Une carrière d’apparatchik de l’Université
Les informations contenues dans la notice que Radio France consacre à ce docteur en géographie (en 1975) et docteur ès lettres (en 1986) ne donnent qu’un (faible) aperçu des nombreuses positions académiques et para-académiques que Jean-Robert Pitte a occupées ou occupe encore aujourd’hui :
- 1988-2014 : professeur de géographie à l’Université Paris-IV ;
- 1988-1991 : dirige l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement ;
- 1992-2002 : président du Comité national français de géographie ;
- 2003-2008 : président de l’Université Paris IV ;
- Depuis 2007 : président de la Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires ;
- Depuis 2009 : président de la Société de géographie ;
- 2010-2014 : délégué à l’information et à l’orientation, auprès du Premier ministre ;
- Depuis 2017 : secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques dont il est membre depuis 2008 [4].
À défaut de garantir une quelconque compétence en matière d’éthique du journalisme, ce parcours académique nous renseigne au moins sur les cercles de sociabilité du personnage. Rappelons par exemple, comme nous l’écrivions dans un article consacré à Éric le Boucher [5], que la section « Économie politique, statistiques et finances » de l’Académie des sciences morales et politiques dont Jean-Robert Pitte est secrétaire, est « majoritairement composée de représentants du patronat privé, parmi lesquels Michel Pébereau, mais aussi Denis Kessler, ou Yvon Gattaz… » [6]
Des prises de position politiques affirmées
Non content de cumuler les positions de pouvoir dans l’Université, Jean-Robert Pitte n’hésite pas à intervenir dans le débat public. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ses prises de positions ne brillent pas par leur sens de la mesure, usuellement associé à ceux qui se piquent d’éthique. Petit florilège de citations témoignant d’une certaine... constance !
À propos de l’occupation de la Sorbonne en 2006 et des mouvements anti-CPE : « Encore une fois, on retrouve les mêmes groupuscules d’extrême-gauche. J’ai vu qu’à Tolbiac ils ressortaient les slogans de 1968, ceux de leurs parents ou grands-parents. » (Le Parisien, 12 mars 2006)
- « Comment rêver de commencer sa vie avec un confortable CDI ou un poste de fonctionnaire, mal payé, mais sûr ? C’est triste d’avoir 60 ans d’âge mental quand on en a 20 à l’état civil. » (Le Figaro, 25 mars 2006)
- « C’est un concentré de brèves de comptoir réacs. “Les étudiants qui défilaient sont d’une frilosité pathétique”, il a eu “honte pour la France, devenue le dernier refuge de Staline”. Il dénonce “l’ignorance et la bêtise” des jeunes et juge “bien triste d’avoir soixante ans d’âge mental quand on en a vingt à l’état-civil” : “leurs rêves sont étriqués”. Jean-Robert Pitte s’en prend aux “c... molles qui s’aplatissent lamentablement devant les étudiants” et tolèrent des “AG illégales et subversives”. Ce n’est pas sur le zinc de la fête Bleu-Blanc-Rouge que cet homme vitupère, mais depuis la Sorbonne dont il préside une université (Paris-IV). Étudiant en 1968, il était déjà opposé au mouvement et du côté de la droite extrême. Il n’a pas changé. » (L’Humanité, 24 avril 2006)
- « Il faut augmenter les droits d’inscription et ouvrir le capital des universités. L’État doit maintenir son effort, mais on ne peut pas augmenter encore la pression fiscale. Vous vous rendez compte que je dispose de 2,60 mètres carrés par étudiant quand un poulet de Bresse a droit à 10 ? » (Le Point, 27 juillet 2006)
- « Il se considère comme notre “complice” dans le combat contre l’étatisme. » (IFRAP, 05 novembre 2006)
- « Feuilletant certains manuels du secondaire, il enrage en constatant l’effarante permanence de l’emprise marxiste sur les esprits : “On enseigne l’économie comme on devait le faire dans l’URSS des années 50. L’argent reste sale. Depuis la Libération, l’Éducation nationale et la culture sont clairement entre les mains de ce qu’on appelle la gauche.” » (Le Figaro, 13 mai 2008)
- « Le vrai détonateur, c’est l’extrême-gauche. Ceux qui bloquent, ceux qui détruisent le matériel sont de pseudo-étudiants militants de la mouvance gauchiste. » (Paris Match, 15 mail 2009)
- « Pour Jean-Robert Pitte, géographe et ex-président de l’Université Paris-Sorbonne, il n’y a aucun doute à avoir : “Les mobilisations étudiantes sont totalement manipulées par l’extrême-gauche !” » (RMC, 14 octobre 2010)
- Dans un article publié dans Le Monde le 30 août 2013 Jean-Robert Pitte nous offre un festival de propos définitifs :
« La voie libérale n’a jamais été essayée en France.
[…] Une haine absurde de l’Union européenne et de la mondialisation.
[…] Au fond la voie libérale qui n’est en rien un extrémisme n’a jamais été essayée dans ce pays, pas même sous Nicolas Sarkozy, malgré le reproche d’ultra-libéralisme qui lui a été adressé. Tout le monde l’exclut d’office par crainte du modèle américain et de ses effets destructeurs pour les moins aptes à prendre leur destin en mains, sans imaginer qu’il est possible de leur apprendre.
[…] Accepter les réformes de bon sens qui s’imposent.
[…] Il est temps de réveiller les forces vives de la France et d’abord le travail en abolissant le frein des 35 heures.
[…] Pour libérer l’initiative, il faut diminuer drastiquement la pression fiscale et donc le train de vie de l’État, le nombre de ses fonctionnaires en premier lieu.
[…] La gratuité généralisée de certains services publics est un luxe absurde qui les dévalorise chaque jour un peu plus. »
Ce n’est donc pas non plus dans ses prises de positions publiques que l’on trouvera des éléments justifiant la nomination de Jean-Robert Pitte au « comité d’éthique » de Radio France...
On ressort plutôt de leur lecture en s’interrogeant : comment notre cher professeur parvient-il à survivre dans « le dernier refuge de Staline », cerné de « groupuscules d’extrême-gauche », de « l’extrême-gauche » et de la « mouvance gauchiste » ?
Jean-Robert Pitte sauvé des gauchistes par le luxe, les croisières et les conseils d’administration
Il faut croire qu’une passion en cache une autre... Car chez Jean-Robert Pitte, la collection de titres universitaires n’a d’égal que l’attirail de distinctions acquises dans le domaine... des vins. Et heureusement pour notre œnologue averti [7], ce secteur « d’excellence » a su reconnaître l’un des siens.
En 2017, il est lauréat du Prix Edmond de Rothschild [8]. Une récompense qui lui sera remise, comme nous l’apprend le site Dico du Vin « au siège de la banque Edmond de Rothschild à Paris [en compagnie d’]Alexis de la Palme, président du directoire Edmond de Rothschild Héritage [et de] Nicolas de Rabaudy, l’organisateur du prix »...
Par ailleurs, il est depuis 2014 « Président d’honneur de Ferrières, l’École de l’excellence à la française. Gastronomie, hôtellerie, luxe. » Et comme nous l’apprend le trop méconnu Journal des palaces, aucun risque de trouver le moindre gauchiste dans cette école où « les frais de scolarité sont fixés à 18.000 euros par an pour la filière francophone et à 24.000 euros par an pour la filière internationale en anglais. »
Nulle trace non plus de l’extrême-gauche lors du 12ème sommet du luxe et de la création, au cours duquel Jean-Robert Pitte intervenait dans une table ronde consacrée à « la fabrique du désirable », et où il côtoyait notamment le directeur de la communication de LVMH.
Aucun groupuscule d’extrême-gauche non plus dans la « commission d’attribution de la distinction Palace », dont notre spécialiste de l’éthique est nommé président le 9 décembre 2015 par un déjà oublié secrétaire d’État « socialiste ». On imagine le dévouement sans fin ni fond avec lequel Jean-Robert Pitte dut s’acquitter du très douloureux examen des 16 palaces et des hôtels 5 étoiles ayant postulé à cette distinction. Un vrai sacerdoce... [9]
Il est réconfortant de savoir que Jean-Robert Pitte, comme Noëlle Lenoir, fait lui aussi partie du microcosme des conférenciers-croisiéristes :
- du 15 au 24 avril 2017, sans doute pour fêter sa nomination au « Comité d’éthique » de Radio France, Jean-Robert Pitte était au programme d’une croisière de luxe « Vignes et Océan » en tant que « spécialiste du Vin et de la Gastronomie Française » [10] ;
- du 11 au 19 avril 2018, sans doute pour fêter sa première année de présence au « Comité d’éthique » de Radio France, il sera une des têtes d’affiche d’une croisière de luxe « Saveurs, vignes et océan » au cours de laquelle il animera des « Conférences autour du vin et de la gastronomie ».
À quand une croisière proposant des conférences avec le duo Jean-Robert Pitte / Noëlle Lenoir dissertant sur « l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes de Radio France » ?
Enfin, nous sommes néanmoins rassurés de savoir que Jean-Robert Pitte, sans doute pour rester à bonne distance de Staline et faire montre de son indépendance vis-à-vis du pouvoir économique, est membre :
- du très masculin conseil d’administration de la Fondation du Crédit Agricole - Pays de France ;
- du conseil d’administration de la Fondation Nestlé ;
Banque et industrie agroalimentaire succèdent ainsi à l’énergie puisque de 2012 à 2014, notre expert multi-cartes était membre du Comité stratégique de Suez-Gaz de France de 2012 à 2014.
Le point commun entre Jean-Robert Pitte, Noëlle Lenoir, Gilles Leclerc et Isabelle Giordano ? Ils n’ont pas leur place au « Comité d’éthique » de Radio France compte-tenu de leurs parcours, activités et prises de positions. S’ils avaient une once… d’éthique, ils n’auraient jamais accepté d’être nommés dans ce comité. Et si les membres du conseil d’administration de Radio France en avaient également, ils n’auraient pas eu l’indécence de nommer ces quatre « personnalités » au « comité d’éthique » de Radio France (comprenant, rappelons-le, cinq membres).
Dans un prochain article nous exposerons les raisons structurelles et éthiques (qui dépassent le seul cas de Radio France) pour lesquelles il faut en finir avec les comités Théodule.
Denis Souchon