Accueil > Critiques > (...) > Les préparatifs de guerre [2003 : L’Irak et la guerre américaine]

Irak

Le Monde méprise les pacifistes

par Laurent Daguerre,

"A Bagdad, les pacifistes s’installent… dans la polémique" : tel est le titre d’un article de Rémy Ourdan, envoyé spécial en Irak, dans Le Monde daté du 25 février, page 3.

L’engagement des pacifistes qui se rendent en Irak alors que les bombardements américains menacent peut être jugé courageux, suicidaire, efficace ou inefficace.Il mérite en tout cas le respect. Rémy Ourdan, du Monde, semble n’avoir pour eux que du mépris : il les décrit comme des fous, des malhonnêtes et des imbéciles déconnectés des Irakiens qui, eux, "veulent la guerre".
Son entreprise de dénigrement sous couvert de reportage mérite tout le mépris de ceux qui vont au bout de leurs idées.

D’abord, l’angle d’attaque. C’est "la polémique". Des "activistes" posent "des questions gênantes, certains annonçant même leur divorce d’avec le mouvement". "Autour de Ken et Katarina, ce n’est déjà plus le paradis des belles idées généreuses, c’est déjà la zizanie" semble se réjouir Ourdan.

"Un curieux personnage"

Mais doit-on s’étonner que le fait de se constituer "bouclier humain" en étant, inévitablement, l’objet de tentatives d’instrumentalisation par le régime de Saddam Hussein, aille sans discussions, prises de conscience, remises en cause ? Le dilemme que "reconnaît" le sociologue Geir Angell, cité ("défendre le peuple sans appuyer le régime"), est placé en intertitre, mais l’article dérive vite de l’analyse vers le mépris.
Rémy Ourdan nous dit ce que Ken O’Keefe, créateur de Human Shields (boucliers humains) "raconte". Il le décrit comme "un curieux personnage, ne supportant pas la contradiction, ayant voyagé en Irak accompagné de sa maman". Comprenez : c’est un illuminé. Un illuminé doublé d’un couard et d’un menteur : il était seulement "à l’arrière" pendant la guerre du Golfe et il a un passeport américain alors qu’il prétend avoir répudié la nationalité américaine en 2001. En plus c’est un escroc (les candidats doivent verser 500 euros sur un compte personnel à Hawaï) et il est récupéré : il affirme être libre de ses mouvements alors que "c’est le gouvernement irakien" qui organise le moindre des déplacements.

"Des hippies en manque d’aventure"

Les gens plus sensés, semble toujours dire Ourdan, comme ce sociologue cité plus haut, se rendent compte de leur folie et prennent peur devant l’attitude des Irakiens qui les placent effectiviement sur des sites sensibles et pour qui "ils seront plus utiles morts que vivants afin d’émouvoir les opinons occidentales".
Rémy Ourdan cite ensuite abondamment un homme "qui s’est désolidarisé de Human Shields" : "Ces gars là sont des clowns ! Ils ne comprennent rien à l’Irak." "A part quelques belles personnes très sincères, ce sont soit des hippies en manque d’aventure, soit des vacanciers qui viennent se balader à Bagdad et comptent de toute façon repartir avant la guerre, soit des jeunes opportunistes qui veulent démarrer dans le journalisme, et tous jouent le jeu du gouvernement irakien".

"Les Irakiens souhaitent la guerre"

Et là, c’est l’estocade. Ces débiles qui "dansent devant un portrait de Saddam Hussein" jouent contre la volonté des vrais gens irakiens, qui, nous suggère Ourdan, témoignage indirect à l’appui, "souhaitent la guerre". Et oui, un autre son de cloche, pas celui des "extraterrestres" que sont les pacifistes mais celui de l’homme qui a quitté Human Shields et qui a dîné avec de vrais Irakiens. Le père de famille lui a dit : "Nous, Monsieur, nous voulons la guerre !".

Bref, les pacifistes sont des empêcheurs de guerroyer en rond. Ca tombe bien, c’est leur but.
Question : méritaient-ils d’être ainsi pris pour cible par le mépris du Monde ?

 
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