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Canal + et José Bové : de la boue cryptée

par Serge Halimi,

Le 30 septembre 2002, Canal + a à nouveau exhibé le caractère très particulier de son impertinence, comme en témoigne l’article de Serge Halimi paru dans Le Monde Diplomatique de novembre 2002 que nous publions ici avec l’autorisation de son auteur. (Acrimed)

Les grands médias ne donnent jamais rien aux contestataires. Ou jamais très longtemps. Ceux qui imaginent que leurs talents propres les soustrairont à la règle commune paient en général leurs illusions au prix fort. " Roi du tracteur. Casseur de MacDo. Manipulateur ? Enquête de personnalité : José Bové. Vrai-faux paysan. Fils de bourgeois. Sorcier des médias. Enquête de personnalité José Bové. " Le 30 septembre dernier, Canal + a à nouveau exhibé le caractère très particulier de son impertinence.

Désormais, chacun le répète, le militant paysan que Canal + et les autres chaînes ne cessaient d’inviter à propos de tout et de n’importe quoi serait devenu… trop médiatique. C’est en tout cas ce singulier chef d’accusation qui a servi de trame au documentaire de vingt-six minutes " Enquête de personnalité ", produit par Capa et diffusé par la chaîne cryptée appartenant à Vivendi Universal. Vingt-sept minutes, c’est parfois assez pour essayer de ruiner la réputation d’un militant syndicaliste ; la télévision sert aussi à ce genre de besogne. Elle nous " révèle " alors que …

Ce soir-là, elle nous révéla que José Bové, qui " ne vient pas d’un milieu paysan mais d’une famille bourgeoise catholique ", était incapable à vingt ans " de prendre une fourchée de paille comme il faut. " Nul n’ignore que Canal + est la chaîne qui privilégie par dessus tout les origines populaires de ses abonnés, de ses animateurs et de ceux à qui elle donne la parole. Mais ce qu’on sait peut-être moins, c’est qu’elle est également prête à prendre tous les risques pour dévoiler bien pire : les " résultats scolaires moyens " du militant paysan que la prison menace.

Images ralenties, musique dramatique, tout fut bon pour mettre en scène les témoignages qu’on voulait les plus accablants. Un militant anarchiste nous révéla, dans le petit local obscur de son organisation, que José Bové fut … anarchiste ; l’ex-femme de Bové, qui " après de longues hésitations a accepté de nous parler ", raconta que ce dernier avait trop voyagé ces dernières années ; un ancien associé, aujourd’hui militant à la FNSEA, nous apprit que l’actuel porte parole du syndicat agricole concurrent du sien n’était pas " un foudre de travail " ; un autre, via " son épouse qui accepte de raconter son expérience malheureuse " qu’il aurait même raté un agnelage " pour cause d’opération médiatique, une faute impardonnable dans le monde paysan. " Le journaliste, qui adore sans doute les agneaux et à qui la moindre " opération médiatique " doit soulever le cœur, enchaîna aussi accusateur qu’un demi Vychinski de multinationale : " Amoureux de ses brebis devant les photographes, José Bové est en fait un militant avant d’être un paysan. "

Puis vint le moment de Millau. Le lendemain de l’opération contre McDonald’s, Bové " part tranquillement en vacances dans une jolie station touristique où ses parents possèdent une résidence secondaire. " Là-bas, " il comprend qu’il y a un coup à jouer […] La prison, il va l’utiliser comme une nouvelle arme médiatique. " Le téléspectateur pourrait se lasser devant tant d’acharnement et de malveillance. On pose alors la question redoutable : " José Bové en a-t-il trop fait avec les journalistes ? "

Et d’autres que les journalistes en auraient assez : " Avec de nombreux intellectuels, les ponts sont coupés. " Combien d’intellectuels ? On n’en évoque seulement deux, mais les meilleurs et les plus disponibles, Bernard-Henri Lévy et Alain Finkilekraut. L’un et l’autre vont reprocher à Bové des déclarations (maladroites et regrettées par lui) qui imputaient au Mossad israélien l’utilisation politique des attaques antisémites en France. " De tels propos le discréditent à vie ", tranche Alain Finkielkraut, qu’on a connu plus magnanime à l’égard d’autres offenses. L’émission s’achève par une précision : " José Bové n’a pas souhaité répondre à nos questions. " Qui le lui reprochera ?

 
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