Travail non déclaré
Alors que la grève à Radio France prenait fin, Farida Taher, productrice déléguée à France Culture depuis 2004, a évoqué auprès de nous, en prenant son cas personnel en exemple, la situation qui est faite aux précaires de la maison ronde.
En 10 ans, Farida Taher a signé plus de 120 documentaires sonores de 26 minutes. Fin juillet 2013, elle a saisi le Conseil de prud’hommes de Paris afin d’obtenir une requalification de ses CDDU (contrats à durée déterminée d’usage) en CDI (contrat à durée indéterminée). Elle démontre, preuves à l’appui, qu’elle a régulièrement et continuellement travaillé pour Radio France durant plusieurs années consécutives et pointe le travail dissimulé. L’entreprise, de son côté, soutient que Farida n’aurait travaillé que 388 jours cumulés pour fabriquer 114 documentaires. Des chiffres invraisemblables. Les fiches de salaire indiquent deux à trois jours travaillés (c’est à dire de 16 à 24 h jusqu’en 2011) pour produire un documentaire alors qu’en réalité il faut huit jours, soit 64 h au moins, pour en réaliser un. Pour Farida Taher, il est impossible de préparer, concevoir, tourner et monter un reportage ou un documentaire sonore de 26 mn en seulement 24 h. Ce nombre d’heures ne correspond même pas au temps purement technique qu’il faut pour tourner et réaliser ce type de « contenu » sonore. Ce qu’a finalement reconnu Radio France puisque dans les conclusions mêmes de son conseil il apparaît que le temps nécessaire à l’élaboration d’un reportage de 26 minutes est évalué à 5 jours, soit 40 h en moyenne. L’aveu de travail non déclaré par l’entreprise est donc patent.
Cette reconnaissance est d’ailleurs aujourd’hui généralisée. Radio France accorde désormais six jours (rétribués 600 euros brut) pour la réalisation d’un documentaire.
L’affaire a donc été jugée au conseil des Prud’hommes de Paris, après deux ans d’attente, le vendredi 20 mars 2015, au deuxième jour de la grève à Radio France. Le délibéré a été prononcé le lundi 4 mai dernier. Accompagnée de cachetiers se trouvant dans la même situation qu’elle, mais n’osant pas trop se manifester ouvertement de peur d’être blacklistés (ils n’en espèrent pas moins que toutes leurs heures travaillées seront enfin un jour bel et bien rémunérées), Farida Taher a pris connaissance du jugement au tribunal des Prud’hommes, à Paris.
Jugements coûteux pour les contribuables
C’est une victoire sur toute la ligne. Toutes ses demandes ont été reconnues et Radio France, une fois de plus, se voit sanctionnée.
Le Conseil des Prud’hommes, dans son délibéré :
– ordonne la requalification des contrats à durée déterminée conclus entre la société nationale de radiodiffusion Radio France et Farida Taher : les 114 contrats depuis juin 2004 se transforment en un CDI à mi-temps avec tous les droits afférents (cotisations retraite, etc)
– ordonne l’intégration de la salariée dans l’effectif permanent de la société.
– constate que la relation contractuelle se poursuit
– condamne la société Radio France à verser à Farida Taher les sommes suivantes : 10 000 € à titre d’indemnité de requalification et 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– ordonne la remise de bulletins de salaires conformes
– condamne la société Radio France aux dépens.
Reste à espérer que Radio France acceptera la sanction et que le parcours professionnel de la documentariste ne sera pas entravé. En pareils cas il n’est pas rare que l’entreprise préfère se débarrasser des employés indociles, sous n’importe quel prétexte, quitte à verser des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Radio France est très souvent condamnée pour non-respect de la loi en matière de recours au CDD d’usage. Comme Farida Taher, de nombreux salariés sous contrats précaires ont obtenu gain de cause devant la justice prud’homale.
Les jugements à l’encontre de Radio France sont de ce fait très coûteux pour les contribuables. Si l’on se penche sur les bilans comptables du rapport de la Cour des comptes d’avril 2015 (page 177), on s’aperçoit que les provisions pour litiges liés au personnel étaient de 23 millions en 2012 et 18 millions en 2013. Le rapport indique que la provision pour litiges prud’homaux (6,5 millions d’euros au 31/12/2013) couvre 62 litiges, les sept plus importants représentant 2,8 millions.
18 millions d’euros dévolus aux litiges liés aux personnels, c’est l’équivalent de la masse salariale annuelle du personnel occasionnel, soit 400 équivalents temps plein [2] !
Le prix à payer est très cher pour aller à l’encontre du souhait des salariés, qui veulent juste exercer leur métier dans des conditions saines d’embauche.
Mais les dirigeants s’en moquent. Les contribuables paieront, avec la redevance.
Michel Ducrot