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Une tribune libre

Propagandes silencieuses et bavardages

A propos d’un ouvrage d’ Ignacio Ramonet

Erwan, de Paris, nous a fait parvenir la tribune libre suivante à propos de Propagandes silencieuses d’Ignacio Ramonet [*].

Propagandes silencieuses - Masses, télévision, cinéma (Édition Galilée) est le titre du dernier ouvrage d’Ignacio Ramonet, rédacteur en chef du Monde diplomatique et spécialiste de la communication que l’on sait. L’auteur propose, au moyen de ce livre, de nous présenter « comment nous sommes mentalement influencés, contrôlés, conditionnés ». La quatrième de couverture nous précise aussi, un peu plus loin : « À l’aide de nombreux exemples puisés dans la télévision ou le cinéma, il nous explique quels sont les mécanismes et les procédés de l’endoctrinement contemporain. »

Certes, le constat qui est dressé en la matière par Ignacio Ramonet n’est pas rose, loin s’en faut. La richesse et la variété des outils utilisés pour nous manipuler est conséquente, de plus en plus largement et judicieusement employée. Toutefois, l’auteur agrandit et noircit un tableau déjà bien vaste et ténébreux, allant chercher de la propagande dans quelques recoins ou elle demeure absente, semble-t-il, pour l’instant en tout cas…

Le chapitre Spots publicitaires comporte une partie de deux pages intitulée Un genre discret (p. 50-51), dans laquelle il est question de la façon peu prégnante mais signifiante dont lesdits spots sont insérés au cœur d’un programme télévisé. L’auteur traite d’abord de façon plus ou moins convaincante des « marqueurs de début et de fin », entre lesquels sont insérés une série de spots (il revient notamment sur la symbolique de la séquence qui montrait une pomme se transformant en fleur, que l’on pouvait voir si souvent sur Antenne 2). On regrettera au passage que l’auteur ne se soit pas davantage intéressé aux marqueurs actuellement utilisés par les chaînes hertziennes. Puis il aborde ces brefs écrans intermédiaires qui séparent chaque spot, au cœur de ce que l’on nomme « une page de pub ».

C’est sur ces flashs intermédiaires qu’Ignacio Ramonet termine un peu brutalement sa partie, comme suit :
« […] Ces tâches possèdent une couleur différente selon la chaîne, et une couleur qui est loin d’être insignifiante. Elle est, depuis toujours, bleue sur TF1 pour évoquer le ciel ou la mer, l’immensité, la tranquillité, la douceur, le respect. Elle fut longtemps verte sur France 2, pour suggérer la verdure des campagnes, la nature, l’écologie, l’espoir, le calme, la fraîcheur. Aujourd’hui, sur cette chaîne publique, comme sur France 3, elle est devenue blanche, comme l’immaculé, la pureté et l’innocence. Elle est, curieusement, noire sur Canal Plus, comme la nuit, le remords ou l’amnésie. Ces points lumineux instantanés offrent ainsi à l’œil de rapides échappées, des évasions fugaces, et favorisent, accentuent, entre chaque pub, la suggestibilité [1] des téléspectateurs. »

Je me suis posé une multitude de questions après la lecture d’un tel passage. L’auteur constate ici qu’un choix fort variable a été fait selon les chaînes, quant à la couleur de ces « points lumineux instantanés », puis il clôt son chapitre sur le rôle supposé de ces écrans, indépendamment de leur couleur.
Le fait que chaque chaîne utilise sa couleur, chaque fois différente de celle de la concurrence, n’est-il pas, au contraire, symptomatique d’une absence de règle, de recette miracle en matière de « suggestibilisation » des téléspectateurs ? On comprendrait qu’il y ait manipulation si toutes les chaînes utilisaient peu ou prou la même couleur, ou encore si la couleur variait en fonction du spot suivant ou précédent, mais ce n’est pas le cas. S’agit-il d’une sorte de signal indiquant la politique générale de la chaîne ? Mais alors, ces tâches mises à part, en quoi TF1 est-elle plus douce que ses concurrentes et France 2 plus fraîche par le passé, plutôt innocente aujourd’hui ? D’où diable Monsieur Ramonet tire-t-il le signifié des différentes couleurs énoncées ? D’un petit dictionnaire des symboles ? Pourquoi les chaînes françaises voudraient-elles évoquer, entre les spots qu’elles diffusent, des notions parfois contradictoires telles que l’espoir ou l’amnésie, l’innocence ou le remords, la blancheur immaculée et la nuit ?

En quoi cette question de la couleur des écrans entre chaque spot publicitaire mérite-t-elle d’être abordée ? Ignacio Ramonet ne va pas au bout de son analyse. Par la présence de cette remarque dans son livre, il suggère l’existence d’une manipulation quelconque, mais elle n’est pas idéntifiée. En tout cas elle ne nous est pas précisée. Pourquoi prendre ce risque de générer de l’inquiétude, sans présenter le moindre argument valable ?

Erwan, de Paris E-mail : r-1@mangoosta.fr

 
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Notes

[*Les articles présentés comme des tribunes n’engagent pas nécessairement la responsabilité d’Acrimed

[1Voici une définition du mot « suggestibilité », absent du Petit Robert, mais que j’ai trouvée dans Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, ouvrage de Louis-Marie Morfaux (Éd. A. Colin, 1980) : « Psy. Caractère ou état de l’individu qui est très accessible à la suggestion, c.-à-d. qui réagit à un signal (ordre ou objet) de façon machinale, sans la participation active de la volonté. […] »

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