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Tribune

La fin des mass media

par Lorenzo Soccavo,

Vers la fin des médias de masse au bénéfice des médias participatifs ? Une réponse positive dans cette tribune.

 [1]

La critique des médias de masse se développe. Leur empire s’effrite. Demain, Internet, média de flux et participatif pourrait bien être l’alternative et marquer le début d’une nouvelle ère d’échanges. Les dernières avancées techniques et les prospectives vont dans ce sens.

La fabrique de l’information relève aujourd’hui d’une telle industrie, ses mécanismes sont tellement apparents, ses effets criants, qu’il est évident que la critique des médias ne va cesser de croître et que leur avenir est compromis à moyen terme. En marge de ce déclin, se développe la mouvance du logiciel libre qui prône et pratique la copie, mais au-delà l’analyse et la modification des codes sources pour améliorer et personnaliser les programmes. "Le libre" apparaît aujourd’hui à la pointe de nouvelles pratiques de publication et d’échange d’informations.

Des mouvements convergents

Démarchandisation pour les tenants de l’antimondialisation, meilleur système de concurrence pour ceux du libéralisme, le mouvement du logiciel libre exprime la plasticité propre aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). D’autres mouvements convergent pour de nouvelles règles du jeu.

Les weblogs (automédias), l’open source (publication ouverte sur des sites collaboratifs), le Wi-Fi (réseaux associatifs sans fil sur des fréquences libres), le peer to peer (liaison poste à poste sans passer par un serveur)… Communiquer et télécharger librement s’affirment comme de nouvelles revendications.
Un Internet de nouvelle génération s’installe, conjointement à une e-citoyenneté qui ne se limitera pas au vote électronique et à l’e-administration. Le foisonnement des "pages perso" n’est qu’une expression de ces aspirations nouvelles.

Participatif, contributif, Internet développe toutes les caractéristiques d’un nouveau média actif, à défaut, pour l’heure, d’être réellement interactif.

Le phénomène weblog, véritables journaux en ligne tenus par des journalistes amateurs annonce clairement la couleur en court-circuitant la chaîne traditionnelle journaliste-éditeur-annonceur. En se saisissant des moyens de production et de diffusion, les blogueurs échappent aux contraintes et aux pressions économiques qui s’exercent sur les vieux médias.

La mutation des échanges

Si les médias sont porteurs de leur vieillissement, leur crise est également liée à la mutation des télécommunications.

Les industriels optent pour une convergence basée sur la numérisation des signaux vidéo (Télévision Numérique Terrestre) développée en fonction des pratiques des utilisateurs. Peu ou prou, poussés par les gouvernements, les financiers suivront. Malgré les crises boursières et la chute des vieux monopoles. Les débarquements, par des actionnaires et conseils d’administration soucieux de rentabilité immédiate, de dirigeants qui parient sur le long terme, n’empêchent pas "la société de l’information" d’être l’objet d’un plan d’action gouvernemental.
Le wireless (sans fil), le développement des applications multimédias mobiles libèrent les terminaux et leurs utilisateurs. L’accès à l’Internet haut débit couplé à des CMS (systèmes de gestion des contenus) ouverts, offriront à chacun la possibilité d’accéder à tout moment à une info personnalisée selon ses centres d’intérêts et de publier son point de vue, sans aucune compétence technique préalable (PHP et nouveaux types de programmation Script Python).

Conjointement, de nouveaux supports de consultation (PC-pocket, e-books, téléphones/PDA) permettront à la fois mobilité et réactivité à l’info. Télémédecine, téléassistance, téléservices, téléformation et télétravail élargiront la portée du préfixe.

Dans la foulée du marketing de la différence, qui s’adapte aux contextes culturels des marchés à conquérir, le marketing personnalisé, qui cible directement les préférences de chaque consommateur prendra le pas sur la publicité.
Émulation du débat public, mutualisation des compétences et des savoirs, personnalisation des audiences et interactivité caractérisent les médias de demain.

" Le silex est moderne " (Cro-Magnon)

Dans les faits, le progrès ne s’est jamais arrêté aux barrages intellectuels ou éthiques que nous dressons pour nous protéger, ou que les idéologues échafaudent pour soi-disant nous défendre.

Tout nous apparaît un jour comme définitivement "moderne", en bien ou en mal, et un peu plus tard comme "dépassé".

La séparation entre spectateur, consommateur et électeur, entre spectacle, marché et démocratie s’estompe. Confusion ou clarification ?

L’on voue aux gémonies ces enfants de la télé qui s’exhibent dans Loft Story, mais depuis plusieurs années les webcams offrent en direct le même spectacle. On dénonce trop tard, après le 21 avril 2002, le traitement de l’info de proximité.
L’info, devenue produit d’appel, doit être rentable. Les médias ne sont plus que des multinationales fonctionnant dans une logique de marché. La crédibilité de l’info en temps de guerre, de crises politiques ou économiques est de plus en plus sujette à caution. Tant pour ses coûts que pour ses risques, le journalisme de terrain cède le pas. Les NTIC interviennent de plus en plus dans la recherche d’informations. Ils modifient l’écriture, annihilent toute vérification, tout recul, en propageant les nouvelles en temps réel. Les signes de la fin sont flagrants. Le journalisme d’idées disparaît sous l’infotainment (info de divertissement), sport spectacle et publireportages. La critique est d’autant plus douteuse que les médias sont partenaires dans l’organisation de véritables messes culturelles.
Mais, si le métier change, la profession de journaliste s’ouvre. Des anonymes prennent la parole. Les weblogs redonnent un second souffle à la presse d’opinion et à la critique culturelle et artistique. Sur les webrairies (librairies en ligne) c’est la critique libre des lecteurs qui fait vendre.

Médias participatifs contre médias de masse

Aujourd’hui ce ne sont plus les grands reporters sur la brèche, mais chacun qui ressent les soubresauts permanents du monde.

L’actualité disparaît au profit de l’instantanéité.

Pour l’heure les internautes sont encore comme des aiguilles sans cadran. Mais demain chaque spectateur sera acteur.

Les médias de masse n’ont pas été conçus pour massifier les populations. Mais l’histoire prouve qu’ils ont contribué à façonner les nationalismes, l’uniformisation et cette mondialisation tant décriée. Depuis les débuts la lutte est serrée entre information et manipulation, communication et propagande. Aujourd’hui la confusion règne. Tout ou presque fini en spectacle. Les mécanismes de financement priment sur la fabrique de l’information.

Le 11 septembre 2001 des blogueurs, et plus largement les communautés interactives de news ont prouvé qu’ils pourraient un jour rivaliser avec les médias coutumiers qui se ressemblent de plus en plus. Les sites de ces derniers trahissent l’inconfort de leur position. Archives payantes, contenus en ligne non adaptés, contrôle des forums, abus de la self-syndication (publication sur plusieurs sites clients des mêmes news), signent leur politique de contrôle du message et de maîtrise de sa diffusion.

Chaînes payantes, journaux gratuits, télé "réalité" sont autant de tentatives de durer.

Mais déjà des vedettes et des sportifs court-circuitent les journalistes et communiquent d’abord sur leurs propres sites Internet. Les campagnes électorales s’orientent vers ces nouveaux moyens permettant de toucher et de dialoguer directement avec les électeurs. Aux États-Unis le développement du téléwebbing (suivre le JT en surfant sur le Web) révèle l’émergence d’un nouveau mode de consommation de l’information.

Vers une info sans journalistes ?

Dans "Les journalistes sont-ils condamnés à disparaître ?", nous posions comme impérative une réforme en profondeur de la profession de journaliste, mise en jeu, d’une part, par la révolution numérique, d’autre part, par une précarisation galopante et parfois, il faut le reconnaître, aggravée par les archaïsmes d’une pensée syndicale en retard d’un train sur les inévitables évolutions de la société.

L’info sans journalistes existe déjà en ligne, par l’emploi d’outils logiciels permettant de traduire, reformuler et résumer automatiquement des textes divers et variés.

Pour l’automne 2002, l’information anglophone a vulgarisé la pratique en lançant Google News.

Collecter et compacter, hiérarchiser et redistribuer de l’information sans intervention humaine, ces possibilités nouvelles ne font que stigmatiser les enjeux auxquels un métier du 19ème est confronté à l’aube du 21ème siècle.
La gestion des médias va en être profondément bouleversée.

Mais, petit à petit, les comportements changent et, conjointement à un libre accès et à une libre expression, les internautes admettent de plus en plus de devoir payer certains services. Ce passage au clic payant est toujours lié à la reconnaissance d’une valeur ajoutée. Cette dernière passe, en partie, par des offres issues de la technique (par exemple le couplage haut débit et format PDF permettra bientôt de recevoir avec la même attractivité qu’une version papier, mais dès son bouclage et jusqu’au coin le plus reculé de la planète, son journal préféré...) Mais pas seulement.

Le libre-arbitre de l’internaute reprécise également une distinction fondamentale que nous étions en train d’oublier, celle entre ce qui peut être produit mécaniquement, et, ce qui ne peut être que le fruit d’un travail humain et d’une réflexion consciente.

Vérifier, mettre en perspective, commenter l’information dans un contexte d’interactivité seront les tâches ancestrales des cyberjournalistes.

Interactivité ou libre-arbitre ?

Ce que les gestionnaires des mass media ont longtemps oublié, c’est que l’audience c’est un + un + un etc.

Plutôt que d’interactivité, parlons d’apprentissage du libre-arbitre.
L’interactivité sert de carotte pour les technophobes. Le système pull & push (possibilité de recevoir et d’envoyer une information à son initiative) et l’émergence du vrai multimédia vont atomiser les parts d’audience en électrons libres, en citoyens responsables et participants de l’infosphère.

Déjà l’Intelligence Open Source développe la production collaborative de l’information et s’affirme comme une nouvelle pratique e-citoyenne, via listes de discussions et sites de 2ème génération. Rien à voir avec les newsgroups où l’anonymat favorise les dérapages.

Sans compétence technique, chacun peut trouver, approfondir et recouper une information. Il s’agit d’un accès libre et permanent à une info à la carte, multimédia, avec liens documentaires, photos, sons et vidéos. Le système permet à la fois, la traçabilité de l’info, l’actualisation en temps réel, l’apport encyclopédique des connaissances s’y rapportant, la possibilité de contribuer et d’archiver. Une nouvelle écriture journalistique collective, faisant intervenir experts, témoins, etc.

Internet est un réseau en abîme, réseau de réseaux de réseaux qui génèrent de leurs interconnexions une nouvelle forme d’intelligence.

Neandertal.com

Tous les rapprochements deviennent possibles. Par exemple, entre l’expérience suisse du Biowall (mur électronique doté de la capacité d’autoréparation d’un être vivant) et les théories du philosophe Pierre Lévy sur l’intelligence collective et la cyberculture…

La pensée prospective peut s’autocensurer. Mais à aucune époque l’homme n’est parvenu à stopper la marche en avant. Un jour viendra où clonage et intelligence artificielle s’enrichiront, où des hommes génétiquement modifiés cohabiteront avec des cyborgs. C’est inévitable.

Les recherches sur les maisons communicantes (domotique), la robotique humanoïde et les biotechnologies progressent à pas de géants. Même si les médias en rendent compte avec une grille de lecture du siècle passé !

Lorsque nous aurons condamné le professeur Antinori, comme jadis Galilée, est-ce que cela empêchera l’évolution de progresser ? Non. Nous prendrons juste un peu de retard.

Dénoncer dans les NTIC un appareillage tout juste bon à promouvoir la mondialisation ultra-libérale est aujourd’hui bien vu. Mais demain ?

Internet est le média de demain.

Si les dérapages y sont inévitables, si la désinformation y fait ses niches, en revanche, justement parce qu’incontrôlable, Internet ne pourra devenir un média d’endoctrinement et sera un réel vecteur de démocratie, du droit de chacun à la culture et à l’information.

Lorenzo Soccavo

 
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Notes

[1Les articles présentés comme des tribunes n’engagent pas Acrimed.

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