Accueil > Critiques > (...) > Portrait ? Le démontage de José Bové

Canal Plus et José Bové (suite)

Démontage médiatique d’un mythe médiatiquement (pré) fabriqué

par Maria Ierardi,

Décryptage d’un reportage d’Eric Lehnich : " José Bové, enquête de personnalité ", Canal +, octobre 2002.

Générique sur fond d’images de Bové en action. En incrustation défilent des formules choc : Roi du tracteur ; Casseur de Mac Do ; Vrai-faux paysan ; Manipulateur ? ; Fils de bourgeois ; Sorcier des médias. Une musique expressioniste, saccadée, empruntée à l’émission "Capital", veut nous dire : " On y va, pas de concession. Notre mission : débusquer l’imposture, façon justicier ".

Acte 1. Un faux paysan

Une campagne paisible à 60 kms de Bordeaux. Une cour de ferme. Des cochons.
" C’est ici que nous avons retrouvé Joseph et Clémentine, un couple de fermiers à la retraite. Ils n’ont jamais parlé aux journalistes, et pourtant ils sont un peu les parrains de José Bové, ils l’ont connu quand il avait 20 ans ".

Question fermée du journaliste : " C’est la première fois, en fait, que José Bové a touché une fourche de sa vie ".

Joseph, le menton en avant, amorce une expression dubitative de bon sens populaire qui voudrait dire " Qui peut vraiment affirmer une telle chose ". Hors champ, Clémentine prend la parole " Oui je pense ". Joseph, rattrapé de justesse, acquiesce.

Le journaliste, que la réponse laisse sur sa faim, revient à la charge : " Ca se voyait qu’il n’y connaissait rien ? " Comme les sondages, la question détermine la réponse : " Ah ben oui ! " lâche la fermière dans un haussement d’épaules. Enhardie et plus confiante, Clémentine nous conte comment ses petits enfants, eux, manient la fourche depuis l’âge de six ans… La voix off en veut encore : " Ca lui plaisait les travaux agricoles ? " Le paysan, un rien gêné, avance prudemment " à vrai dire, je ne pense pas vraiment ".

A sa femme, que le journaliste à perçu plus conforme à ses attentes : " Vous êtes d’accord Madame ? " " Oui, oui, oui " …

Souvenirs de deux paysans à l’appui, l’escroquerie est démontrée : Bové est un faux paysan.

Acte 2. Un fils de bourgeois

Une photo un peu surannée en plein écran : le rétro noir et blanc d’un couple des années 50. Un tout jeune enfant, la main dans celles de sa mère. Présentation : " Les parents de José Bové, un couple de bourgeois catholiques, tous deux chercheurs à l’Inra ". L’album est feuilleté à l’écran : Bové petit garçon sur un mulet, petit garçon et son ballon, petit garçon en vacances. La voix off nous offre là " les joies d’une enfance dorée ".

" Mais, à l’adolescence, les choses se gâtent " apprend-on, " ses résultats scolaires sont moyens ".

Changement de décor : une ville morne, un clocher qui égrène les heures. Les murs gris d’un internat où le jeune Bové, élève moyen, a été envoyé. " C’est là, qu’il va vivre sa première expérience de contestataire ".

Musique dramatique, effet de ralenti. Entre en scène, d’un pas décidé, un homme en complet gris. L’abbé Baudet, 79 ans, professeur à la retraite, " mémoire vivante de l’établissement ". Le ralenti se fait plus lent, quand l’abbé fend, majestueux et dramatique, la travée centrale de la salle de classe.

Ce procédé scénique sera utilisé chaque fois qu’ un témoin viendra livrer sa déposition.

Le vieux maître, visiblement flatté par cette reconnaissance tardive, se souvient, un rien amusé. Il est question d’un devoir, dans lequel l’élève Bové donnait déjà des signes de rébellion. Un extrait nous est lu à haute voix pendant que la caméra parcourt en gros plan la copie de l’élève. Une question à l’abbé nous ramène au fil conducteur de l’entreprise : " Donc, il était déjà hostile à l’autorité " " Ah bien sûr, bien sûr, bien sûr ! ". On n’en demandait pas tant… Mais cela ne suffit pas. Un deuxième devoir, alors jugé subversif, est soumis au même traitement. On apprend, entre temps, que le jeune homme " malgré ses airs d’élève modèle " (déjà l’imposture !) a été renvoyé pour insolence. L’abbé poursuit sa déposition. Sur fond de chants grégoriens, gros plan sur la lettre de renvoi.

Après les souvenirs d’un couple d’agriculteurs, ce sont ceux d’un abbé, professeur à la retraite, qui servent à étayer la démonstration : Bové, faux paysan, rejeton ingrat de la bourgeoisie catholique " n’aime pas les études. Ce qui l’intéresse, c’est l’action ".

Acte 3. Agitateur, activiste

Nous voici dans une ruelle de Bordeaux, sur les traces d’un anarchiste, " retrouvé " par l’équipe. Mise en scène : musique, ralenti, un homme ouvre la porte à la caméra. S’ensuit, dans un local militant, le témoignage, plutôt bon enfant, d’un ancien camarade de combat. Il se souvient : José, les cheveux longs, la pipe, la veste en velours côtelé…Les luttes anti-militaristes, les premières actions. La caméra nous emmène sur les lieux du premier forfait : le murage du tribunal militaire. Bové, nous dit-on, " avait déjà un penchant pour les travaux du bâtiment ".

Images d’archives, musique de Bob Dylan. Nous voici sur le plateau du Larzac. Cheveux longs et guitares. Bové, nous dit le commentaire, " va en baver " : allant au bout de sa logique, " il décide de squatter une ferme abandonnée avec sa femme, Alice, retrouvée (elle aussi !) à dix kilomètre de là ". Séparée de José Bové, elle accepte de témoigner " après de longues hésitations ".

Photo de famille sur fond d’écran : José, Alice et deux petites filles. Alice évoque, souriante et presque attendrie, les difficultés matérielles de l’installation d’un jeune couple. La voix off parlera, elle, d’une période " très éprouvante ".

L’extension des installations militaires sur le plateau du Larzac est abandonnée par Mitterrand et Bové, en première ligne, " se retrouve, au côté du préfet, sur la photo ", lors de la signature du document officiel. Le commentaire s’en tient là. Mais le ton révèle que cet épisode est la première expression d’un mégalo manipulateur longtemps dissimulé, et que nos justiciers entendent aujourd’hui dénoncer.

Acte 4. Sorcier des médias

Retour au présent. " Pour tout le monde, aujourd’hui, Bové est un vrai paysan du terroir (sous-entendu : nous nous sommes tous fait avoir), il ne manque jamais (photos à l’appui) de se faire photographier avec ses brebis ou sur son tracteur ".

Faites entrer le témoin suivant !

Un ancien associé, aujourd’hui membre de la FNSEA, syndicat très à droite de la Confédération paysanne, témoin lui aussi " retrouvé " par nos vaillants enquêteurs. Accoudé à une table de ferme, un peu bourru, il laisse remonter des souvenirs mal digérés d’une association hasardeuse et malheureuse : Bové associé fainéant et profiteur.

Façon road-movie, l’équipe, caméra subjective à l’épaule, nous entraîne chez un autre témoin de cette époque avec lequel Bové se serait " brouillé ". Alors que ce témoin avait, au téléphone, refusé de témoigner, nos héros intrépides décident d’aller le débusquer chez lui. La caméra nous laisse devant la porte close de l’entrée de la maison.

" Après une longue discussion (négociation ?) c’est sa femme qui accepte de nous parler " triomphe le commentaire. La force persuasive de la caméra… On aimerait ici que cette même caméra restitue, aussi, la teneur de cette discussion négociation.

Arrive alors, toujours selon le procédé du ralenti, Brigitte dont " le pire souvenir avec Bové est un agnelage " : alors que cet événement nécessite des bras, Bové est absent " pour cause d’opération médiatique ". " Une faute impardonnable ". Accoudée, elle aussi, à une table, visiblement intimidée par la caméra, elle nous redit, d’une voix mal assurée, ce que le commentaire vient d’affirmer : ce jour-là, des photos nous le montrent, Bové est au cœur de l’action. Il occupe un dépôt de maïs transgénique.

Le téléspectateur compatit au triste sort de quelques agneaux sacrifiés sur l’autel de la Révolution.

Acte 5. Manipulateur hors la loi

Mais l’aura médiatique de Bové, nous dit-on, reste limitée au Larzac. Un événement va le propulser " star internationale " : l’opération Mac Do à Millau, action de protestation contre la politique commerciale des Etats-Unis et de l’OMC. C’est à cette occasion que Bové gagne ses galons de super manipulateur. Son forfait accompli, il part en vacances en famille, sans vraiment réaliser l’impact de l’événement. C’est là qu’il apprend que la justice veut l’entendre. " A ce moment-là seulement, il comprend qu’il y a un coup à jouer ". Ce n’est qu’au bout de trois jours qu’il répond à la convocation. " Le temps d’alerter les médias ! " .

Tour à tour, la juge d’instruction et le directeur du Mac Do, viennent livrer leur déposition et arrivent à la conclusion attendue : " José Bové a utilisé les journalistes ".

Mais, derrière le reproche explicite du commentaire, que l’on pourrait partager ( un militant digne de ce nom et de sa cause ne peut user de stratégie marketing pour vendre son combat-marchandise), perce l’indignation étranglée du pouvoir médiatique. Un pouvoir jamais entamé. Une brèche dans un rapport de force toujours inégal. Bové a usé du pouvoir que s’arrogent la plupart des médias : l’utilisation, l’instrumentalisation. Sa faute : objet/sujet, Bové, à l’époque encore médiatiquement neuf, et par conséquent très " rentable ", commet l’outrage d’utiliser et d’instrumentaliser les médias, à son tour.

Le pouvoir médiatique n’a pas d’autre choix que d’accepter ce " commerce équitable du donnant/donnant ". La machine médiatique est déjà actionnée. Emballée, elle est sans contrôle : Journal de 20h, conférences de presse, envoyés spéciaux à Millau. Les journalistes campent, presque jour et nuit, devant le Mac Do, se nourrissant, légitimement eux, sur la bête.

Grâce aux médias (à nous, dit le commentaire) Bové est sacré " Héros de l’anti-mondialisation ". Un titre usurpé entend-t-on à travers les mots.

Par ce même procédé du non dit, est dénoncé " le José Bové Tour " : Seattle, Davos, Porto Alegre, l’Inde. La caméra le prend en flagrant délit d’instrumentalisation (en tête de manifestation, il emprunte un turban, accessoire de décor, à un militant indien). " Il visite plus de 10 pays en un an et demi et néglige sa ferme " !

Mais le filon Bové s’épuise, et le pouvoir ne se partage pas longtemps.
Bové " va trop loin ", Bové " en fait trop ". Une " image de trop " en fait foi : L’accolade avec Yasser Arafat lors d’un voyage en Palestine.

Le pacte fonctionne jusqu’à ce que le sujet Bové , déjà jugé moins rentable, commette un faux pas qui précipitera sa chute. La Faute : de retour de Ramallah, au cours d’une conférence de presse, Bové, témoin encore frais des exactions du gouvernement Sharon, s’emballe : les attentats anti-sémites pourraient servir Israël.

Les intellectuels le lâchent, " indignés ". Ayant, de toute façon, épuisé le sujet, les médias décrochent, mais entendent bien le " finir ".

Appelé à la rescousse, Finkielkraut, habitué au rôle de celui qui énonce les sentences, est sans appel : que Bové, " un homme habité par un certain nombre de convictions simples ", ait pu avancer une telle hypothèse " est une catastrophe ". Ce dérapage " le discrédite à vie ". Au journaliste qui semble surpris de la dureté des propos, il déclare " un militant se doit d’être humble devant le réel ".

Bové a franchi les limites du territoire autorisé. Le conflit israélo-palestinien est un terrain miné que les médias dominants refusent de labourer en profondeur. Quelque chose de l’ordre du tabou.

Après 25 minutes de procès, un gros plan nous montre Bové, tête penchée sur son bras, yeux fixés au sol.

L’image presque pieuse du coupable dont on attend le repentir.

Maria Ierardi. " GROUPE MÉDIAS D’ATTAC ", novembre 2002

 
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