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« Un quotidien de référence » ?

« La face cachée du Monde » (3) : la contre-attaque préventive de Spinoza

par Henri Maler,

Dans son édition datée du 26 février 2003, le jour même de la parution du livre de Philippe Cohen et Pierre Péan, Le Monde, sous la conduite de Spinoza, mène une contre-attaque préventive destinée à déjouer la haine, l’antisémitisme, le complot et le réquisitoire.

La haine ?

Devenu l’auteur de référence du Monde depuis qu’Alain Minc lui a consacrée une biographie qui lui a valu d’être condamné pour plagiat partiel, mais servile [1], Spinoza - qui méritait sans nul doute un meilleur sort - a été enrôlé par l’éditorialiste anonyme du Monde pour nous prévenir : c’est la haine qui habite le livre de Pierre Péan et de Philippe Cohen.

Sous le titre « Une passion triste », on peut lire, après un vibrant éloge de la critique et un éloge non moins vibrant du Monde lui-même, ceci :

« A priori, Le Monde ne devrait donc que se féliciter de la parution d’un livre qui est d’abord un hommage au succès collectif de tous celles et ceux qui ont amélioré ce journal et construit, autour de lui, l’ébauche d’un groupe de presse indépendant face aux deux "majors" dominants de la presse. Le problème, c’est que ce livre, loin de discuter notre projet et nos convictions, affirme que nous ne croyons ni à l’un ni aux autres, manipulés que nous sommes par des imposteurs, des comploteurs, des menteurs. La critique est une chose, la passion en est une autre. Pour Spinoza, la plus calamiteuse des "passions tristes", ces "empêchements à la connaissance" dont tout homme libre devait se préserver, était la haine. La haine, cousine de l’envie, favorisant la violence dans les rapports humains. La haine, la plus triste des passions. Une haine qui, hélas, habite le livre qui nous est consacré. ».

Cette tentative de disqualifier la totalité d’un livre en l’écrasant de toute la hauteur d’une autorité philosophique est, en vérité une réponse - subliminale - aux titres de deux chapitres du livre condamné : « Le Monde tel qu’il hait » (chapitre 12, pp. 262-287) et « Le Monde tel qu’il hait (suite) » (chapitre 22, pp.513-549). Deux chapitres consacrés à diverses « campagnes » menés par Le Monde, au nom de la transparence, qu’il récuse quand il est question… du Monde.

Edwy Plenel est plus explicite :

« "Le Monde hait beaucoup", affirment MM. Péan et Cohen. Pourquoi tant de haine, est-on tenté de leur retourner. Les contentieux personnels de chacun des trois auteurs - le troisième étant Claude Durand, éditeur-marieur des deux autres - avec Le Monde y ont sans doute leur part, tout comme l’animosité de certains cercles mitterrandistes ou la vindicte de milieux ultrasouverainistes. »

A la haine que Le Monde distillerait répondrait donc la haine des auteurs : voilà qui promet une claire explication, fondée sur cette maxime de Spinoza : « Ni rire, ni pleurer, mais comprendre ».

D’autant que derrière les griefs personnels et les motifs politiques se cacherait la pire des haines : l’antisémitisme.

L’antisémitisme ?

C’est ce que Le Monde s’emploie à suggérer à deux reprises :

 Une première fois, en associant le Journal Pour Lire Pas Lu, objet de la propre détestation du Monde, à la haine comploteuse dont Le Monde serait l’objet.

Un encadré destiné à accréditer la thèse d’un complot permanent contre Le Monde - « Le précédent Pour Lire Pas Lu  » - s’achève ainsi :

«  La "laisse d’or" du numéro 10 de PLPL (juin-août 2002) fut attribuée à notre collaborateur Nicolas Weill pour son "sionisme militant", dans un article commençant ainsi : "Weill est vil, Weill est veule, Weill est vilain". »

Evidemment le lecteur du Monde qui ne connaît de Pour Lire Pas Lu que ce que Le Monde en dit à cette occasion en conclura aussitôt que Serge Halimi, présenté comme l’un des animateurs du journal, est antisémite. Abject.

(Lire le "Communiqué de l’internationale sardonique").

 Une deuxième fois, en présentant comme une citation du livre des propos que le livre rapporte.

Dans une chronique dont l’élégance doit tout à la « fierté » - c’est son titre - et rien à la « haine », Pierre Georges (Le Monde daté du 26 février 2003) met en cause un « chapitre hallucinant, à dresser les cheveux sur la tête, d’un autre temps et d’autres mœurs, fleurant bon la chasse à l’homme et les considérations marécageuses sur l’intime de chacun.  ». Il s’agit du chapitre 20 (sur lequel nous reviendrons), intitulé « Le Palimpseste du nouveau Monde » (pp. 465-498).

« Autres temps, autres mœurs ». Mais lesquels ? C’est ce que permettraient d’établir quelques quelques citations sorties de leur contexte, et que précise cette pointe finale :

« Vous lisez cela, et quelques autres charmantes citations, du genre Plenel, goy materné par une femme juive d’expérience, et vous avez compris. Sauf à avoir la mémoire qui flanche. »

On l’a compris : c’est l’antisémitisme des années 30 et du régime de Vichy qui inspirerait le chapitre en question.

C’est sans doute l’urgence de cette insinuation - qui doit tout à la « fierté » et rien à la « haine », répétons-le - qui explique pourquoi Pierre Georges extrait d’un autre chapitre que celui qu’il condamne une citation mais qui ne leur appartient pas.

Ainsi que l’ont relevé Pour Lire pas Lu et Pierre Marcelle (Libération daté du 27 janvier 2003), Pierre Georges détecte l’antisémitisme latent… dans un propos, sympathique et amusé de Nicolas Domenach (que l’on peut lire à la page 64), où il évoque un voyage accompli avec Edwy Plenel, Michèle Fitoussi et Nicole Lapierre, durant l’été 1980 :


« On avait, raconte Domenach, un fonctionnement en miroir. Moi, j’étais avec Michèle Fitoussi, lui avec Nicole Lapierre, deux goys avec des femmes juives d’expérience. On portait la Shoah sur notre dos. Il disait qu’il était juif par sa femme. Il était fasciné par ses récits sur sa famille polonaise. Et elle le maternait tout en lui permettant - en s’occupant fort bien de son enfant à elle -, de mûrir enfin. ».

Avec quoi, bien sûr, on peut fabriquer de l’antisémitisme latent. A quoi on pourrait répondre que l’insinuation malveillante est précisément la technique éprouvée de toutes les haines d’ailleurs fort habiles à inventer et déjouer des complots.

Le Complot

« Des imposteurs, des comploteurs, des menteurs » : voila à quoi se résumeraient les cibles désignées à la vindicte publique par Cohen et Péan.

A quoi Le Monde répond : « C’est pas nous, c’est eux ».

Ainsi Edwy Plenel dans son article - « Le Monde est-il un danger pour la démocratie ?  » - dont le titre fracassant détourne une phrase de Péan et Cohen et qui, marketing oblige, est le même que celui de l’affichette publicitaire du jour.

Une « campagne » nous avertissait Le Monde, dans la mise en garde datée du 25 février 2002. Une « campagne » dont Edwy Plenel nous révèle la cible :

« Ce roman d’espionnage est une machine à discréditer, où l’animosité fait litière du sérieux. Son objectif est explicite : provoquer une crise interne au Monde (…) et empêcher qu’il ne réussisse à fédérer autour de lui un groupe de presse indépendant (). »

Une « campagne » à replacer dans le contexte de « l’histoire du Monde et des campagnes lancées contre lui » : une histoire sans aspérités ni différences, où se succèdent des précédents équivalents ou identiques.

« Le journal est la cible d’attaques croisées des extrêmes dans des livres pamphlétaires et des libelles depuis les années 1950 » : tel est le titre du long article qui, dans ce même numéro daté du 26 février, est consacré aux « précédents » et dont l’objet, est de tenter de montrer que ces « attaques croisées » sont, au fond, de même nature.

Nous voilà avertis : tout « attaque » contre Le Monde se prête aux amalgames, doit se prêter aux amalgames, bien que Spinoza n’aie pas enseigné que toute différence n’est qu’une apparence qu’abolit la nuit noire d’un même complot :

« Dès cette époque [les années 50], des opinions divergentes, quoique semblables sur le fond, se coalisent contre Le Monde.  ».

Car , bien attendu, les extrêmes se touchent, tout ce qui se touche se ressemble et ce qui se ressemble s’assemble.

Quant aux « vagues » d’attaques successives - que le même article évoque au pas de charge -, elles appartiennent, aussi dissemblables soient-elles, à la même marée : la marée noire, évidemment, d’un même complot. Un complot qui réunit désormais tous ceux qui n’ont pas choisi le bon « camp » : celui de la direction du Monde : les auteurs du livre, les rédacteurs de Pour Lire Pas Lu (qui auraient ouvert la voie et balisé le chemin), des groupes de presse et L’Express. Curieusement, Le Canard Enchaîné et Acrimed ne sont cités que dans les couloirs.

Et, à la pointe du complot, le réquisitoire.

Le réquisitoire

Le livre de Cohen et Péan serait un « livre-réquisitoire ». L’article d’Edwy Plenel est, en bonne logique un article-plaidoyer, constitué à partir d’un montage de citations et d’une mise en cause de ses deux chapitres, à tous égards, les plus discutables. Nous y reviendrons.

Reste pourtant le corps de l’argumentation. Le Monde plutôt que de s’en charger lui-même confie à la Justice le soin de le réfuter :

« Le Monde (…) demandé à ses avocats d’engager des poursuites sur les diffamations les plus flagrantes, au nom du Monde, de Jean-Marie Colombani, d’Alain Minc et d’Edwy Plenel. Elles devraient viser les deux auteurs, les éditions Mille et une nuits, l’éditeur Claude Durand, L’Express et son directeur, Denis Jeambar. »

C’est évidemment le droit le plus strict des personnes incriminées de le faire. Mais des « poursuites sur les diffamations les plus flagrantes », dispenseront-elles de s’expliquer sur les vérités les plus accablantes ? Ou serviront-elles à enfumer pendant de longs mois toute discussion à leur sujet ?

Telle est la question qui court en filigrane des articles parus dans Libération ou dans Le Nouvel Observateur. C’est la question que soulève très clairement Le Canard Enchaîné dans son numéro du 25 février 2003. Sous le titre « Tout un " Monde " » ,on peut lire notamment ceci :

« Les dirigeants du " Monde ", si fier de son indépendance, n’ont pas répondu à la question essentielle qui se pose au-delà de toute polémique : quelle est la nature exacte des rapports que la direction du " Monde " entretient (ou a entretenus) avec les grandes entreprises françaises et leurs dirigeants ? Avec le groupe de Jean-Luc Lagardère, avec les NMPP, avec Publicis, avec François Pinault comme avec la direction du journal gratuit " 20 minutes " ou même avec Jean-Marie Messier, du temps où Vivendi assurait à la trésorerie du journal, par contrat, un bonus de 2,5 millions d’euros de publicité ?

Sur ces sujets stratégiques, Pierre Péan et Philippe Cohen se sont livrés à une enquête dont les sources paraissent pour le moins sérieuses. Et les premières réponses de la direction du " Monde " pour le moins courtes. Depuis plus de deux ans, le quotidien perd de l’argent (13 millions d’euros en 2001), tout en annonçant gagner des lecteurs. Il a dû se résoudre à émettre 57 millions d’euros d’obligations remboursables en actions, mais il n’a pas indiqué l’identité des souscripteurs. S’il faut de tout pour faire un Monde, il n’en faut évidemment pas moins pour se faire une opinion sur ce qu’est devenu le journal du même nom ! " »

Telles sont en effet quelques unes des questions auxquelles il faudra bien que Le Monde réponde.

A suivre…

 
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Notes

[1Le jugement (sur le site de PLPL). (Note d’Acrimed).

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