Une figurante invitée à figurer
Après plus de 40 minutes de discussion entre les deux invités, David Pujadas donne la parole à Wiam Berhouma.
- David Pujadas : Avant que vous repreniez la parole Alain Finkielkraut, il y a justement quelqu’un, on parle des jeunes femmes, je voudrai donner la parole à quelqu’un qui souhaite s’adresser à vous, une jeune femme, une jeune femme de confession musulmane, elle est ici, dans le public, avec nous, Wiam Berhouma, vous avez 26 ans, bonsoir.
C’est « dans le public » en effet que se trouve Wiam Berhouma.
Cette disposition n’est pas dénuée de sens. Wiam Berhouma n’est pas à la table où prennent place les deux invités : elle est à la périphérie, à l’extrémité d’une banquette, comme si les distinctions sociales (banlieue/Paris, peuple/élite, exclus/inclus), trouvaient ainsi une traduction spatiale. Comme si l’invitée était simplement admise, à condition de ne pas quitter la place qui lui est réservée.
- Wiam Berhouma : Bonsoir.
- David Pujadas : Vous êtes professeure d’anglais dans un collège à Noisy le Sec, alors vous n’êtes encartée dans aucun parti, je précise que vous avez fait partie d’une liste citoyenne aux dernières régionales, mais aucun parti, je le disais vous êtes, vous aussi, de confession musulmane, et c’est sur ce sujet de la religion justement que vous voulez vous adresser à Alain Finkielkraut. Que souhaitez-vous lui dire, que souhaitez-vous lui demander ?
Ce cadrage minutieux du thème de son intervention (la religion) et de son destinataire (Alain Finkielkraut et non Daniel Cohn-Bendit et, plus généralement les téléspectateurs) resserré autour de la formulation d’un souhait et d’une question (et non de la participation, comme on le fera croire par la suite, à une discussion) confirme ce que la disposition spatiale permettait déjà de percevoir. C’est pourtant sur sa fiche d’identité, comme on le verra dans un second article, que vont se focaliser les commentaires postérieurs à l’émission. Mais ce cadre contraignant va voler en éclats, comme cela arrive parfois quand, une fois à l’antenne, l’intervenant ne joue pas la partition programmée...
… à savoir celle des « deux France », celle d’Alain Finkielkraut et celle de Daniel Cohn-Bendit, tel le thème officiel et artificiel de l’émission.
Quoi que l’on pense (il faut y insister) des propos de Wiam Berhouma, c’est une autre France (pour conserver cette présentation malvenue) qui va faire effraction, en refusant le rôle de simple témoin, comme le sera quelques temps après un syndicaliste de la RATP, invité à apporter son « témoignage ». Par-delà l’opposition entre Alain Finkielkraut et Daniel Cohn-Bendit, ce sont « deux France » de la prise de parole qui sont présentes ce soir-là, comme tant d’autres soirs, celle des propriétaires consacrés de la parole publique et celle des dépossédés de cette parole auxquels, par formalisme démocratique, la plupart des tenanciers de l’espace médiatique condescendent à laisser la possibilité de dire uniquement ce que ces mêmes tenanciers jugent dicible.
43’04’’ après le début de l’émission, l’invitée du bout de rangée, sagement assise dans le public, peut prendre la parole.
- Wiam Berhouma : Alors bonsoir à tous, bonsoir monsieur Pujadas, bonsoir à vos invités et bonsoir au public. Je vais aller droit au but, et je vais essayer de faire court. En 10 ans en France, la parole raciste s’est considérablement libérée. Elle est devenue décomplexée, elle est devenue commune et surtout elle est largement partagée par une grande partie de la société française. Et ce racisme là il touche plusieurs communautés on le sait. Mais […] enfin la cible visée et visible c’est surtout les musulmans. [Alain Finkielkraut fait non de la tête] Les musulmans subissent des attaques, ces attaques sont verbales, elles sont physiques mais elles sont aussi et surtout politiques et j’insiste sur ça car c’est un peu le cœur du problème. […] On sait que ces attaques elles ont lieu dans la rue, je pense notamment aux femmes voilées qui se sont faites agresser, je pense aux mosquées qui ont été saccagées. Mais je parle aussi de politique parce qu’il y a des discriminations, il y a une islamophobie institutionnelle et il y a discrimination dans les institutions et là je pense aux discriminations au logement, je pense aux discriminations à l’éducation, je pense aux discriminations, au logement, à l’éducation, à l’emploi et cetera. Ces discriminations là on les connaît et elles sont tellement fortes qu’aujourd’hui en France les musulmans sont quatre fois plus discriminés que les noirs le sont aux Etats-Unis. D’ailleurs hier on apprenait par le ministère de l’intérieur que les musulmans, enfin les attaques islamophobes envers les musulmans ont augmenté de 300 % cette année.
Après cette minute et 41 secondes de prise de parole et à partir de cet instant, Wiam Berhouma, si l’on en croit le scénariste de l’émission et son acteur principal, aurait dû se taire. En effet, David Pujadas et Alain Finkielkraut n’auront de cesse de tenter de l’interrompre : à 25 reprises (que nous avons numérotées entre crochets). Alain Finkielkraut non seulement ne répondra pas (voir plus loin), mais refusera de lui répondre.
Une figurante qui ne voulait pas figurer
Les premières interruptions de David Pujadas condensent presque toute la suite : Wiam Berhouma est invitée à s’en tenir « simplement » à s’adresser à Alain Finkielkraut, à n’évoquer « simplement » que ce qui a été dit par ce dernier, à « aller droit au but », sans développer ce qu’elle pense : « simplement », quoi ! Elle doit « simplement » énoncer sa question, elle n’a pas à la mettre en perspective, à donner à entendre ce qui l’amène à la poser.
- David Pujadas [1] : Madame Berhouma, simplement, que souhaitez-vous dire à Alain Finkielkraut ? Est-ce que vous avez encore entendu une parole raciste ici ?
- Wiam Berhouma : Je souhaiterais contextualiser mon propos… Oui j’en ai entendu, mais je souhaiterais quand même contextualiser…
- David Pujadas [2] : Alors allez-y, droit au but comme vous dites.
- Wiam Berhouma : … et m’élever un peu par rapport au débat. Donc je reprends mon propos, tout ça, alors, enfin, les attaques elles sont tellement fortes, et elles sont surtout nourries, elles sont alimentées, elles sont encouragées…
C’est maintenant au tour d’Alain Finkielkraut de l’interrompre en se mettant en scène, non sans narcissisme, par catégorie sociale interposée et en anticipant, comme on le verra, sur son rôle de victime.
- Alain Finkielkraut [3] : Par des intellectuels.
- Wiam Berhouma : … par plusieurs choses, elles sont encouragées par des discours politiques, ça on le sait, elles sont aussi encouragées par des pseudo-intellectuels qui en parlent et qui font des analyses, et elles sont enfin encouragées par des médias qui traitent l’information de manière totalement biaisée de sorte à faire du musulman l’ennemi de l’intérieur, et j’insiste sur ça, l’ennemi de l’intérieur.
Nouvelle interruption et nouvelle invitation à se borner à poser une question.
- David Pujadas [4] : Alors votre question peut-être.
- Wiam Berhouma : Alors…
- Alain Finkielkraut, qui se désigne ainsi lui-même [5] : Et le pseudo-intellectuel c’est moi.
- Daniel Cohn-Bendit (gentiment moqueur) : Non, tu es un vrai intellectuel.
- Wiam Berhouma : Si vous vous sentez visé…
- Alain Finkielkraut (de plus en plus énervé) [5] : Non, non, non, non. Écoutez, j’ai compris quand même, j’ai compris, alors je peux vous répondre.
- Wiam Berhouma : Non mais laissez-moi terminer mon propos.
David Pujadas, sans parvenir à faire perdre le fil de son propos à Wiam Berhouma, n’en fera rien, d’abord en tentant d’enclore la « discussion » sur ce qui s’est dit sur le plateau, avant de lui poser des questions auxquelles Wiam Berhouma a déjà répondu.
- David Pujadas [6] : Quel est le propos que vous avez entendu ce soir par exemple qui vous, qui vous trouble ou vous jugez déplacé ?
- Wiam Berhouma : Je préfère terminer mon propos tout d’abord et ensuite on aura le temps d’en parler. Donc je disais que tout ça était nourri et alimenté, et moi en tant que musulmane je vois tous les jours, je ne peux que constater ce climat nauséabond dans lequel je vis, dans lequel je vis et qui…
- David Pujadas [7] : Depuis quelques années vous le constatez ?
- Wiam Berhouma : Depuis plusieurs années, oui depuis plusieurs années, dans lequel je vis, et qui est très dangereux.
- David Pujadas [8] : Vous sentez de la méfiance, vous sentez des regards qui ont changé ?
- Wiam Berhouma : Oui, alors il y a beaucoup de méfiance, surtout on se sent marginalisé, il y a une partie de la population qui est marginalisée, et ça, ça nuit très, très fortement à une capacité qu’on pourrait avoir à faire société, à créer un nous inclusif. Et moi je pense que c’est ça dont on a besoin en ce moment les français, c’est à dire qu’on a besoin de réfléchir et c’était ça le rôle des intellectuels et je pense qu’ils ont raté sur ce coup-là. À réfléchir à comment créer une société plus juste, une société plus égalitaire, une société beaucoup plus apaisée aussi et c’est ça, on en a besoin de ça.
L’invitation au « dialogue »
Wiam Berhouma manifestement ne joue pas le jeu qu’on veut lui imposer et comme Alain Finkielkraut s’impatiente et tente de faire croire qu’on veut l’empêcher de parler, David Pujadas invite non plus à poser une question, mais à « dialoguer ». L’invitation au « dialogue » devient, à partir de cet instant, une incantation rituelle destinée à faire taire Wiam Berhouma.
- Alain Finkielkraut [9] : Alors.
- Wiam Berhouma : J’arrive à mon propos, donc.
- David Pujadas [10] : C’est un dialogue donc.
- Wiam Berhouma : Oui je sais.
- Alain Finkielkraut [11] : Oui, je voudrais pouvoir vous répondre.
- Wiam Berhouma (qui pour la première fois se tourne vers l’impatient) : Et là je m’adresse à vous monsieur Finkielkraut et je trouve que sur ce point-là vous avez fait tout le contraire.
- Alain Finkielkraut, péremptoire [12] : D’accord. [Autrement dit, « À moi de parler ».]
- Wiam Berhouma : Là où votre rôle d’intellectuel c’était d’éclairer les débats, vous avez au contraire obscurci nos pensées, nos esprits avec tout un tas de théories vaseuses et très approximatives, je tiens à le dire.
- David Pujadas [13] : Est-ce que vous avez un exemple ?
- Alain Finkielkraut : Bon alors, je peux, non mais ce n’est pas possible, il faut que je réponde quand même !
- Wiam Berhouma : Écoutez, j’aimerais terminer quand même mon…
- Alain Finkielkraut [14] : Je suis vaseux, je suis approximatif, je suis un pseudo-intellectuel.
- David Pujadas : Alors il dit, il vous répond, on essaye de dialoguer.
Sans se départir de son calme, Wiam Berhouma diagnostique en une phrase la place qui lui est réservée.
- Wiam Berhouma : On vous a énormément entendu sur presque tous les plateaux, je n’ai que quelques minutes pour parler. J’aimerais que vous ne me coupiez pas, s’il vous plaît. Donc…
On ne saurait mieux dire. Non seulement Alain Finkielkraut est dans quasiment tous les médias dominants depuis plus de trente ans, mais en plus il considère que sa contradictrice, qui, elle, intervient pour la première fois dans un grand média, a largement outrepassé son droit à la poignée de secondes qui devaient lui être concédées pour poser humblement une question avant de retourner à son néant médiatique.
Ce que David Pujadas s’empresse de confirmer implicitement en invoquant la contrainte de temps qui devrait s’imposer à une éphémère figurante qui devait uniquement servir de faire-valoir d’Alain Finkielkraut.
- David Pujadas [15] : C’est bien de dialoguer en même temps, on n’aura pas le temps après.
- Wiam Berhouma (sans se laisser démonter) : Oui tout à fait mais j’aimerais terminer mon propos, ensuite il me parlera et je lui répondrai s’il le faut. Donc ces théories vaseuses et vous avez surtout surfé sur des peurs, vous avez alimenté des amalgames comme j’ai entendu, que bon nombre de mes concitoyens ont entendus, et tout ça, tout ça, ça a encore plus alimenté ce climat-là délétère et ce climat qui est très, enfin à mon sens, qui est très grave. Et vous avez surtout, ce qui est pour moi le pire, vous vous êtes permis, vous vous êtes octroyé le droit de parler d’islam, de parler des musulmans et de parler des quartiers populaires alors que vous n’en n’avez ni les compétences ni la légitimité.
- Alain Finkielkraut [16] : Bon, merci.
Ce remerciement condescendant, qui nous rappelle que le verbe « remercier » signifie aussi « congédier », n’obtient pas le résultat escompté : Wiam Berhouma ne cède pas.
- Wiam Berhouma : Je n’ai pas terminé.
- Alain Finkielkraut [17] : Ah pardon.
- Wiam Berhouma : Laissez-moi terminer merci.
- David Pujadas [18] : Non, là on va lui laisser vous répondre s’il vous plaît, pour que ce soit un dialogue, il faut que ce soit un dialogue.
Mais c’en est trop pour Alain Finkielkraut qui, (vrai) comédien et (faux) martyr, use d’une ficelle de vieux routier des plateaux médiatiques en brandissant une arme de dissuasion massive.
- Alain Finkielkraut : Je peux partir, ce n’est pas possible, écoutez.
- Wiam Berhouma (poliment, posément et avec le sourire) : Alors je vous rassure monsieur Finkielkraut, je vous rassure, vous allez me répondre tout de suite, et vous n’êtes pas le seul à jouer à ce jeu-là, j’interpelle aussi les médias qui vous font tribune et qui permettent de parler à vous et à d’autres personnes, comme monsieur Zemmour…
- Alain Finkielkraut [19] : Voilà.
- Wiam Berhouma : … comme monsieur…
- Alain Finkielkraut (plaintif) [20] : Pujadas…
- Wiam Berhouma : … comme monsieur Bernard-Henri Lévy, et qui vous permettent à vous…
- David Pujadas tente de passer en force [21] : Eux, ils ne sont pas là pour répondre, là il est là lui, il vous répond. Allez-y Alain Finkielkraut [1].
- Wiam Berhouma : Non, non, non je termine, des semeurs de haine et de discorde.
- Alain Finkielkraut [22] : C’est catastrophique.
- Wiam Berhouma : Et moi je vous pose ma question. Du coup je vous la pose ma question.
- David Pujadas [23] : Allez, allez-y pour la question.
- Wiam Berhouma : Alors ma question, c’est : êtes-vous conscient, et du coup vous aussi monsieur Pujadas…
- Alain Finkielkraut (alors que Wiam Berhouma n’a rien dit de tel) [24] : Que vous êtes un salaud, non ?
_ - Wiam Berhouma : Non. Êtes-vous conscient, j’aurais pu le dire mais je l’ai pas dit… êtes-vous conscient de faire mal à la France ?...
- Alain Finkielkraut [25] : Ah oui bien sûr.
- Wiam Berhouma : … À quel point vous faites mal à la France ? Je vous remercie.
Marquons une pause.
Au cours de la séquence de 4 minutes et 15 secondes (qui court entre 44’45’’ et 49’00’’ de l’émission), Wiam Berhouma est interrompue à 25 reprises. La durée maximale pendant laquelle elle parle sans être interrompue est de 34 secondes.
Non seulement Alain Finkielkraut n’a de cesse d’interrompre Wiam Berhouma, mais, agressif et méprisant, il multiplie les détournements de ses propos, en transformant en attaques ad hominem des traits polémiques, somme toute moins virulents que les philippiques habituelles de sa Majesté : « vaseux », « pseudo-intellectuel ». Quand il n’invente pas des insultes : « salaud ». En adoptant ainsi la posture avantageuse de la victime qu’on empêche de parler et qu’on injurie, il s’apprête à esquiver, dans sa dissertation à venir, les problèmes que Wiam Berhouma a soulevés.
Un dialogueur sachant dialoguer
Le dialogueur sachant dialoguer parle donc à nouveau : pendant 3 minutes et 21 secondes sans être interrompu (et en rendant la parole quand il le souhaite), soit une durée deux fois plus longue que celle pendant laquelle Wiam Berhouma a pu parler sans être interrompue lors de sa première intervention (1 minute et 41 secondes).
- Alain Finkielkraut : Vous m’en avez absolument convaincu. Donc, donc je suis, je dois vous dire absolument accablé par ce que je viens d’entendre. L’une des forces spirituelles de l’Europe ça a été sa capacité de se remettre en question, de ne pas persister dans sa fatuité. Il y a malheureusement parmi les musulmans, je dis bien parmi les musulmans, une tendance tout à fait contraire. On se replie sur une susceptibilité à fleur de peau et on cherche à toute chose un coupable extérieur. Et c’est véritablement dommage car l’occasion si vous voulez ça s’impose aujourd’hui une remise en question de l’islam par lui-même est absolument indispensable. Et je dois dire un certain nombre d’intellectuels musulmans le font, Abdennour Bidar, Boualem Sansal, Kamel Daoud et je citerai aussi sur la question des femmes le poète d’origine syrienne Adonis, un livre intitulé La violence et l’islam. Il est vrai aujourd’hui que le problème principal, le mal, le problème principal de l’islam ne vient pas du mal que lui fait l’occident mais précisément de l’oppression que lui ferait subir l’occident, mais de l’oppression des femmes en terre d’islam. Une oppression qui asservit les femmes et qui mutile les hommes et qui les entraîne dans un culte de la virilité absolument délirant. Il est abs… il est important de le dire, heureusement certains intellectuels musulmans le font, mais à dénoncer, si vous voulez, sans cesse l’islamophobie dès lors qu’on tient un discours un peu critique, on s’installe dans le grief et dans la plainte. Et moi je serai d’accord avec madame pour dénoncer le racisme, mais tous les racismes, c’est Desproges qui disait « je m’inscrirai à SOS racisme le jour où on mettra racisme au pluriel ». Je voudrai rappeler qu’il y a eu sur FR3 [sic] le jeudi 22 octobre un documentaire sur les profs en territoires perdus de la République. Et dans ce documentaire Smaïn Laacher, un sociologue algérien parlait de l’antisémitisme dans, dans les familles arabes. Et il disait qu’il est présent dans l’espace domestique, qu’une des réprimandes, ou les insultes des parents quand ils veulent réprimandes leurs enfants, c’est de les traiter de juifs. Il dit cet antisémitisme il est comme l’air qu’on respire. Voilà une réalité avec laquelle il faut se confronter. Évidemment il ne s’agit pas d’incriminer toute une population, toute une culture, toute une communauté. La preuve c’est Smaïn Laacher qui le dit. Mais essayons, c’est pour ça que je reprends la phrase « nous sommes tous dans le même bateau ». Essayons ensemble de faire face à toutes ces réalités, à toutes ces formes d’exclusion, mais cette façon, si vous voulez, d’insulter quelqu’un qui essaye de regarder la réalité en face, sincèrement ça ne nous aide pas et ça a quelque chose d’absolument désespérant.
Manifestement, en invoquant l’oppression des femmes en terre d’islam, Alain Finkielkraut ne répond pas à la mise en cause par Wiam Berhouma des discriminations dont les musulmans sont l’objet en France. Pis : pour ne rien en dire, il subordonne la critique du racisme antimusulman à la dénonciation des autres racismes.
- David Pujadas : Wiam Berhouma ?
- Wiam Berhouma : Du coup je vais vous répondre. Mais je ne vais pas perdre de temps parce que pour moi vous n’avez pas répondu à ma question. Vous me parlez des femmes à l’extérieur de la France, moi je suis une femme française et musulmane, et je vous parle en mon nom, donc je ne vois pas pourquoi vous me parlez d’autre chose, ça ne me concerne pas.
- Alain Finkielkraut [26] : Je parle de ce qui se passe en France, je parle de l’association Ni Putes Ni Soumises [dont il n’a pas dit un mot]. Je parle de ce qui se passe en France.
Au bout de 16 secondes Alain Finkielkraut interrompt Wiam Berhouma qui, elle, ne l’a pas interrompu, lui, pendant les 3 minutes et 21 secondes de sa tirade. Toujours deux poids (médiatiques), deux mesures (médiatiques).
- Wiam Berhouma : Et bien moi je vous parle de moi, et je ne me sens pas opprimée et pourtant je suis musulmane, donc de quel droit parlez-vous de cela ? Ensuite, je vais vous dire, je pense même pas que je vais perdre mon temps à répondre, je vais plutôt vous dire, il y a une vidéo qui tourne sur vous sur internet où vous criez à monsieur Dafri « Taisez-vous, taisez-vous » je vais vous dire moi, pour le bien de la France, je vous dis la même chose : taisez-vous monsieur Finkielkraut.
Ce détournement polémique de la colère d’Alain Finkielkraut (que l’on peut redécouvrir ici) sera pris au pied de la lettre par les fans d’Alain Finkielkraut qui se concentreront quasi-exclusivement sur cette réplique. Nous y reviendrons.
Épilogue
- Alain Finkielkraut : Voilà c’est merveilleux, vous avez, vous l’avez invitée. Je voudrais quand même, je voudrais quand même, une toute petite réponse, c’est très intéressant si vous voulez. En effet, sur une vidéo qui tourne sur Youtube je dis « taisez-vous ». C’était dans des conditions tout à fait particulières. Je suis invité chez Taddeï…
- David Pujadas : Personne n’a vu cette vidéo donc on ne va peut-être pas…
- Alain Finkielkraut : Alors je vais vous dire, si, si, tout le monde l’a vue, des millions de personnes l’ont vue, des millions de personnes l’ont vue.
- Daniel Cohn-Bendit : Tu m’as dit aussi « taisez-vous » à moi.
- Alain Finkielkraut : Ouais, je le dis à tout le monde, tais-toi.
- Daniel Cohn-Bendit : Mais c’est pas grave, c’est pas grave, ça ne t’a pas coupé le sifflet ?
- Alain Finkielkraut : Non, mais si vous voulez.
- Daniel Cohn-Bendit : Bon alors.
Pendant onze minutes et douze secondes les téléspectateurs ont pu observer la mise en œuvre par deux membres du microcosme médiatique de toutes les techniques et armes dont il dispose pour neutraliser et/ou réduire au silence celles et ceux qui n’en font pas partie. Celles et ceux qui, même quand ils ou elles s’expriment de manière claire et courtoise, quittent l’enclos qui leur est réservé et qui, quoi que l’on pense de leurs propos, ne récitent pas un texte prévisible, dans les émissions auxquelles ils ou elles participent très, très occasionnellement.
Les réactions du microcosme médiatique à l’intervention de Wiam Berhouma (comme nous le verrons dans un prochain article) ont été à la mesure de la transgression accomplie par cette inconnue : des réactions scandalisées par un « clash » et, à bien des égards, scandaleuses. Ou pour le dire plus sobrement : souvent lamentables.
Henri Maler et Denis Souchon