Les téléspectateurs de France 2 ont pu assister, dimanche soir, aux déambulations de Laurent Delahousse et d’Emmanuel Macron à travers les pièces du palais de l’Élysée. Quarante minutes d’une discussion au ton pour le moins cordial. Quant aux questions du journaliste, elles se sont avérées… particulièrement impertinentes. Morceaux choisis :
- « J’ai envie de vous poser une question : est-ce que vous y passez finalement beaucoup de temps dans ce ou ces bureaux ? La nuit, on dit, aussi beaucoup ? Ce n’est pas une légende donc finalement vous dormez très peu ? On avait découvert le candidat “En marche”, on a découvert un président Macron qui court. Vous courrez beaucoup depuis sept mois ? »
- « Il y a peut-être aussi une question que les Français se posent : notre président aujourd’hui, finalement il travaille pour le rayonnement de la France, où il travaille pour les Français ? »
- « Vous avez changé votre statut finalement monsieur le président, vous n’êtes plus simplement président de la République, depuis quelques jours vous êtes le leveur de fonds pour la planète... vous avez mis en place un nouveau leadership, et en même temps la volonté d’un capitalisme écologique nouveau, c’est ça ? »
- « Donc vous avez provoqué une révolution finalement, c’est-à-dire qu’en fait l’entreprise est venue se substituer à l’État américain… »
- « Vous avez gagné contre le populisme, mais ce populisme sera prêt à vous rappeler un certain nombre de choses en vous disant, vous vous éloignez des problèmes des Français en parlant d’écologie. [Emmanuel Macron évoque le rôle de la France à l’international] C’est votre héroïsme politique qui revient là ? »
- « Vous êtes en train de révolutionner quelque chose. Un écologiste, pur et dur, depuis des années, un peu à gauche, il se dit : “Emmanuel Macron, il est en train de substituer notre combat par du capitalisme”. Pour eux c’est terrible à entendre, vous imaginez ? […] Il y a un chemin à faire, pour un certain nombre d’écologistes historiques, de se dire que c’est la finance qui va venir régénérer les espoirs de notre planète. »
- « Vous avez parlé de révolution, on est bien dedans là […] Le leadership il est ici pour l’écologie et pour l’avenir ? »
- « Ça vous agace parfois qu’on dise que le président de la République il va vite, il s’impose, il a un exercice solitaire du pouvoir ? On parle même de Jupiter. Ça vous agace ? »
- « Vous, vous ne voulez pas faire de politique politicienne, en même temps qui sont vos principaux opposants politiques en France ? »
- « On arrive en fin d’année, ça fait sept mois que vous êtes président de la République. Vous leur dites quoi aux Français, il y a ce sapin qui est là, c’est une période particulière... Vous leur dites “N’ayez pas peur de toutes ces révolutions que je vous propose ?” »
Bref, n’en jetez plus... Les interventions de Laurent Delahousse brossent ainsi un portrait tout à l’avantage d’Emmanuel Macron : bourreau de travail, à la tâche jour et nuit, il serait en passe de révolutionner le capitalisme au plan international, en prenant le leadership de la transition écologique et en mettant la finance au service de l’environnement.
Emmanuel Macron a par ailleurs tout loisir de développer ses argumentaires et ses messages clés. Peu ou pas contredit, sinon parfois relancé, il se lance dans de longs tunnels de plusieurs minutes concernant l’actualité internationale, la lutte contre le changement climatique ou encore la réforme de l’audiovisuel public. Les sujets polémiques sont laissés de côté, comme le montre la revue des questions de l’entretien, réalisée par Closer.
Au lendemain de la diffusion de l’entretien, la complaisance de l’entretien a été épinglée par de nombreux commentateurs, qu’il s’agisse de Libération, Marianne, Mediapart, Arrêt sur images ou encore Buzzfeed. À noter également, l’article très juste (et désopilant) de Samuel Gontier.
D’autres articles se font les échos des critiques issues du monde politique ou de certains journalistes, comme Le Parisien, L’Express ou 20 minutes. Ils évoquent notamment la réaction du correspondant de Reuters à l’Élysée. Ce dernier s’est fendu d’un tweet pour le moins cinglant :
Traduction : « Une des questions les plus percutantes de l’interview de Macron : “Voici le sapin de Noël dans la cour, c’est la fin de l’année, que voulez-vous dire aux Français, n’ayez pas peur ?” Le pire du journalisme de déférence à la française. »
Sur RMC et BFM-TV, Jean-Jacques Bourdin a également reproché à Laurent Delahousse de faire « le service après-vente » du sommet climat organisé par Macron la même semaine à Paris, comme le relate le Huffington Post.
Si la prestation de Laurent Delahousse a fait l’objet d’une critique acerbe (et en grande partie méritée), elle ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Mi-octobre 2017, trois journalistes de TF1 avaient déjà été reçus par Emmanuel Macron. Le résultat avait, sans surprise, été d’une grande bienveillance. Comme nous l’évoquions dans un précédent article, un tel journalisme de complaisance est le produit logique d’un dispositif entièrement contrôlé par les services de communication de l’Élysée.
Tant que des journalistes accepteront de se plier à ce genre de conditions, ils seront préposés, plus ou moins ostensiblement, au passage de brosse à reluire. Mais à n’en pas douter les candidats honorés – c’est une condition sine qua non – d’être conviés à badiner avec le souverain en sa demeure ne manquent pas. Ce qui en dit long sur ce qui anime l’élite de la profession…
Frédéric Lemaire