Résumé des épisodes précédents
… Et compléments à notre article : La face cachée du Monde » : ce n’est qu’un début…
L’Express, le premier, a ouvert les « hostilités », mu, on s’en doute, par un goût immodéré de la vérité, en publiant en exclusivité douze pages du livre de Pierre Péan et Philippe Cohen (lien périmé).
Le Canard Enchainé, moins suspect de participer à une guerre des gangs, a détaillé dans son numéro de mercredi 19 février, l’une des révélations du livre : l’intervention de la direction du Monde auprès du gouvernement de Lionel Jospin au profit des Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne, suivie de la facturation de ses services pour "participations aux réunions, tables rondes, assistance et conseils en communication", à hauteur d’1 million de francs.
– Denis Jeambar, dans son éditorial de présentation du « dossier » de L’Express, oppose à toutes les critiques que l’on pourrait faire à ce délicieux hebdomadaire… le rôle de contre-pouvoir à l’égard du contre-pouvoir que Le Monde prétend exercer. Charmante perspective qui nous vaut les déclarations suivantes :
« Nous avons pris, cependant, le parti de consacrer notre couverture à ce livre parce que, depuis vingt ans, tous les pouvoirs (le politique, les grandes institutions, les entreprises, les Eglises, etc.) ont été, tour à tour, soumis au contrôle des médias et y ont perdu de leur sacré et de leur superbe. Seule la presse, parce qu’elle est un contre-pouvoir et l’arme principale de la transparence démocratique, ne rend de comptes à personne, sauf en justice quand elle est poursuivie. Peut-elle s’exonérer durablement d’un regard sur elle-même au nom d’une confraternité sans faille et d’une omerta corporatiste ? »
Curieux, cette soudaine coïncidence entre la recherche frénétique du « scoop » et la découverte des mérites de la transparence !
Ajoutons que le lancement du livre par L’Express a bénéficié d’une dépêche de l’AFP à 12 h qui présente le « scoop » de l’hebdomadaire et relève au passage que, curieusement, « l’éditeur Les Mille et Une nuits (Fayard) n’est pas mentionné » [1]. Oubli involontaire ? Sans doute, mais cet éditeur dépend du rival du Groupe Dassault qui publie L’Express : le groupe Lagardère.
– Pendant ce temps Le Nouvel Observateur observe.
Le jour même de la parution du numéro de L’Express, mais pris de court, Le Nouvel Observateur sur le site de son Journal Permanent, titre finement : " Le livre qui fait peur à tout Le Monde ".
Sous la signature de JP.NO ( ?), on peut lire ceci :
« Voilà encore quelques heures, le secret était bien gardé, jusqu’à ce qu’on apprenne que les bonnes feuilles du livre seront publiées dans le numéro de L’Express en vente jeudi 20 février, ce qui s’explique aisément par l’inimitié féroce que se portent les deux journaux à travers leurs deux directeurs, Jean-Marie Colombani (Le Monde) et Denis Jeambar (L’Express) depuis la tentative repoussée de rachat de l’hebdomadaire par le quotidien, voilà deux ans. » [2]
En vérité, L’Express a avancé d’un jour sa parution pour garantir son « scoop ». Mais Le Nouvel Observateur en sait déjà assez pour pouvoir citer, selon ses propres termes « un extrait de l’éditorial de Denis Jeambar, à paraître dans L’Express. ».
De l’art d’organiser les « fuites » et d’en bénéficier…
Il reste que Le Nouvel Obs, hebdomadaire dont le rapprochement avec Le Monde n’a pas réjoui tous les journalistes, ne prend pas (encore) parti, mais offre discrètement depuis le 19 décembre un lien avec un article intitulé « TF1 permet au Monde de gagner des millions » [3], paru dans … Pour Lire Pas Lu, dont on imagine bien qu’il est la lecture favorite du Nouvel Observateur.
– Et Le Monde de commencer par s’indigner de la « campagne » [4] lancée contre lui…, soutenu en cela par l’un de ses éditorialistes associés et romanciers préférés : Philippe Sollers.
Dans Le Journal Du Dimanche du 23 février 2003, où il présente son « Journal du mois », Philippe Sollers sous-titre : « Cabales » … et commence par parler de lui-même. Ce n’est qu’après avoir répondu aux critiques dont il est l’objet à l’aide d’une longue citation de Voltaire, que Philippe-moi généralise :
« Plus généralement, il semble que désormais tous les coups tordus sont permis contre le journal Le Monde. Une forte odeur d’officine monte d’une certaine rage d’en bas par rapport à ce quotidien essentiel. Tempête soigneusement montée dans un verre d’eau sale, elle passera aussi vite qu’elle a été longuement préparée. Qui rêve de détruire le monde ? Une vielle province mondialisée que dérange l’esprit français. »
L’esprit d’en haut contre la rage d’en bas … C’était Sollers par lui-même.
Pressions et intimidations
A dire vrai, la guérilla avait commencé avant même que le livre de Pierre Péan ne trouve un éditeur.
– C’est ce que rapporte Amaury de Rochegonde, dans un article intitulé « Péan s’attaque au Monde », paru le 21 février 2003 dans Stratégies :
« Faut-il y voir l’action concertée de Jean-Marie Colombani, directeur du Monde, et de Philippe Sollers ? A en croire Pierre Péan, un tir de barrage a anticipé la sortie de son livre. Des signes ? Joint par Stratégies, l’auteur de TF1, un pouvoir évoque « des pressions sur les éditeurs et les patrons de presse » pour boycotter le document. Marc Tessier, président de France Télévision, Jean-Pierre Elkabbach, conseiller du groupe Lagardère, et Franz-Olivier Giesbert, directeur du Point, auraient ainsi été selon lui, contactés par Jean-Marie Colombani. Et un premier éditeur aurait déclaré forfait : « On peut dire ce que l’on veut de TF1 mais au moins, avec eux, je n’ai eu l’écho d’aucune pression avant publication », affirme Pierre Péan.
Qu’a donc de si redoutable pour Le Monde le dernier Péan ? « J’ai peur de ne pas être à la hauteur de ce qu’ils craignent » sourit ce dernier, avant de lâcher que le quotidien n’aura « pas d’autre solution que de faire un procès. » (…) »
– Sur le site du Journal permanent du Nouvel Observateur, 23 février 2003, sous le titre " Péan : Le Monde dénonce la campagne ", dans un article qui reprend l’article paru le 19 février, on peut lire les compléments suivants :
« Interrogé sur les conditions de la sortie du livre, le PDG de Fayard, Claude Durand, a expliqué pourquoi celui-ci était édité dans la collection Mille et une nuits, une filiale de Fayard : "le secret était plus facile à garder qu’avec une plus grande maison comme Fayard. Nous avons fonctionné comme pour "Une jeunesse française" (sur François Mitterrand, NDLR). Ce n’était pas un signe de défiance, mais il s’agissait de ne pas mettre les gens dans l’embarras, en les faisant dépositaires d’un secret un peu lourd."
"Le point de départ était non pas d’écrire un ouvrage par ressentiment, mais d’examiner (...) comment un média (...) passe de statut de contre-pouvoir au statut de pouvoir", a expliqué l’éditeur.
Interrogé sur la question de savoir s’il avait subi des pressions pendant la rédaction du livre, Claude Durand a estimé que "de la part du Monde, une réaction équivalente à une tentative de censure serait catastrophique, mais je ne peux préjuger de leurs réactions". "Ce livre ne vise pas Le Monde, mais sa direction, c’est-à-dire trois personnes. J’ai beaucoup d’amis et d’auteurs au Monde", a-t-il ajouté.
Concernant la direction du quotidien : "Jean-Marie Colombani qui connaissait l’existence des deux projets, m’a interrogé il y a plusieurs mois sur le projet. Je lui ai dit : ’j’ai un accord avec Pierre Péan. Je serai le premier à lire son manuscrit. Je me déciderai à sa lecture’."
Jean-Marie Colombani, lui, aurait déclaré, à propos du livre : « Il faudra choisir son camp. On sera pour ou contre. Je n’admettrai pas qu’on soit neutre ».
Ce qui ne va pas sans soulever quelques vagues, comme le montre cette information distillée par le Journal Permanent du Nouvel Observateur :
– « Protestations à France 2. Les syndicats de journalistes ainsi que les administrateurs salariés de France 2 s’inquiètent des pressions qu’exercerait Marc Tessier, PDG de la chaîne, pour empêcher les responsables des différents magazines et des JT d’accueillir Pierre Péan et Philippe Cohen. Ils considèrent qu’entre les soucis de la confraternité et l’honnêteté de l’information, c’est aux journalistes, et à eux seuls, de choisir, et pas au président de France Télévisions, soumis à la pression de la direction du Monde. En revanche, TF1 doit en principe consacrer un sujet à la question dans le journal de 20 heures, mardi 25 février prochain ».
Signé : JP.NO ( ?).
A suivre…