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Europe : quels économistes s’expriment dans Le Monde (suite) ? Toujours les banquiers !

par Denis Souchon, Mathias Reymond,

Acrimed a approfondi sa précédente étude (mai 2015) portant sur les économistes et/ou experts invités par Le Monde pour aborder la question européenne. Et la réplique est encore plus forte.

Le mois dernier, nous avions publié un article sur les économistes choisis par Le Monde pour aborder la question européenne. Notre postulat était le suivant : les sujets concernant l’euro et la politique monétaire de l’Union Européenne sont aujourd’hui au cœur de l’actualité et marquent un réel clivage politique entre – faisons simple – partisans et opposants de l’orientation actuelle de la zone euro (remise en cause ou non de certains fondements des Traités de Maastricht et de Lisbonne), et, dans ce débat, Le Monde a choisi son camp (ce qui est entièrement son droit, évidemment).

Notre article démontrait que sur trois mois (janvier-février-mars 2015) le quotidien vespéral (des marchés) avait donné la parole 75 fois à des économistes sur ces sujets. Le résultat était en effet sans appel : 71% des économistes invités par Le Monde pour traiter de la politique économique de la zone euro étaient membres des banques, de grandes entreprises ou de la BCE. Quand d’autres économistes étaient conviés sur ce sujet, on constatait qu’ils étaient pour l’essentiel favorables à la doxa libérale (12%). Et, en définitive, seules 5% des apparitions d’économistes représentaient des points de vue critiques de l’orientation actuelle de la politique de l’Union Européenne.

Notre article a fait réagir Mathilde Damgé du Monde. Sur son compte Twitter, elle anathématise notre méthode : « articles et tribunes mélangés, recherche exclusive sur la pol eur. [politique européenne] et le terme "économiste" et pas de recherche sur le web... »

Puis, dans la foulée de notre publication, le blog Captain Economics a publié un papier pour savoir « quels économistes s’expriment le plus dans Le Monde ». Certes, l’échantillon est plus copieux (9 000 articles de la rubrique économie du Monde publiés durant l’année 2014) et l’article ne s’intéresse pas qu’à la seule question de l’Europe, mais la méthodologie choisie comporte un biais colossal (que concède volontiers le Captain’) : seule la partie payante (visible) des articles est prise en compte. Ravie, la journaliste Mathilde Damgé a salué un « boulot, intéressant et circonstancié, qui permet d’aller un peu plus loin ». En effet, les résultats soulignent que les économistes les plus souvent invités par Le Monde ne sont pas des banquiers, mais Thomas Piketty (auteur d’un best-seller ultra-médiatisé) ou Jean Tirole (« prix Nobel » d’économie [1]), ce qui occulte pour les malvoyants le fait que la doxa libérale se porte bien : les hétérodoxes ont rarement la parole…

Revenons à la critique de Mathilde Damgé qui n’en est pas vraiment une (« articles et tribunes mélangés, recherche exclusive sur la pol eur. et le terme "économiste" et pas de recherche sur le web... ») puisque d’emblée elle feint de ne pas connaître notre protocole de recherche et ne considère pas comme légitime que nous nous attachions au traitement de la politique européenne par Le Monde [2]. Le seul biais de notre étude – que nous reconnaissions sans problème – était l’usage du terme « économiste » par Le Monde pour définir un individu invité à s’exprimer dans le quotidien.
Du coup, nous avons affiné notre recherche et étendu notre champ d’investigation sur la période du 1er janvier au 30 avril 2015. En nous servant de la base initiale qui a servi pour faire l’article précédent, nous avons ajouté d’autres termes appropriés à la question européenne (en plus de « BCE », « euro », « zone euro », « UE », « Draghi », « Mario », nous avons ajouté « Union monétaire »), puis nous avons ajouté les occurrences suivantes à notre recherche : « professeur d’économie », « conseil d’analyse économique », « économistes » (au pluriel)…

On arrive donc à une somme de 121 invitations d’économistes et/ou experts dans le quotidien pour aborder la politique monétaire de la zone euro sur quatre mois.

Avec la crainte de nous répéter et de faire « gazouiller » plus vite que son ombre Mathilde Damgé, les résultats sont du même acabit que ceux de l’article précédent :
 Le premier constat est terrible : les femmes ne cumulent au total que 8 apparitions sur 121, soit à peine 5% des invitations !
 Le deuxième résultat est accablant : 71% des économistes et/ou experts invités (toujours !) par Le Monde pour traiter de la politique de la zone euro sont membres des banques, de grandes entreprises ou de la BCE. Et quand d’autres économistes sont conviés, on constate qu’ils sont pour l’essentiel favorables à la doxa libérale (14%).
 Enfin, seules 3% des apparitions d’économistes représentent des points de vue critiques de l’orientation actuelle de la politique de l’Union Européenne.

Alors oui, il n’est question « que » de la politique européenne, mais c’est ce sujet majeur qui donne le « la » des politiques nationales et qui détermine et structure les clivages les plus marquants aujourd’hui (euro ou non, rapport à la Grèce et à l’Espagne, indépendance de la BCE, politique d’austérité ou pas, etc...). Force est de constater que sur ce sujet, Le Monde délimite avec constance et intransigeance le périmètre des discussions, sélectionne avec vigilance les participants et par suite contribue à ne pas mettre en question ladite politique européenne.

Mathias Reymond et Denis Souchon



Annexe : Liste des économistes invités

 
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Notes

[1En réalité le prix Nobel d’économie n’existe pas : « La particularité du « prix Nobel d’économie » tient d’abord au détournement de capital symbolique qui le fonde : il a été créé à l’initiative d’une Banque centrale, la Sveriges Riksbank ("banque royale de Suède"), et il est doté par elle (et non par la Fondation Nobel) d’un montant annuel d’environ 1,2 million d’euros en 2001. » (Frédéric Lebaron, « Le "Nobel" d’économie : une politique », Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 141-142, mars 2002. pp. 62-65.)

[2Notons au passage qu’il faut être bien naïf et/ou prétentieux pour croire qu’une enquête qui a demandé des dizaines d’heures de travail puisse être invalidée en 140 signes.

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