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Colette Fellous, une experte en renvois d’ascenseur

par Denis Souchon,

Les éditocrates n’ont pas le monopole des échanges circulaires des invitations et/ou des gratifications. Le microcosme médiatico-culturel compte aussi ses spécialistes en la matière.

Parmi eux, une virtuose méconnue, exemple exemplaire de cette pratique consistant à privatiser l’antenne du service public pour ses intérêts propres et ceux de ses amis : Colette Fellous, animatrice sur France Culture de « Carnet nomade », qu’elle devrait rebaptiser « Carnet d’adresses ».

Colette Fellous est productrice sur France Culture depuis 1980, et depuis plus de 15 ans elle y produit et présente « Carnet nomade ». Elle utilise cette position pour entretenir des échanges d’invitations et de gratifications avec ses collègues (de France Culture), ses chers voisins (de France Inter) et ses interlocuteurs stratégiques (qui lui décernent des prix), le tout sous prétexte de gloser à propos du dernier livre ou de l’œuvre de l’invité. Précisons-le d’emblée : cela n’enlève rien au talent potentiel de la romancière Colette Fellous ni à celui de ces invités… Par ailleurs, elle dirige la collection « Traits et portraits » chez l’éditeur Mercure de France, collection dont les auteurs bénéficient de complaisantes invitations dans l’émission de... Colette Fellous. Dans les recensions qui suivent nous avons utilisé les informations du site de France Culture qui fournit les noms des invités de « Carnet nomade » depuis septembre 2005.


Les collègues de France Culture

Pour Colette Fellous, France Culture ressemble à un parc d’attractions où elle a des amis qui estiment ses livres suffisamment importants pour l’inviter dans leurs émissions, amis dont elle considère les livres suffisamment intéressants pour les inviter dans « Carnet nomade ». Ainsi elle a reçu à deux reprises [1] Abdelwahab Meddeb qui était producteur/animateur de France Culture, avec qui elle a publié un livre – hasard – en 2012. Elle a également invité Olivier Germain-Thomas le 2 décembre 2007 qui l’a ensuite reçue le 1er juin 2008 dans « For intérieur » sur France Culture. Alain Veinstein a reçu Colette Fellous le 5 décembre 2007 dans « Du jour au lendemain » et elle lui a rendu la pareille les 24 mai 2009 et 14 septembre 2013. Même échange de bons procédés avec Sylvie Andreu, qui a convié Colette Fellous le 11 avril 2010 dans « Vivre sa ville » et qui avait été invitée dans « Carnet nomade » le 29 mars 2009. Autre exemple notable : les 22 novembre 2009 et 26 octobre 2013 [2] Colette Fellous recevait son patron Olivier Poivre d’Arvor, l’autocrate de France Culture, dans « Carnet nomade ».


Les chers voisins de France Inter

Le renvoi d’ascenseur fonctionne aussi très bien avec d’autres étages de la Maison de la Radio et notamment avec les animateurs et producteurs de France Inter. Ainsi Paula Jacques, productrice et animatrice de « Cosmopolitaine » a reçu Colette Fellous [3] à trois reprises [4] qui l’a également invitée dans « Carnet nomade » à trois reprises [5]. Fait surprenant : Paula Jacques a publié neuf livres au Mercure de France, une maison d’édition où Colette Fellous dirige une collection. Colombe Schneck [6] a invité Colette Fellous dans « Les liaisons heureuses » le 27 aout 2011, qui l’a reçue à son tour le 15 septembre 2012 dans « Carnet nomade ». Même symétrie avec Frédéric Mitterrand qui a convié Colette Fellous dans « Jour de Fred » le 9 avril 2014. Sept ans auparavant, le 23 septembre 2007, elle le recevait dans « Carnet nomade ». Enfin, dans Le Nouvel Observateur, Jérôme Garcin – par ailleurs animateur et producteur du « Masque et la Plume » – a rendu compte avec ferveur de livres de Colette Fellous les 20 mars 2014 et 29 septembre 2011 [7]. Il a fait de même dans La Provence du 3 août 2014. Colette Fellous – pas rancunière – a invité Jérôme Garcin dans « Carnet nomade » à neuf reprises [8]. Merci, donc.


Une lauréate reconnaissante

Colette Fellous écrit et publie des romans et des essais qui font date dans l’univers littéraire. Son œuvre considérable lui a valu d’être, à ce jour, la lauréate de deux prix. En attendant le Nobel, elle sait remercier en toute discrétion ses bienfaiteurs.

 Prix Marguerite Duras

Le 23 mai 2005 Colette Fellous est la lauréate du Prix Marguerite Duras. Hasard (ou nécessité de renvoyer l’ascenseur ?) : à peine un an plus tard, le 23 juin 2006 Colette Fellous consacre une partie de « Carnet nomade » aux 10 ans de la mort de Marguerite Duras. À cette occasion elle invite des membres du jury du... Prix Marguerite Duras : Alain Vircondelet, Chantal Thomas, Raphaël Sorin, Macha Méril, Patrick Poivre d’Arvor. Coïncidence (ou connivence ?) : les participations à « Carnet nomade » de membres du jury ne s’arrêtent pas là. Y ont été invités : Chantal Thomas à 27 reprises [9], Alain Vircondelet à 3 reprises [10], Viviane Forrester à 2 reprises [11] et Macha Méril une fois [12].

 Prix de la Ville de Deauville

Le 5 mai 2010, Le Nouvel Observateur nous apprend que « Le jury du prix de la Ville [de Deauville], qui récompense chaque année un roman inspiré par une musique, était présidé par Jérôme Garcin [du Nouvel Observateur], a couronné "Pour Dalida" (Flammarion), de Colette Fellous, qui a évoqué avec beaucoup de charme les influences méditerranéennes de sa mère. » C’est sans surprise que le 8 septembre 2012 Colette Fellous consacre « Carnet nomade » à Deauville. Parmi ses invités : Philippe Augier, le maire de Deauville, et Jérôme Garcin, le président du jury du Prix de la Ville de Deauville, dont elle fut donc la lauréate.


Publicité gratuite dans « Carnet nomade » pour des auteurs édités par Colette Fellous [13]

Le fait le plus marquant de sa carrière de « copinages » est lié à sa fonction de directrice de la collection « Traits et portraits » au Mercure de France. En effet, à l’exception de Marie N’Diaye, tous les auteurs publiés dans cette collection ont été invités dans « Carnet nomade » :

- à 9 reprises : Roger Grenier [14] et Yannick Haenel [15]

- à 4 reprises : Pierre Alechinsky [16], Christian Lacroix [17], Jean-Marie G. Le Clézio [18], Jean-Bertrand Pontalis [19] et Enrique Vila-Matas [20]

- à 3 reprises : Jean-Christophe Bailly [21], Catherine Cusset [22], Erri De Luca [23] et Diane de Margerie [24]

- Etc. [25]

Encore merci ! Il n’est pas nécessaire d’imaginer Colette-Fellous-éditrice-au-Mercure-de-France en train d’appeler Fellous-Colette-de-France-Culture pour lui suggérer d’inviter un des auteurs de la collection qu’elle dirige : il semble normal pour Colette Fellous de privatiser « son » émission – une émission de service public, payée par la redevance, et donc par tous les contribuables français – pour y recevoir « ses » auteurs.


***



Colette Fellous a réussi l’impossible : unir la culture (telle qu’elle la conçoit) et l’industrie, en tout cas une industrie très particulière, celle des CRAC (Copinages, Renvois d’Ascenseur et Connivences). Cette union est si intense et durable qu’il serait normal que Colette Fellous rebaptise « Carnet nomade » en « Carnet d’adresses » ou en « Carnet mondain »…

Que l’on ne s’y méprenne pas : notre objectif n’est pas ici de tacler un individu, mais de dénoncer des procédés exemplifiés par cet individu. Colette Fellous n’est en effet qu’un symptôme de pratiques largement répandues sur le service public et, si son nom est relativement inconnu, chacun doit imaginer ce que peuvent se permettre des producteurs et présentateurs plus en vue et mieux installés. Ne pourrait-on envisager qu’un jour le Conseil supérieur de l’audiovisuel se penche sur les émissions culturelles du service public de l’audiovisuel afin de faire cesser ce petit jeu où éditeurs, auteurs, animateurs et producteurs s’auto-invitent pour s’auto-promouvoir continuellement ?

Denis Souchon



Post-scriptum du 05/06/2015 :

Télérama annonce le 05/06/2015 que « France Culture remercie Colette Fellous [...]. Colette Fellous, 65 ans, ne fera pas partie de la nouvelle grille [à la rentrée de septembre] [...]. Après le départ d’Alain Veinstein [...] la direction pousse ainsi vers la sortie un autre pilier de la station. Après lui avoir reproché de fournir une émission "trop littéraire", son directeur Olivier Poivre d’Arvoir lui aurait toutefois proposé de réfléchir à une longue série d’été pour l’été 2016 ».

Nous avons là l’illustration des pratiques autocratiques du directeur de France Culture que nous relevions dans deux articles du 18 octobre 2010 dans « Pascale Casanova licenciée ? "Circulez", par le médiateur et le directeur de France Culture » et du 19 juillet 2011 dans « Olivier Poivre d’Arvor, autocrate de France Culture, licencie ».

Ces deux articles étaient mis en lien, dans notre article du 2 juin 2015 consacré à Colette Fellous, dans le passage suivant : « les 22 novembre 2009 et 26 octobre 2013 Colette Fellous recevait son patron Olivier Poivre d’Arvor, l’autocrate de France Culture, dans "Carnet nomade" ».

Comme quoi inviter son patron dans « son » émission n’aura pas constitué une assurance tous risques pour Colette Fellous.

D’après Télérama, Olivier Poivre d’Arvor aurait reproché à Colette Fellous de « fournir une émission "trop littéraire" ». Il pouvait difficilement lui reprocher des copinages dont il était lui-même partie prenante...

Quelques lecteurs auront pu être troublés par la proximité de la date de notre article et celle de l’annonce du renvoi de Colette Fellous de France Culture. Nous nous permettons de noter que nous n’avons jamais demandé le renvoi de qui que ce soit (même pas d’Éric Zemmour), que d’autres que nous avons épinglés pour le même genre de pratiques n’ont, d’après nos informations, jamais été inquiétés, et de renvoyer à la conclusion de notre article du 2 juin 2015. Qui plus est, rappelons que, connaissant les pratiques autocratiques qu’ont structurellement les directeurs des stations de Radio France, nous avons proposé « une réflexion sur quelques modalités d’appropriation démocratique du secteur public (et singulièrement des radios publiques) sans lesquelles il n’est pas de service public digne de ce nom ».

 
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Notes

[1Les 28/01/2012 et 18/01/2014.

[2Source.

[4Les 16/01/2005, 25/112007 et 14/3/2010.

[5Les 3/02/2006, 9/5/2010 et 18/4/2015.

[6Source.

[7Source.

[8Les 7/4/2006, 21/7/2007, 20/01/2008, 22/3/2009, 28/02/2010, 20/02/2011, 8/9/2012, 25/5/2013, 24/01/2015.

[9Les 02/09/2005, 09/09/2005, 16/09/2005, 30/09/2005, 14/10/2005, 28/10/2005, 11/11/2005, 02/12/2005, 09/12/2005, 13/01/2006, 10/02/2006, 27/01/2006, 31/3/2006, 07/04/2006, 26/05/2006, 09/06/2006, 07/07/2006, 16/09/2006, 14/10/2006, 06/01/2007, 27/01/2007, 03/03/2007, 21/07/2007, 23/03/2008, 12/09/2010, 14/09/2013, 12/04/2014.

[10Les 17/02/2006, 05/05/2006 et 07/07/2007.

[11Les 22/02/2009 et 19/04/2009.

[12le 23/3/2008.

[13Sources partielles et sardoniques ici et .

[14les 06/01/2007, 08/09/2008, 04/10/2009, 25/07/2010, 27/02/2011, 24/07/2011 02/02/2013, 07/12/2013 et 07/02/2015

[15Les 07/04/2006, 07/10/2006, 28/10/2006, 05/05/2007, 21/07/2007, 16/09/2007, 27/01/2008, 24/12/2011, 14/12/2013

[16Les 06/01/2008, 07/07/2010, 07/01/2012 et le 05/10/2013

[17Les 30/12/2005, 22/06/2008, 18/10/2009 et 05/12/2010

[18Les 25/11/2006, 28/12/2008, 04/01/2009 et 11/01/2009

[19Les 22/03/2009, 08/05/2011, 17/12/2011 et 18/02/2012. Notons qu’en 1999 Jean-Bertrand Pontalis avait publié un livre de Colette Fellous dans la collection « L’un et l’autre » qu’il dirigeait chez Gallimard.

[20Les 28/04/2006, 27/04/2008, 03/05/2009, 19/06/2011

[21Les 30/9/2007, 21/09/2008 et le 04/05/2013

[22les 03/02/2008, 14/9/2008 et 23/02/2013

[23Les 27/01/2007, 13/04/2008 et 09/06/2012. Notons qu’il a aussi été invité le 22/08/2010 dans « 24 h dans la vie de... », une autre émission de Colette Fellous diffusée sur France Culture.

[24Les 03/03/2007, 30/11/2008 et 07/03/2010

[25Ferment la marche triomphale : Chantal Akerman le 04/02/2012, Christian Bobin le 09/03/2008, Jean-Christian Grondahl les 24/02/2007 et 08/11/2009, Pierre Guyotat le 18/07/2010, Rosetta Loy le 13/04/2008, Richard Millet les 02/12/2005 et 30/01/2011, Denis Podalydès le 09/09/2006 (qui a aussi été invité le 21/8/2010 dans « 24 h dans la vie de... », Willy Ronis le 14/10/2005, Jan Voss le 21/09/2008.

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