Si vous ne trouvez rien, cherchez autre chose
Le navigateur le plus expérimenté aurait bien du mal à suivre les louvoiements permanents de la pensée de Laurent Joffrin. Dans ses éditoriaux, le directeur de Libération souffle le froid et le chaud à propos des négociations entre la Grèce et ses créanciers.
Laurent Joffrin se fait-il le pourfendeur de l’austérité « excessive » imposée à la Grèce ? Les « médications keynésiennes » avancées par Syriza ne trouvent pas davantage grâce à ses yeux. Il faudrait, avance-t-il mystérieusement, « essayer autre chose ». Autre chose : il suffisait d’y penser !
Laurent Joffrin affirme-t-il, à propos de l’allègement de la dette grecque, que cette revendication « n’a rien d’extravagant » et que « l’Europe doit le comprendre » ? Cela ne l’empêche pas de mettre en garde contre les « solutions radicales » des « croisés de l’effacement des dettes ».
Laurent Joffrin dénonce-t-il le traitement « stupidement brutal » imposé à la Grèce par l’Union européenne, laquelle « ne peut continuer dans cette voie » ? Il applaudit, dans son éditorial du 11 juillet, la « solution sociale-démocrate » de l’accord qui s’annonce entre la Grèce et ses créanciers… Un accord où le gouvernement grec accepte pourtant des mesures d’austérité encore plus drastiques que celles exigées initialement [1]. Cohérence, quand tu nous tiens…
Soyons réalistes, exigeons l’austérité
L’acceptation de l’austérité jadis « stupidement brutale » semble être devenue une marque de « réalisme » pour le directeur de Libération. Au fond, Tsipras a bien fait d’avaler la « potion amère qu’on lui présentait » puisqu’il n’y avait « sans doute pas d’autre compromis possible [2]. » Il s’agit là d’une leçon à méditer pour la gauche radicale : « il était illusoire, trompeur, pour ne pas dire démagogique, de promettre aux Grecs la fin de l’austérité. »
« Dans sa cruauté nue, explique Joffrin, la crise grecque a agi comme un crash test pour les idées fausses, les promesses intenables et les rhétoriques venteuses. » Le directeur de Libération appelle ainsi la gauche radicale à revenir à la « lucidité » ; c’est-à-dire à accepter les mesures d’austérité européennes… pour mieux combattre l’austérité au sein de l’Union européenne.
Comme il l’explique ailleurs, l’alternative est la suivante : « continuer de soutenir Tsípras, accepter la logique de la rigueur financière, quitte à plaider encore et toujours pour une autre Europe » ou « se désolidariser de Tsípras […] et choisir, plus ou moins officiellement, la voie anti-européenne. » Choisir l’austérité et « l’Europe » ou être voué au souverainisme voire au Front national, belle alternative en vérité.
Inutile de préciser le choix que devra faire la gauche « réaliste », appelée des vœux de Joffrin. Car en effet, apprend-on sous sa plume, faute de convergence entre les forces de gauche, « l’austérité, la vraie, celle de la droite, l’emportera ». Rigueur de gauche contre austérité de droite ? Enfin, une vraie alternative... « Rhétorique venteuse » mise à part, bien entendu !
Frédéric Lemaire