Dimanche 17 décembre, Laurent Delahousse et Emmanuel Macron conviaient les téléspectateurs à une petite déambulation élyséenne, courtoisement appelée « entretien », mais qui avait toutes les caractéristiques du « coup de brosse à reluire ».
Le spectacle et les quantités invraisemblables de cirage déversées par l’animateur de France 2 sur son hôte ont suscité l’indignation, dont celle de journalistes de nombreux grands médias, disposés pour une fois à critiquer – le temps d’un buzz, ne rêvons pas trop – « l’art de l’interview » tel que pratiqué par un ténor de l’info [1].
Pourtant, les mêmes qui se sont émus de l’excès de prévenance pleine d’admiration envers Emmanuel Macron se délectent habituellement de la spectacularisation de l’information portée par ces grand-messes télévisuelles que sont les interviews présidentielles et n’avaient par exemple rien trouvé à redire lorsque Laurence Ferrari et David Pujadas avaient laissé Nicolas Sarkozy transformer un entretien du même genre en monologue monarchique.
Quoi qu’il en soit, c’est donc en journaliste assiégé que Laurent Delahousse a tenu à esquisser sa propre défense sur Twitter en relayant un à un les journalistes (entre autres) qui lui ont témoigné soutien et compassion dans cet immense moment de détresse [2] :
Ainsi donc, les impertinents ayant critiqué le journalisme de révérence à la mode Delahousse sont « jaloux », « grincheux », « haineux », « aigris » et « perfides » ! Il est vrai que mesuré à l’aune de sa pugnacité et du ton que leur héros réserve à ses puissants interlocuteurs, le monde doit sembler bien cruel au fan-club de Laurent Delahousse...
Nous écrivions dans notre précédent article qu’« à n’en pas douter, les candidats honorés – c’est une condition sine qua non – d’être conviés à badiner avec le souverain en sa demeure ne manquent pas. » La liste est-elle pré-établie ?
Nous remercions Laurent Delahousse d’avoir compilé pour nous les éloges futiles et complaisants de son exercice de communication. En plus d’être une mise en scène égocentrée et pathétique, cette revue de presse a le mérite d’illustrer deux traits des journalistes dominants : l’incapacité à questionner leurs pratiques et la défense corporatiste et jusqu’au-boutiste d’une vision servile et superficielle de leur métier.
Pauline Perrenot
Post-scriptum (samedi 23/12, 12h30) :
La vibrante défense de Laurent Delahousse par son rédacteur en chef Jean-Michel Carpentier avait jusqu’alors échappé à notre attention. Voici quelques extraits de sa « libre-pensée », toute en simplicité et sans enflure aucune, dans les colonnes du « FigaroVox » :
Fallait-il l’audace, voire l’arrogance, d’oser briser le sacro-saint totem, celui d’un journalisme assis à la table de son hôte, à son étiage en quelque sorte ? Oser se lever, se mouvoir, échanger, tenter de comprendre plutôt que d’accabler, s’entretenir plutôt que de coincer, converser plutôt que d’agresser, se frôler, se toucher même. Stop !!! Horreur, ô désespoir. Mais que, diable, faites-vous du journalisme réel ? De l’esprit de révolte ? De la remise en cause du système ? Du rejet du pouvoir, de la rébellion, de l’anticonformisme, que diable !! Pauvre Laurent Delahousse, hélas, si lisse… […] À l’opposé, nos valeurs sont celles d’un travail fraternel en équipe, dans le respect des métiers et du savoir-faire professionnel, dans le plaisir d’innover, celui de bousculer nos propres habitudes, mais aussi la recherche d’une élégance, le souci de la politesse, l’exigence de ne pas prendre les téléspectateurs pour des truffes, celle d’éviter autant que faire se peut les faux-semblants, celle de la liberté de conscience, de ne pas dilapider l’argent public, de nous mettre au service de l’intérêt général. Voyez-vous, chers tartuffes, loin de pétrir nos petites idées, nos petites arrières pensées, nos petites ambitions, inlassablement nous cherchons et nous essayons, parfois nous réussissons, parfois un peu moins, c’est vrai. Mais toujours, nous nous fichons comme d’une guigne des bons usages mondains d’une corporation qui fascine moins nos contemporains qu’elle ne les agace. J’en entends un ou deux, forcément un peu rétifs à la modernité, nous accuser d’être la cause de ce rejet, avec « l’inadmissible interview de Macron par son chien » (version brune), « par son valet » (version rouge, ou l’inverse). Ami, entends-tu cette étrange chasse aux sorcières qui ne présage rien de bon.
L’entretien de Laurent Delahousse, un chef d’oeuvre d’anticonformisme ? À notre tour de rire – jaune – « des bons usages mondains d’une corporation » qui, non contente d’avoir laissé tout esprit critique à la porte de l’Élysée, habille des traits de la « modernité » les pires dérives du métier, entérinant une inquiétante conception – propre à ses ténors – de l’information.