MANIFESTE POUR LA DEFENSE DE FRANCE CULTURE
Véritable exception culturelle dans le paysage audiovisuel, France Culture avait réussi, non sans peine, à préserver jusqu’à aujourd’hui sa spécificité. Depuis la nomination de Jean-Marie Cavada à Radio France et de Laure Adler à France Culture, on assiste à la banalisation d’une station de radio qui était unique en son genre. La nouvelle grille des programmes, qui est d’ores et déjà en vigueur, est en train non seulement de détruire le potentiel de production qui s’était lentement construit autour de cette station mais aussi de décevoir le public d’auditeurs qui se reconnaissaient en elle.
Sous prétexte « de conquérir de nouveaux publics (...) dans une situation de marché concurrentiel (...) de plus en plus violente », Jean-Marie Cavada, ne fait qu’importer, à France Culture, les « recettes » qui sont censées avoir fait le succès des stations de radio publiques et privées mais qui auront pour seul effet d’en faire une station de radio comme les autres. Nombre d’émissions construites et préparées qui faisaient la renommée de la station ont déjà été remplacées, par des émissions en direct où se succèdent, par tranches, des flashs d’information, des échos dignes de la presse people et des débats improvisés sur les problèmes dans l’air du temps. Le souci de « personnaliser » les émissions de France culture conduit, comme ailleurs, à une politique coûteuse de recrutement de « célébrités » médiatiques qui, déjà présentes sur tous les médias, viennent faire sur cette radio ce qu’elles font déjà largement ailleurs. Le souci de « faire jeune », qui semble être devenu la clé universelle de la « modernité », et surtout du succès d’audience, porte à oublier que la radio, surtout à vocation culturelle, est un véritable métier exigeant expérience, compétence et travail. Le souci enfin de paraître « mode » et « branché » qui paraît aujourd’hui tenir lieu d’avant-gardisme culturel n’est que l’alibi d’une programmation principalement centrée sur l’actualité et l’événementiel avec, pour conséquence, le fait que France Culture, à son tour, parle désormais de ce dont tout le monde parle, notamment dans les médias parisiens , et qui, bien souvent, n’est qu’une forme à peine déguisée de publicité pour les livres, les disques ou les films les plus France Culture n’est pas réductible à un taux d’écoute instantané parce qu’elle vise non à susciter des audiences maximales pour les publicitaires mais à produire, des émissions de qualité qui sont destinées à enrichir une véritable encyclopédie sonore et qui peuvent être régulièrement rediffusées. Combien d’émissions de la nouvelle grille, improvisées et souvent bâclées, pourront l’être ?
France-Culture n’est pas, comme la plupart des radios, une radio « de flux » mais un élément essentiel dans la mission de service public que l’Etat remplit dans le domaine de la culture. Elle est, faut-il le rappeler, le plus grand diffuseur culturel en France : elle émet 24 heures sur 24 et touche à toutes les disciplines. Elle est aussi une instance essentielle de production et de divulgation d’une culture de haut niveau, traitant de manière à la fois approfondie et attractive les sujets et les livres dont bien souvent personne, dans les autres médias, ne rend compte. La mettre en compétition avec des stations commerciales qui ont d’autres intérêts et d’autres fonctions, c’est la tuer en tant que telle.
Cela ne signifie pas que toute réforme soit d’emblée à exclure. Des changements et des améliorations étaient devenus nécessaires. Encore faudrait-il que les réformateurs, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui, aient compris que l’existence même de France Culture est en soi une sorte de miracle et que l’exception culturelle doit aussi, et d’abord, être défendue dans nos propres institutions médiatiques. France Culture, produit d’une longue histoire, a lentement attiré à elle des créateurs, des producteurs et un public fidèle, celui-ci ayant droit, comme les autres catégories de public, au respect de ses attentes. Le bouleversement brutal des programmes qui est opéré aujourd’hui à France Culture sans consultation préalable des producteurs et des auditeurs n’est pas une réforme mais une véritable liquidation.
Comparé aux budgets des chaînes de télévision publiques, le coût de France Culture est dérisoire, surtout si on le mesure aux services qu’elle rend. En tout cas, il ne justifie aucunement que les responsables de la station, sans y être préparés ni autorisés par aucune compétence particulière, puissent se comporter en véritables « repreneurs d’entreprises en péril » qui se sentent en droit d’imposer, par les méthodes les plus autoritaires, un « plan de sauvetage et de redressement » dans un secteur déjà fragilisé par une précarisation croissante des emplois. La situation actuelle de France Culture n’est que le symptôme le plus alarmant de tout le devenir actuel des médias, de plus en plus dominés par la logique du marché et les méthodes du marketing, et pose un problème beaucoup plus général qui est celui de la place qui doit revenir à l’Etat dans les domaines où l’intérêt général est en cause. C’est pourquoi le combat pour France Culture n’est pas une simple défense corporative inspirée par quelques nostalgies élitistes. Défendre France Culture, c’est défendre une idée exigeante du service public et une culture indépendante.
novembre 1999
– Première liste de 1015 signataires (novembre 1999)
– Deuxième liste de signataires(novembre 1999-février 2000)
– Troisième liste de signataires (février 2000-septembre 2004)
Signatures postérieures au 19 septembre 2004 :