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Des attentats du 11 septembre 2001 à la prise de Kaboul

Le Nouvel Observateur pourfend l’ « antimondialisme » et l’ « antiaméricanisme

par Henri Maler,

Des attentats du 11 septembre à la prise de Kaboul, de septembre à décembre 2001, Le Nouvel Observateur s’est illustré par des commentaires d’une très haute tenue sur l’ « antimondialisme » et l’ « antiaméricanisme » [*].

Une prophétie sans frivolité

En chapô de l’éditorial de Jean Daniel (Nouvel Observateur du 13 septembre), cette prophétie (extraite de l’article de l’oracle) : « Après la catastrophe de mardi, les Européens vont se sentir orphelins. Les débats sur l’antiaméricanisme vont devenir frivoles. Et une grande partie des manifestants contre la mondialisation vont être conduits à regretter les institutions internationales ».

Une question bien intentionnée

Question posée par Le Nouvel Observateur à Susan George (sous le titre : « Ajouter des massacres aux massacres, Je refuse ! ») : « Le mouvement anti-mondialisation est-il piégé à l’heure où l’antiaméricanisme est taché de sang ? » Le Nouvel Observateur, 27 septembre 2001 [1]

Des commentaires finement ciselés

Cela fait belle lurette que Le Nouvel Observateur a ouvert des cours de formation permanente destinés à ses journalistes, afin qu’ils apprennent à confondre les « faits » et les « commentaires » que tant d’écoles de journalistes cherchent désespérément à apprendre à distinguer. Cela nous vaut, dans Le Nouvel Obs du 11-17 octobre, un article de François Bazin, subtilement titré « La croisade molle des anti-guerre ». On peut y lire, notamment, ceci :

 « Un certain antiaméricanisme [le mot est lâché] (...) peine aujourd’hui à se transformer en une vraie opposition aux bombardements (...) ». Soit, mais encore ?« Les pacifistes, les vrais, ceux qui vouent à la guerre une hostilité viscérale, sont pour l’instant muets ou inaudibles ». Où l’on devine, quoi qu’on en pense, que pacifisme et « antiaméricanisme » ne sont nullement synonymes : pourquoi cet amalgame ? Muets, les pacifistes ? Certainement pas... Rendus inaudibles, par certain tintamarre médiatique ? Evidemment...

  « Dans ce contexte [une riposte armée légitime], seuls les arguments humanitaires restent utilisables ». Pourtant, constate François Bazin, le groupe des Dix a estimé que - citation - « La logique de la vengeance se substitue au principe de la justice ». Et l’auteur de l’article d’expliquer à sa façon cet argument : « Derrière ces propos se dessine une autre démonstration (...) que seules les extrême-gauche ou les petites troupes qui défilaient samedi dernier à Paris autour de Pierre Bourdieu osent exposer publiquement. » L’argument est discrédité avant même d’avoir été exposé. De « petites troupes » (les grandes ont toujours raison...), qui « osent » (tandis que les grandes n’ont pas à « oser ») et qui « défilent autour de Pierre Bourdieu ». En vérité, avec lesquelles Pierre Bourdieu a manifesté. Mais François Bazin avait besoin de mentir pour satisfaire une exécration très "tendance"....

Une analyse subtilement nuancée

Jacques Julliard-le-subtil, titre élégamment sa chronique du Nouvel Obervateur du 20-26 septembre (page 63) : « L’antiaméricanisme tue aussi ! ». Et nous avertit dans le sous-titre : « Il faut aussi combattre cet amalgame qui confond le peuple américain avec le grand Satan des islamistes et des intellectuels : l’impérialisme ».

La technique de Juillard est des plus simples : j’amalgame d’abord et je distingue ensuite, pour ne pas « verser dans les amalgames que je suis en train de reprocher aux autres » :
«  L’antiaméricanisme de tant d’intellectuels, qui est comme la petite monnaie de leurs illusions évanouies, évite en général d’identifier le peuple américain avec l’impérialisme abhorré. ».

Concession d’une phrase, vite reprise par la suivante :
« Mais il n’évite pas de diaboliser ce dernier au-delà de tout bon sens, et de le tenir pour responsable de tout ce qui va mal dans le monde ».

Existe-t-il au moins un antiampérialisme "de bon sens" ? Que nenni ! Car « ce qui pèse sur le monde actuel, ce n’est pas l’impérialisme des Etats-Unis : c’est la nullité de leur diplomatie". Bon ! Qu’est-ce que l’américanisme de Jacques Julliard ? Une forme diplomatique d’antiaméricanisme ?

Si vous trouvez que la pensée de Jacques Julliard est trop compliquée, vous pouvez vous reporter à cette déclaration de Denis Lecorne, directeur de la Fondation nationale des sciences politiques, dans le même numéro du Nouvel Observateur, page 78-79, qui trace une ligne droite entre l’antiaméricanisme de Heidegger et celui des ... mouvements hostiles à la mondialisation libérale :
« Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, cet antiaméricanisme viscéral franco-allemand [qui amalgame Heigegger et Emmanuel Mounier] se teintera d’une coloration anti-impérialiste, mieux adaptée aux exigences d’ une gauche rédemptrice. Aujourd’hui, d’autres formes radicales de l’antiaméricanisme se manifestent avec la défense de l’exception culturelle, la critique des OGM, d’une science asservie à l’impératif du profit ».

José Bové ? Une réincarnation d’Heigegger …

Une analyse encore plus subtilement nuancée

Frustré de n’avoir pour tribunes hebdomadaires que Le Nouvel Observateur et LCI, Jacques Julliard, conscient des responsabilités qui lui incombent en raison de l’importance de sa pensée, a obtenu de Libération deux pages de « réflexions », parue sous le titre « Misère de l’antiaméricanisme » le 13 novembre 2001.

C’est à ce point inoubliable que nous publierons intégralement cette tribune quand tout le monde - y compris son auteur - l’aura oubliée. En attendant, voici ce que l’on apprend. En quatorze thèses :

1. Depuis l’affaire Dreyfuss, les intellectuels français se sont « mis à choisir systématiquement le camp des ennemis de la liberté ? » ;

2. Presque tous les intellectuels sont antiaméricains : « Après le fracas du World Trade Center, il ne se passe pas trois jours que ne retentisse à tous les coins de l’univers une seconde série d’explosions : celle de l’antiaméricanisme intellectuel » ; « l’antiaméricanisme était devenu la valeur refuge de presque toute la classe éduquée. »

3. L’anti-américanisme se passe de toute définition, n’étant que ceci : «  Misère de la cause unique. Misère des “anti”. Misère de “l’antisme”. (...) . »

4. Les intellectuels se réjouissent du malheur des américains : « Le malheur des Américains fit le bonheur de la classe discuteuse. »

5. Tous ceux qui ne professent l’admiration vertueuse de Jacques Julliard pour la politique américaine sont « des pilleurs d’épaves », « des goujats d’intendance transformés en détrousseurs de cadavres ».

6. Parmi parmi eux figurent « "Arundhati Roy, la célèbre romancière indienne" », « "Jean Baudrillard, l’illustre philosophe français" », "John Le Carré, que l’on ne présente pas ainsi que les "113 intellectuels français d’extrême gauche, parmi lesquels Pierre Vidal-Naquet", signataire d’un "manifeste".

7. Ils invoquent le châtiment de Dieu : «  Tous le proclament à l’envi : l’Amérique est toute-puissante. Donc l’Amérique est toute coupable, et Ben Laden n’est rien d’autre que le fléau de Dieu. »

8. L’hégémonie américaine est bien légère : « L’hégémonie américaine sur le monde d’aujourd’hui est bien inférieure à celle des Anglais au XIXe siècle ou de Rome au début de notre ère. »

9. La misère s’explique par la misère : « C’est le sous-développement, non l’industrialisation, qui explique la persistance de la misère. »

10. La haine de l’Amérique s’explique par la haine du progrès : « Historiquement, la haine de l’Amérique s’identifie, dès la fin du XIXe siècle, avec la haine du progrès et notamment du progrès technique chez les intellectuels. »

11. Heureusement il y avait Karl Marx : «  Un homme, un seul, avait réussi à guérir provisoirement l’intelligentsia française de sa technophobie, de son misonéisme, en un mot de sa haine du progrès dont l’antiaméricanisme n’est que l’une des facettes : cet homme, c’est Karl Marx. »

12. Mais Marx n’a pas survécu : «  L’effet modernisateur de Marx n’a pas survécu à l’imposture de ses sectateurs. » C’est pourquoi «  l’intellectuel progressiste », « en s’éloignant du marxisme, (...) abjure le progrès ».

13. Jacques Julliard est très courageux : « Il y a encore une chose. Il y a une dernière chose que je dis à regret, mais qu’il y aurait de la lâcheté à ne pas dire. C’est que les intellectuels n’aiment pas la liberté. »

14. Tout leur est prétexte à se rallier à la tyrannie : « Quand je vois les intellectuels, sous les éternels prétextes de lutte contre la ploutocratie, contre l’Amérique abhorrée et son allié Israël, de la lutte aux côtés de tous les miséreux du monde, préparer par glissements successifs de l’esprit, leur ralliement aux nouvelles tyrannies, je revis un vieux cauchemar. »

C’est ce que l’on appelle "penser".

 
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Notes

[*Pour qu’ils demeurent ce qu’ils sont déjà - inoubliables -, nous avons réuni ici ceux que nous avions déjà recueillis dans une autre rubrique (H.M.)

[1Source : PLPL.

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