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Jeudi d’Acrimed, 19 décembre 2002

La concentration dans l’édition et ses effets

Par Janine Brémond

Le 19 décembre 2002, Acrimed recevait pour un débat Janine Brémond, coauteur (avec Greg Bémond) de "L’édition sous influence", Editions Liris, 2002.

De Messier à Lagardère, du marchand d’eau au marchand de canons. Quel avenir pour l’édition, les livres et la presse ?

Nous publions ci-dessous l’introduction de Janine Brémond.

L’acquisition par le groupe Lagardère des activités européennes et latino-américaines de Vivendi Universal Publishing marque une accélération de l’emprise de Lagardère sur tous les acteurs de l’édition (des libraires à la presse, des auteurs aux autres éditeurs). Quelles en sont les conséquences pour la liberté d’expression des idées dans leur diversité ? Se dirige-t-on vers le règne du livre-marketing et l’uniformisation de l’offre de livres ? Comment la presse a-t-elle traité les enjeux du rachat de la vente de Vivendi Universal Publishing ?

Pour une multinationale, le livre est une marchandise comme une autre. Ceci signifie que non seulement des manuscrits sont refusés parce qu’ils ne sont pas jugés assez rentables, quelle qu’en soit la qualité, mais aussi que toutes les techniques marketing habituelles dans l’industrie sont appliquées par ces éditeurs, ce qui modifie non seulement la façon de vendre un livre mais encore la façon de le faire.

Il y a un lien direct entre concentration, exigence de forte rentabilité et développement du livre-marketing. Quand une maison est rachetée par un groupe multinational, elle ne dispose d’une certaine marge d’autonomie que si ses résultats financiers sont conformes aux objectifs fixés par le groupe. Si cet objectif n’est pas tenu, la maison d’édition voit son budget sévèrement contrôlé et se trouve rapidement dépendante des autorisations de budget pour toute décision éditoriale. Les dirigeants des maisons d’édition rentables savent qu’ils sont tous sur des sièges éjectables, si les objectifs de rentabilité fixés par le groupe ne sont pas atteints. Pour garder une marge d’autonomie, ces dirigeants exercent une double pression, sur les salariés d’abord à qui il est demandé d’accroître la productivité, sur le choix des livres à éditer ensuite en retenant des sujets et des auteurs qui s’insèrent bien dans la logique marketing seule susceptible de permettre d’atteindre le taux de rentabilité demandé par le groupe.

Se dirige-t-on vers le règne du livre marketing ?

Qu’est-ce qu’un livre marketing ? Prenons le cas de Cosette ou le temps des illusions paru chez Plon (à l’époque Vivendi). À l’origine de ce roman, il y a une idée marketing qui repose sur deux éléments, la fascination qu’exerce le livre de Victor Hugo Les Misérables et un sujet de débat médiatisable. Il ne reste alors qu’à passer commande à un auteur. Le cœur du livre marketing, c’est la promotion. La promotion met en jeu tout le réseau médiatique sur lequel l’éditeur peut s’appuyer. Mais pour que ce réseau s’exprime, il faut que ceux qui y participent aient quelque chose à dire sur le livre, et pour cela rien ne vaut un sujet polémique susceptible de provoquer un débat sur une question d’ordre général. L’opposition des descendants de Victor Hugo à la publication de Cosette se transforme en publicité gratuite. Il en va de même de tous les débats sur l’opportunité de faire une suite aux Misérables. C’est là l’un des ressorts du "coup médiatique", dont l’objectif est de faire parler du livre de telle façon que le titre soit mémorisé et émerge ainsi de la masse, provoquant des décisions d’achat. Parallèlement, l’éditeur peut faire valoir aux libraires l’impact de sa campagne publicitaire, l’importance des articles de presse ou des émissions télévisées qui parlent du livre... Tout converge pour influencer le lecteur qui pense choisir son livre en toute liberté mais qui est l’objet d’une forme de manipulation. Le livre marketing n’est pas nécessairement un livre de commande, mais la logique marketing conduit à sélectionner les manuscrits de livres en fonction de leur capacité à générer de la promotion (articles de presse, émissions de télé...).
La multiplication du nombre de titres renforce le rôle de la promotion dans l’accès au lecteur. Pour la rentrée de septembre 2002, il y a eu plus de 660 nouveaux romans sur le marché. Aucun libraire, aucun journaliste ne peut lire 660 romans. Seront seuls connus du public les romans qui auront bénéficié d’une forte promotion. Certes, le consommateur se sent libre d’acheter le roman de son choix, mais il ne choisit que parmi les romans qu’il trouve en librairie ou dont les médias ont parlé. Or justement le pouvoir des leaders de l’édition est d’agir sur ces variables.

Ce qui pose problème dans cette logique marketing, c’est que les ventes d’un livre dépendent principalement, non de ses qualités intrinsèques (qui peuvent d’ailleurs être réelles), mais des modalités et de la puissance de la promotion du livre.

L’uniformisation de l’offre de livres

Pierre Bourdieu a analysé comment la concentration et la mondialisation du livre contribuent à l’uniformisation de l’offre de livres.

"A la mythologie de la différenciation et de la diversification extraordinaire des produits, on peut opposer l’uniformisation de l’offre, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale : la concurrence, loin de diversifier, homogénéise, la poursuite du public maximum conduisant les producteurs à rechercher des produits omnibus, valables pour des publics de tous milieux et de tous pays, parce que peu différenciés et différenciants." (Contre-feux, Raisons d’agir éditions, Paris, 2000, page 77).

L’uniformisation ne signifie pas qu’il y a de moins en moins de livres publiés. Le nombre de nouveaux titres n’a jamais été aussi important. On voudrait nous faire croire que c’est le signe d’une grande diversité ! C’est oublier que la logique marketing conduit à multiplier les livres similaires, des livres qui se ressemblent comme des frères.

La démarche suivie dans l’élaboration d’un livre-marketing conduit, en elle-même, à l’uniformisation des livres. Ainsi dans le cas du manuel scolaire, la logique marketing cherche à cibler un "professeur-type" dans le but de gagner la plus grande part de marché. Centrés sur la même cible, utilisant les mêmes techniques publicitaires, les manuels des différents éditeurs tendent alors à se ressembler.

La politique du livre-frère conduit à une multiplication des titres qui submergent les libraires, rend plus difficile le choix du consommateur, sans pour autant assurer la diversité de choix.

Le rachat de VUP renforce l’emprise de Lagardère sur tous les acteurs de l’édition

Le 22 octobre dernier, le groupe Lagardère a racheté les maisons d’édition européennes de Vivendi Universal Publishing. Au plan technique, ces éditeurs ont été achetées par la banque Natexis à la place de Lagardère en attente de la décision des autorités de la concurrence de Bruxelles. Pour répondre aux exigences de Bruxelles, une (ou plusieurs) de ces marques d’édition de VUP pourrait être revendue (vraisemblablement au bénéfice de groupes d’édition proches de Lagardère tel que Albin Michel).

Dans l’édition, l’efficacité des techniques marketing repose sur l’influence que l’éditeur parvient à exercer sur la presse, la télévision, les libraires et sur l’activité des autres éditeurs. Or le rachat de VUP par Lagardère accroît l’emprise du groupe Lagardère sur les libraires, sur les autres éditeurs et sur la presse. Or plus le pouvoir est grand, plus le livre marketing est rentable. Le nouveau pas de plus dans la concentration laisse donc craindre une accélération du développement du livre marketing.

L’emprise sur les libraires

Plus d’un livre sur deux en France sera bientôt distribué par le groupe Lagardère. Une telle concentration a deux effets majeurs.

La position dominante du groupe Lagardère lui permet, à plus ou moins long terme, de baisser les marges commerciales des libraires, mettant ainsi en danger la petite librairie indépendante dont l’existence est nécessaire à la vie du livre et à la survie des petits éditeurs. Il faut avoir à l’esprit que les libraires indépendants ne représente plus que 20% des ventes de livres en France, le reste est réalisé à travers le commerce concentré (Fnac, Virgin, rayons livres des grands magasins ou supermarchés...).

Le groupe Lagardère sera aussi en situation d’imposer aux libraires de privilégier les livres du groupe. Le libraire qui refuserait verrait imperceptiblement ses marges bénéficiaires diminuer. On risque d’assister à la généralisation de ce qui se passe dans le réseau de librairies Relay (propriété du groupe Lagardère comme le réseau Virgin et Le Furet du Nord), dans lequel les livres du groupe sont surreprésentés. Le lecteur pourra choisir à condition de choisir du Lagardère.

L’emprise sur les autres éditeurs par la diffusion

Si deux livres sur trois sont diffusés par Lagardère, cela signifie aussi qu’un grand nombre d’éditeurs indépendants du point de vue du capital sont de fait sous la dépendance de Lagardère parce que celui-ci les diffuse.

Pour se vendre, le livre a besoin d’être vu en librairie. La diffusion du livre comprend toutes les activités de commercialisation du livre, visites de représentants auprès des libraires et grandes surfaces, négociations des marges commerciales, du nombre de livres plus ou moins important envoyés aux libraires lors de la parution d’un nouvel ouvrage (ce que l’on appelle les offices).

Contrôler la diffusion d’un livre, c’est donc contrôler sa présence chez les libraires. Quand un major diffuse un petit éditeur, si la stratégie ou le comportement de cet éditeur ne lui convient pas, il lui suffit de réduire son action de diffusion pour mettre en danger les ventes de cet éditeur.

Antoine Gallimard, dans son article du Monde (17.10.02), illustre ce fait par un exemple de l’histoire de Gallimard.

"Faut-il rappeler le tournant dans l’histoire de l’édition française qu’a constitué la décision de mon père, en 1971, de rompre les accords commerciaux qui liaient notre maison à Hachette depuis 1932 ? Il s’agissait de sortir d’une situation où l’intégrité de notre maison était mise en péril par la domination économique de l’outil de vente de Hachette, marquée par l’ingérence de plus en plus grande du distributeur dans les affaires éditoriales de son client".

Dans ce contexte, pourquoi tant d’éditeurs ne cherchent-ils pas un autre moyen de diffusion ? Pour comprendre la situation, il faut avoir à l’esprit que hors des multinationales, il n’existe plus en France que deux éditeurs généralistes de taille moyenne, qui contrôlent à la fois la production et la distribution de leurs livres : les éditions du Seuil et Gallimard. En effet, Flammarion a été racheté par le groupe italien Rizzoli, enfin Albin-Michel est distribué par Lagardère et a établi une alliance avec Hachette dans Le Livre de Poche. Etre diffusé par le Seuil ou Gallimard conduit d’ailleurs aussi à des formes de dépendance.

Il existe bien quelques autres structures de diffusion-distribution indépendantes, mais elles sont souvent fragiles tant sur le plan financier que sur celui de leur capacité de diffusion. Concrètement cela signifie que si un éditeur choisit cette solution, il risque la faillite si le diffuseur est lui-même en faillite. C’est pourquoi un grand nombre d’éditeurs indépendants était, jusqu’à présent, distribué soit par Hachette soit par Vivendi. Le regroupement de ces deux réseaux de distribution du livre au sein du groupe Lagardère accroît encore le pouvoir de ce groupe. Si aujourd’hui des éditeurs de la taille du Seuil et de Gallimard risquent de voir leur place se réduire dans les librairies et les grandes surfaces, le risque est encore plus grand pour les maisons d’édition diffusées par de petits distributeurs.

L’emprise sur la presse

Le pouvoir du groupe Lagardère n’est pas seulement lié à son poids dans l’édition, il s’appuie aussi sur ses filiales dans la communication. Le groupe Lagardère n’est pas seulement un éditeur, c’est aussi une puissante entreprise de presse avec 200 titres dans le monde (Elle, Paris-Match, Le Journal du Dimanche...), la radio (Europe1, Europe2, RFM), la télévision (CanalJ, MCM, MatchTV, CanalSatellite et MultiThèmatiques). Comment un média pourrait-il ne pas favoriser dans ses commentaires les livres édités par le groupe auquel il appartient ?

Les moyens de pression du groupe Lagardère sur les médias indépendants (la presse écrite, la radio, la télévision) se trouvent brutalement amplifiés par le rachat de Vivendi universal publishing. Sans parler des budgets publicitaires, le nombre de journalistes qui sont également auteurs de livres dans une maison d’édition du groupe va doubler, et il en sera de même du nombre d’auteurs du groupe qui, parce qu’ils sont médiatisés, sont en relation privilégiée avec les journalistes. Ces moyens de pression sur les médias donnent au groupe Lagardère une forte capacité d’influence sur ce qui se dit et s’écrit sur les livres.

Quelles en sont les conséquences pour la liberté d’expression des idées

Non seulement l’hyper concentration conduit à l’uniformisation des livres, mais encore elle filtre l’expression des idées.

Prenons le cas du livre politique. Dans l’approche marketing, le livre est supposé répondre à une demande. Or en matière politique, il est nécessaire que le livre ne soit pas une simple réponse à la demande. Des analyses nouvelles et originales, importantes pour le débat public, doivent pouvoir paraître même si elles ne répondent pas à une demande préalable.

Aujourd’hui les acteurs de la vie politique et syndicale estiment avoir besoin d’être publiés par les majors pour être lus. Qu’un livre de José Bové (auteur médiatisé s’inscrivant à ce titre dans la logique marketing) soit édité par une marque de l’ex Vivendi universal publishing, (aujourd’hui Lagardère), n’est pas une manifestation de diversité, mais cela traduit au contraire une situation où les acteurs de la vie politique et syndicale estiment avoir besoin d’être publiés par les majors pour être lus. Si le groupe Lagardère devenait le seul éditeur qui le leur permette, cela signifierait qu’il contrôle ce qu’il est bon de faire entendre dans le champ politique.

L’extrême concentration de l’édition laisse aussi craindre la multiplication des sujets tabous, interdits de publication au sein du groupe leader. Bien sûr, on laissera vivre au sein du groupe des livres marqués à droite et d’autres de gauche car chacun de ces types de livres correspond à un créneau commercial.

Mais l’intérêt du groupe conduit aussi à censurer certains sujets, certaines analyses, voire certains auteurs. Le premier sujet tabou est évidemment la critique du groupe Lagardère lui-même, surtout si cette critique est forte. De plus, un groupe comme Lagardère entretient des relations avec de nombreuses entreprises et personnalités politiques auxquelles le groupe a intérêt à plaire. Ainsi par exemple, Hachette a décidé de ne pas publier le dernier livre de JeanMarie Messier Mon vrai journal, qui comporte quelques méchancetés sur des personnalités de Vivendi (Lagardère est en relation d’affaires avec Vivendi).
Le débat démocratique suppose l’expression de tous les courants d’idées. Les éditeurs de livres politiques font des choix sur les combats politiques qu’ils soutiennent. L’existence de nombreuses maisons d’édition réellement indépendantes est la condition de l’expression de tous les courants d’idées et de la confrontation des points de vue. A l’autre pôle de la chaîne du livre, le maintien d’un réseau dense de librairies indépendantes conditionne la libre diffusion du livre politique.

Comment la presse a-t-elle traité les enjeux de la vente de Vivendi-Universal-Publishing

Examinons maintenant comment la presse a rendu compte du rachat de VUP par Lagardère. Ce qui frappe, à la lecture du Figaro, du Monde et de Libération, c’est que le débat s’est fait dans le cadre voulu par Lagardère, sans que les questions qui fâchent soient véritablement posées et débattues.

L’argumentaire de Lagardère

Au départ, le groupe Lagardère a établi un argumentaire largement diffusé.
Ce discours s’articule autour de cinq thèmes.

1 - Les dirigeants du groupe Lagardère ont "l’amour du livre".

2 - Lagardère rachète VUP pour préserver le patrimoine national, Lagardère sauve l’édition nationale.

3 - La part de l’édition contrôlée par Lagardère est plus faible qu’on ne le dit, cette concentration est nécessaire pour rivaliser avec les géants mondiaux de l’édition.
Il peut y avoir des activités d’édition pour lesquelles Bruxelles demandera des cessions, mais Lagardère est prêt à les effectuer. La crainte du monopole est donc un faux problème.

4 - Lagardère est la meilleure solution pour l’emploi. Lagardère est un industriel et non un financier. Il a donc une logique de long terme. Lagardère maintiendra l’entité de distribution de Vivendi, les salariés n’ont donc rien à craindre.

5 - Au sein du groupe Lagardère, les maisons d’édition sont totalement autonomes. Il n’y a donc rien à craindre pour la création et la diversité d’expression.

Une argumentation très discutable

Les points 1 et 2 relèvent de la politique d’image. Lagardère revendique un taux de rentabilité de 8% pour Hachette livres (Les Echos du 9 décembre 2002), taux confortable qui ne traduit pas une attitude de mécène !

Le point 3 est un argument économique fallacieux. D’une part, aucun des géants de l’édition mondiale ne contrôle 70% de la diffusion dans son propre pays. D’autre part, la crainte du monopole n’est pas un faux problème, car il est vraisemblable que les cessions demandées par Bruxelles se feront essentiellement au profit d’éditeurs sur lesquels Lagardère peut compter, tel Albin Michel diffusé par Hachette. Le contrôle de Hachette sur l’édition sera moins visible mais sans doute aussi réel.

Le point 4 concerne l’emploi. A court terme, le statu-quo est possible, mais qu’en sera-t-il à long terme ?

Le point 5 est encore plus discutable. L’autonomie des éditeurs du groupe Lagardère, comme d’ailleurs ceux de VUP, est pour le moins fortement encadrée par la pression des taux de profit, par l’autocensure dans les domaines sensibles.

"Le Figaro", "Le Monde", "Libération"

Examinons maintenant comment Le Figaro, Le Monde, Libération ont traité les enjeux de la vente de VUP.

 Le Figaro adopte l’argumentation de Lagardère

La ligne du Figaro soutient l’argumentation de Lagardère. La défense de Lagardère prend dans l’article de Maurice Druon des formes particulièrement caricaturales. Exception française ou dignité française, Maurice Druon, 14.10.02
"Qui semble s’opposer à ce que ce soit le groupe français qui l’emporte ? Des Français, j’ai le regret de le dire. Ce sont certains éditeurs français, qui ont perdu pas mal dans le naufrage Messier et qui ne pensent qu’à récupérer de l’argent, d’où qu’il vienne. C’est notre presse de gauche, par sa détestation pathologique du grand capital, s’il est français ".

 Le Monde

Le contexte relationnel entre Le Monde et le groupe Lagardère n’est pas sans importance même s’il faut à la fois ni le sous-évaluer ni le sur-évaluer. Le Monde2 est un partenariat entre Le Monde et Hachette, ce qui induit des relations continues et des intérêts communs. Dans sa stratégie de constitution d’un groupe de presse, Le Monde peut à tout moment avoir besoin d’être en bonne relation avec HachetteMedia.

Comment Le Monde a-t-il traité la vente de VUP ? Le débat a été centré sur l’opposition entre le point de vue de Lagardère et celui des éditeurs favorables aux autres repreneurs. La quasi totalité des articles sur ce sujet, écrits par des personnes autres que les journalistes du Monde, sont le fait d’éditeurs partie prenante à la reprise.

En faveur du rachat par le groupe Lagardère,

Jean Luc Lagardère, 18.09.02, Nous voulons VUP France par amour du livre.

Jean Louis Lisimachio PDG de Hachette livres, 18.10.02, Nous respecterons pleinement les règles de la concurrence.

Claude Durand, PDG de Fayard, 04.10.02 VUP, la bourse ou la vie.
et les présidents d’autres filiales de Hachette, Orion et Octopus.

Contre le rachat par le groupe Lagardère,

d’une part : Antoine Gallimard, 17.10.02, L’édition en péril ; Claude Cherki du Seuil, 21.10.02 ; Hervé de la Martinière, 11.10.02, Le livre, liberté ou monopole, tous trois parties prenantes à la proposition PAI ;

d’autre part, divers directeurs de maisons d’édition de VUP, 11.10.02, Vivendi te salutant.

En dehors des articles écrits par les journalistes du Monde eux-mêmes (qui s’inscrivent dans la ligne de l’éditorial du Monde du 24.10.02), trois articles seulement ne sont pas écrits par des parties prenantes dans la vente dont un seul publié avant la vente, celui de Pierre Cohen-Tanugi, VUP et l’avenir du livre, faisons un rêve, 25.09.02. Les deux autres sont celui de Christian Pradié, Mutualisons l’édition française, 31.10.02, et celui de Pascal Fouché, Repenser la législation de l’édition, 17.12.02. C’est peu.

L’absence d’article critique écrit par des intellectuels ou des représentants des partis de gauche est frappant. Comment cette absence s’explique-t-elle ? Est-ce le Monde qui n’a pas souhaité de tels articles ? Les intellectuels et les partis de gauche n’avaient-ils rien à dire sur ce sujet ? Craignaient-ils des représailles du puissant groupe Lagardère ? La question aurait au moins pu être posée.
L’autre grand absent, c’est l’analyse du fonctionnement de l’édition aujourd’hui. Aucun article ne s’élève contre l’affirmation selon laquelle la concentration ne pose pas de problème en terme de liberté d’expression.

 Libération

Une analyse très proche peut être développée à propos de Libération, cependant on peut remarquer un article qui conteste la thèse pro-Lagardère sur l’autonomie des maisons d’édition au sein du groupe. Il s’agit de l’article d’Eric Hazan, Une mystification, 09.10.02.
Et les autres

Il faudrait analyser toute la presse. Voici quelques remarques ponctuelles.
L’Humanité, dont Lagardère détient pourtant un pourcentage (modeste) du capital, a osé parler du caractère de service public d’une partie importante de l’édition qu’il faut préserver de la seule loi du marché, de la nécessité de définir une politique publique de défense du livre (Alain Nicolas, 23.10.02, Vivendi... le monde politique face à ses responsabilités ; Jacques Morand, 29.08.02, Marketing et diversité ; Jacques Morand, 13.09.02, Vivendi, Le patrimoine culturel au plus offrant ?). L’Humanité a aussi donné la parole à des éditeurs de VUP qui contestent l’existence d’une autonomie éditoriale et critiquent la pression financière : "On est déjà dans les mains des financiers, il y a des contrôleurs de gestion en permanence et des bilans financiers tous les trois jours, c’est hallucinant !". cité dans VUP, le capital culturel au plus offrant, 13.09.02

L’édition ne bénéficie d’aucune protection spécifique liée au fait qu’il s’agit d’un media. La mise en place d’une législation protectrice devient aujourd’hui urgente.

 
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