Libération, le vendredi 14 avril, publie dans les pages Rebonds une Tribune libre d’Yves Laplace, sous le titre suivant " Kosovo : l’imposture Noam Chomsky " et pour surtitre " Pour l’auteur du " Nouvel Humanisme militaire " , les génocidaires seraient les " impérialistes " américains et non les séides du régime Milosevic ".
Cette tentative de "réfutation " a pour particularité de ne discuter aucun des arguments de Noam Chomsky, mais de multiplier les accusations vengeresses, quand elles ne sont pas franchement injurieuses : le Nouvel Humanisme militaire est " un salmigondis allumé et sectaire ", ses méthodes " des méthodes de ficheur, au sens policier du terme " qui recourt à " l’amalgame, l’insinuation, l’intimidation et la délation " et tente " d’imposer une vision globale, sinon totalitaire, du génocide à travers les âges ". Chomsky obéit à " des mécanismes de pensée proches de ceux qui opèrent dans divers révisionnismes " et " s’abrite derrière sa NON-NEGATION de la Shoah ". Vient enfin la calomnie : " Comme l’a signalé Alain Finkielkraut dans l’Avenir d’une négation (Seuil, 1982), le futur auteur du Nouvel Humanisme militaire relativisait alors le génocide cambodgien - en le rapportant, déjà, aux massacres du Timor-Oriental ".
A cette charge, Noam Chomsky oppose une réponse qui paraît dans Libération le jeudi 25 mai 2000, soit… un mois plus tard. Cette réplique - " Ces génocides que l’on occulte " - est partielle, mais elle vaut comme un démontage des procédés d’Yves Laplace : elle porte sur les accusations falsifiées sur la question du Cambodge.
Il n’en fallait pas plus pour que l’occasion soit donnée à Libération de relancer un non débat et, d’inventer une nouvelle pratique d’encadrement du droit de réponse. Encadrement est à prendre ici au sens fort. En effet, non seulement la réponse de Chomsky est suivie d’une réplique qui, rédigée par Yves Laplace, laisse à celui-ci le dernier mot, mais surtout, fait exceptionnel, la réponse de Noam Chomsky est précédée d’ un "chapeau " - Une mise au point ? Une tribune libre ? Un mode d’emploi ? Une mise en garde ? Une mise à l’index ? - de Jean-Michel Helvig qui mérite d’être citée et commentée [entre parenthèses], tant elle est révélatrice de la morgue dominatrice d’un certain journalisme dominant.
Une préface de Jean-Michel Helvig
" Libération a publié le 14 avril, un texte de l’écrivain Yves Laplace critiquant le dernier livre de Noam Chomsky, récemment publié en Suisse : "le Nouvel Humanisme militaire, leçons du Kosovo". Yves Laplace se livrait à une analyse [vraiment ? ? ?] des errements du linguiste américain s’agissant de la guerre des Balkans, les replaçant dans la logique ancienne d’un Chomsky obsédé de la dénonciation de l’impérialisme occidental en général et américain en particulier [ invention d’un esprit délirant, l’impérialisme occidental serait donc un pur fantasme…].
On avait pu déjà avoir un aperçu de cette démarche lors du génocide cambodgien, quand il s’était employé à relativiser les crimes des Khmers rouges en opérant un détour sur les massacres des Timorais par les Indonésiens alliés de Washington. Comme il relativise aujourd’hui ceux de Milosevic en insistant sur les exactions des turcs - alliés de Washington aussi ! - contre les Kurdes.
[Bref, Jean-Michel Helvig reprend à son compte les accusations - et non les analyses - de Laplace, que Chomsky s’emploie à réfuter dans sa réponse. Mieux : Helvig ne tient aucune compte de cette réponse.]
La critique de Yves Laplace, écrivain souvent invité dans nos colonnes, ne relevait pas du "flot d’invectives" qu’y a vu Noam Chomsky.
[ " Souvent invité " : est-ce parce que Libération dispose d’une pouvoir de consécration particulier, qui l’autoriserait à faire le tri entre les " bons " et les " mauvais " intervenants ? Il faudrait à ce journal une lucidité exceptionnelle, celle-là même qui lui manque quand il ne parvient pas à découvrir le " flot d’invectives " que nous avons rappelé ci-dessus. ]
Ce dernier, qui a adressé à Libération, sa réponse, aurait mieux éclairé sur son livre s’il avait daigné répondre sur le Kosovo plutôt que de régler des comptes vieux de vingt ans sur Timor.
[Autrement dit, il n’aurait pas du répondre à l’accusation qu’Helvig reprend le jour même à son compte, alors que précisément la question du Timor vient d’être rappelée à ceux qui l’avaient oubliée, parfois même depuis son origine. Et Chomsky - pour que le procès puisse se dérouler normalement - aurait dû répondre sur le Kosovo, alors que tout son livre est lui est consacré.]
On lira la réplique de Yves Laplace à Noam Chomsky.
[Une " réplique " d’Yves Laplace qui ne mérite aucune admonestation préalable . Une " réplique " dont le style énergumène contraste cette fois encore avec le ton très paisible de Chomsky. C’est pourquoi " on lira ", dans le contexte de ce procès vaut pour " il faut lire ". Cette " réplique " n’attendra donc pas un mois avant d’être publiée : elle le sera le jour même pour clore ce qu’il faut bien appeler un non-débat ou une exécution journalistiquement correcte.]
Noam Chomsky ayant eu le droit de répondre aux accusations, mais encadré, dans le box des accusés, par deux gardiens du bon ordre intellectuel, Jean-Michel Helvig croyait sans doute en avoir fini avec la mission qu’il s’était assignée. C’était sans compter avec une intervention de quelques universitaires : une intervention qu’on lira ci-après, car elle leur valut une bien intéressante réponse.
La suite :
Libération et Noam Chomsky (2)