationales. Car il ne s’agit pas d’une loi anti-terroriste [2], même si la lutte contre le terrorisme fait partie des sept objectifs [3] dont elle prétend assurer la défense et la promotion, mais bien d’une loi sur le « renseignement », comme son nom l’indique.
Il s’agira tout de même, à l’invocation de l’un ou plusieurs de ces objectifs, de poser des micros chez les gens, dans leurs véhicules, de suivre leurs déplacements, d’enregistrer leurs communications téléphoniques et d’intercepter leurs messages électroniques, avec la collaboration forcée de ces nouveaux auxiliaires de police que seront les fournisseurs d’accès Internet, sans parler de ce fameux « algorithme » qui permettrait, soi-disant, de détecter les terroristes en puissance à partir de l’atypisme des métadonnées de leurs communications, atypisme qui ne peut évidemment être décelé qu’à partir d’une surveillance de toute la population connectée.
En même temps que le droit à la vie privée, c’est aussi la liberté d’expression qui est ici visée. Il est bien évident que ces procédés de surveillance, qui seront, par nature, inconnus des citoyens concernés (et cela même en cas de plainte de ces derniers, fort improbable dans la mesure où personne ne sera, par définition, au courant de ces écoutes) vont entretenir une atmosphère de crainte autour de toute initiative pouvant être incluse dans les objectifs ci-dessus. Qui ira désormais consulter, par curiosité ou pour un projet d’étude, un reportage, un site jihadiste, s’il encourt un fichage et éventuellement des poursuites ? Allons-nous devoir cogiter à chaque fois que l’on s’apprête à faire une requête « à risque » dans un moteur de recherche ? Cette atteinte intolérable à la liberté d’expression d’un simple citoyen devient, pour les journalistes, au-delà de la seule (mais fondamentale) protection de leurs sources, une véritable entrave à leur activité professionnelle. Là encore, non seulement la promesse de protéger l’investigation journalistique n’est pas respectée, mais en plus de nouveaux obstacles viennent en réduire la possibilité !
Ce projet de loi est d’autant plus dangereux qu’aucun dispositif de contrôle sérieux n’est prévu. Le juge est exclu de tout le processus de décision concernant les atteintes à la vie privée. La commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) constituée pour l’occasion étant seulement consultative, les pouvoirs du gouvernement sont exorbitants et hors de tout contrôle, ouvrant la voie à l’arbitraire et à de très probables abus. La collecte et l’usage des données ainsi que les autres méthodes de surveillance échapperont à la vigilance démocratique.
Pour nous, la liberté d’expression des journalistes est indissociable de celle des autres groupes sociaux, de celle des simples citoyens et citoyennes. Elles sont menacées toutes ensemble. C’est pourquoi Acrimed s’associe pleinement à tous ceux qui manifestent leur hostilité à ce projet de loi et invite ses adhérents et ses lecteurs à interpeller leur député avant le 5 mai, date du vote à l’assemblée nationale, dans ce sens.