« On se trouve donc face à un modèle des médias qui, loin de faire intervenir quelque chose comme une conspiration, met en jeu une construction intellectuelle, un modèle, qui n’a aucunement à faire intervenir des motivations – fussent-elles secrètes – pour expliquer ce qui se passe. Et ce qui se passe, si ce modèle est juste, c’est une remarquable forme de contrôle des esprits laissant la pleine liberté à l’intérieur des cadres qu’elle fixe, une manière d’autocensure consentie qui constitue sans doute la forme la plus efficace de toutes les censures. Au total, les médias contribuent massivement à établir et à défendre l’ordre du jour des maîtres. Ils servent leurs intérêts par le choix des sujets qu’ils traitent, par la manière dont ils pondèrent ces sujets et par celle dont ils les abordent – filtrage de l’information, accent mis ou non sur tel ou tel élément, ton employé ; sans oublier l’assurance que le débat ait lieu à l’intérieur de prémisses tenues pour acceptables. »
Normand Baillargeon, professeur en sciences de l’éducation, L’Ordre moins le pouvoir : histoire et actualité de l’anarchisme, Agone, coll. « Éléments », Marseille, 2008 (1999), p. 165-166.
« Vous vous en tirez plutôt bien dans un débat public lorsque vous faites en sorte que les médias adoptent votre langage et votre grille de lecture. »
Dean Baker, économiste, The Conservative Nanny State : How the Wealthy Use the Government to Stay Rich and Get Ritcher, Center for Economic and Policy Research, Washington, 2006, p.3 [1].
« La France a le plus profond respect pour tout ce qui est ennuyeux. Aussi le vulgarisateur arrive-t-il promptement à une position : il passe homme grave du premier coup, à l’aide de l’ennui qu’il dégage. Cette école est nombreuse. Le vulgarisateur étend une idée d’idée dans un baquet de lieux communs et débite mécaniquement cette effroyable mixtion philosophico-littéraire dans des feuilles continues. La page a l’air pleine, elle a l’air de contenir des idées ; mais, quand l’homme instruit y met le nez, il sent l’odeur des caves vides. C’est profond, et il n’y a rien : l’intelligence s’y éteint comme une chandelle dans un caveau sans air. Le Rienologue est le dieu de la Bourgeoisie actuelle ; il est à sa hauteur, il est propre, il est net, il est sans accidents. Ce robinet d’eau chaude glougloute et glouglouterait in saecula saeculorum sans s’arrêter. »
Honoré de Balzac, écrivain, Monographie de la presse parisienne, dans Les Journalistes, Arléa, Paris, 1988 (1843), p. 60-61.
« En face de la marée montante de la bêtise, il est nécessaire également d’opposer quelques refus. Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu’un esprit un peu propre accepte d’être malhonnête. Or, et pour peu qu’on connaisse le mécanisme des informations, il est facile de s’assurer de l’authenticité d’une nouvelle. C’est à cela qu’un journaliste libre doit donner toute son attention. Car, s’il ne peut dire tout ce qu’il pense, il lui est possible de ne pas dire ce qu’il ne pense pas ou qu’il croit faux. Et c’est ainsi qu’un journal libre se mesure autant à ce qu’il dit qu’à ce qu’il ne dit pas. Cette liberté toute négative est, de loin, la plus importante de toutes, si l’on sait la maintenir. Car elle prépare l’avènement de la vraie liberté. En conséquence, un journal indépendant donne l’origine de ses informations, aide le public à les évaluer, répudie le bourrage de crâne, supprime les invectives, pallie par des commentaires l’uniformisation des informations et, en bref, sert la vérité dans la mesure humaine de ses forces. Cette mesure, si relative qu’elle soit, lui permet du moins de refuser ce qu’aucune force au monde ne pourrait lui faire accepter : servir le mensonge. »
Albert Camus, écrivain, « Les Quatre Commandements du journaliste libre », manifeste censuré qui devait paraître dans Le Soir républicain (Alger), le 25 novembre 1939 [2].
« Le journalisme, c’est comme le ménage. C’est une série de petits gestes discrets à répéter sans cesse. »
David Carr, journaliste, discours devant une promotion de diplômés de l’école de journalisme de Berkeley, à l’université de Californie, le 17 mai 2014. Trad. de l’anglais (États-Unis) pour le site Ulyces par Estelle Sohier d’après la transcription parue dans The Desk (15 février 2015).
« Pourquoi sacrifierait-on la moindre partie de la liberté de la presse à des amours-propres blessés, à des vanités châtiées ? »
François-René de Chateaubriand, écrivain, Correspondance générale, tome IX : 1831-1835, lettre à Alfred du Fougerais du 16 avril 1834, Gallimard, Paris, 2015, p. 319.
« Animateurs et présentateurs de télévision ont tous des visages lisses et caoutchouteux, des physiques de gommeux, comme si la vie dont ils ne font que parler demeurait pour eux un phénomène extérieur qui ne les concernait pas directement. »
Éric Chevillard, écrivain, sur son blog L’Autofictif, le 5 mai 2014 [3].
« Les journalistes ne croient pas les mensonges des hommes politiques, mais ils les répètent ! C’est pire ! »
Coluche, humoriste, Pensées et Anecdotes, Le Cherche Midi Éditeur, coll. « Le Livre de Poche », Paris, 1995, p. 35.
« Quand elle ne parle pas de télévision, la presse parle d’elle-même ; elle a appris cela de la télévision, qui parle essentiellement de télévision. Au lieu de susciter une indignation inquiète, cette situation anormale fait le jeu des hommes politiques, satisfaits de voir que chacune de leurs déclarations à un seul média est reprise en écho par la caisse de résonance de tous les autres médias réunis. Ainsi, les médias, de fenêtre sur le monde, se sont transformés en miroir, les téléspectateurs et les lecteurs regardent un monde politique qui s’admire lui-même, comme la reine de Blanche-Neige. »
Umberto Eco, écrivain et essayiste, « Sur la presse [4] », dans Cinq Questions de morale, trad. de l’italien par Myriem Bouzaher, Grasset, coll. « Le Livre de Poche », Paris, 2000 (1997), p. 100-101.
« En lisant le journal, les gens croient apprendre ce qui se passe dans le monde. En réalité, ils n’apprennent que ce qui se passe dans le journal ».
Philippe Geluck, dessinateur humoristique, Le Retour du Chat, Casterman, Bruxelles, 2002 (1987), p. 15.
« C’est par des informations étendues et exactes que nous voudrions donner à toutes les intelligences libres le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde. La grande cause socialiste et prolétarienne n’a besoin ni du mensonge, ni du demi-mensonge, ni des informations tendancieuses, ni des nouvelles forcées ou tronquées, ni des procédés obliques ou calomnieux. Elle n’a besoin ni qu’on diminue ou rabaisse injustement les adversaires, ni qu’on mutile les faits. Il n’y a que les classes en décadence qui ont peur de toute la vérité ; et je voudrais que la démocratie socialiste unie à nous de cœur et de pensée, fût fière bientôt de constater avec nous que tous les partis et toutes les classes sont obligés de reconnaître la loyauté de nos comptes rendus, la sûreté de nos renseignements, l’exactitude contrôlée de nos correspondances. J’ose dire que c’est par là vraiment que nous marquerons tout notre respect pour le prolétariat. Il verra bien, je l’espère, que ce souci constant et scrupuleux de la vérité même dans les plus âpres batailles, n’émousse pas la vigueur du combat ; il donne au contraire aux coups portés contre le préjugé, l’injustice et le mensonge une force décisive. »
Jean Jaurès, homme politique et penseur, « Notre but : l’humanité », éditorial du premier numéro de L’Humanité, le 18 avril 1904 [5].
« Une fabrication à échelle industrielle de clichés, de phrases toutes faites, de stéréotypes, de formules convenues. À force de décrire les choses dans un langage automatique, on finit par ne plus du tout parler du réel. La langue tourne toute seule, se répète, d’article en article et de magazine en émission. Cette langue automatique ne parle plus que d’elle-même.
[…]
Intervention d’un présentateur de journal télévisé dans un cours de fac, déclarant tranquillement aux étudiants médusés que son métier ne consiste pas à informer, mais à suivre les sujets traités dans les autres journaux. “Si vous voulez vous informer, allez sur internet !” Textuellement. Bien sûr, le panurgisme des journalistes est une évidence. Peu importe les faits, il faut faire comme les autres, et toute la profession de s’exciter une semaine sur la même chose, en général un détail croustillant, un peu scandaleux, jusqu’à l’écœurement, avant qu’on passe à une autre obsession provisoire. Le fait, pour le journaliste moyen, ce n’est pratiquement plus ce qui se passe, mais ce dont parlent les autres journalistes. On le savait, mais on ne se doutait pas forcément (en tous cas pas moi, méchant mais encore naïf) que la chose était assumée et revendiquée. »
Pierre Jourde, écrivain et critique, « Les professionnels », sur son blog Confitures de culture, hébergé sur le site de L’Obs, le 12 juin 2015.
« Partout dans le monde, partout où il y a des capitalistes, la liberté de la presse signifie la liberté d’acheter des journaux, d’acheter des écrivains, de corrompre, d’acheter et de fausser l’“opinion publique” au profit de la bourgeoisie. C’est un fait. Personne ne sera jamais en mesure de le réfuter. Et nous ? »
Lénine, homme politique et penseur, « Lettre à Miasnikov sur la liberté de la presse » du 5 août 1921 [6].
« L’accaparement médiatique de l’action politique crée, sous couvert d’information, une fausse démocratie publique au service de l’oligarchie globale. Les divers métiers du commentaire connaissent une flambée inédite et la scène est occupée en permanence par des politologues, des éditorialistes, des spécialistes de l’opinion et experts en communication chargés d’un soi-disant décryptage de l’actualité, et du même coup de l’encadrement de l’opinion. Or, si l’information peut être utilement analysée et documentée, au-delà d’un certain seuil on voit bien que l’actualité n’étant nullement cryptée, juger les citoyens incapables de comprendre ce qui est leur propre histoire revient aussi à les disqualifier comme électeurs. Mais la construction et la destruction de l’image des acteurs politiques, des élus et des candidats aux élections relèvent de mécanismes par lesquels commenter c’est faire exister ou au contraire déconsidérer. À travers un déferlement ininterrompu de controverses se trouve sans cesse réaffirmé et glorifié le projet néolibéral mondialisé, bénéficiaire jour après jour de la preuve par l’apparente irrecevabilité du contraire, malgré les signes répétés de son inéluctable échec. C’est la société de marché qui gouverne, et non la société civile, et la démocratie n’est plus dès lors que l’ultime liberté de choisir les modalités et les porte-parole de notre asservissement à l’économie. »
Jean Lombard, philosophe, « Qu’est-ce que voter ? La citoyenneté en fin de droits », Les Cahiers rationalistes, n° 633, novembre-décembre 2014, p. 16-27.
« Je dois dire que je trouve que la télévision a une grande valeur éducative. Dès que quelqu’un l’allume, je vais dans une bibliothèque pour y lire un bon livre. »
Groucho Marx, humoriste, « King Leer », dans The Essential Groucho : Writings by, for, and about Groucho Marx, sélectionnés et édités par Stefan Kanfer, Vintage Books, New York, 2000 (1950), p. 207 [7].
« [C]e sont les journaux bourgeois qui nous prêchent la morale et la religion, tout en se réservant le scepticisme et l’indifférence ».
Pierre-Joseph Proudhon, penseur et homme politique, Deuxième Mémoire sur la propriété, dans Œuvres complètes de P.-J. Proudhon, tome XIV, Bouglé et Moysset (dir.), Marcel Rivière, Paris, 1938 (1841), p. 75 [8].
« Je crie au nom des journalistes qui sont réduits soit au silence, soit au mensonge pour ne pas subir les dures lois du chômage. »
Thomas Sankara, président du Burkina Faso, discours à l’ONU du 4 octobre 1984.
« Le public se défie des journaux, mais sa défiance ne le protège pas. Sachant en gros qu’un journal contient des vérités et des mensonges, il répartit les nouvelles annoncées entre ces deux rubriques, mais au hasard, au gré de ses préférences. Il est ainsi livré à l’erreur.
Tout le monde sait que, lorsque le journalisme se confond avec l’organisation du mensonge, il constitue un crime. Mais on croit que c’est un crime impunissable. Qu’est-ce qui peut bien empêcher de punir une activité une fois qu’elle a été reconnue comme criminelle ? D’où peut bien venir cette étrange conception de crimes non punissables ? C’est une des plus monstrueuses déformations de l’esprit juridique. »
Simone Weil, philosophe, L’Enracinement : prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, Gallimard, coll. « Folio/essais », Paris, 2015 (1949), p. 53-54.