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La critique des médias dans tous ses états : sélection de citations (1)

par Laurent Dauré,

Les citations présentées ci-dessous relèvent de différentes formes de critique des médias [1]. Le parti pris était de choisir des auteurs qui ne sont pas (ou qui sont peu) connus pour leurs écrits dans ce domaine. Point donc de citations de Karl Kraus, Pierre Bourdieu ou Noam Chomsky. Nous pouvons avoir des désaccords plus ou moins profonds avec les auteurs sur d’autres aspects de leur pensée, il s’agit ici simplement de faire connaître des réflexions qui nous semblent pertinentes en tant qu’apports hétéroclites à la critique des médias. Nous envisageons de publier d’autres sélections de citations, n’hésitez pas à nous faire parvenir celles que vous aurez collectées au gré de vos lectures [2].

« Quelque rusés que soient les journalistes, ils sont parfois les dupes volontaires ou involontaires de l’habileté de ceux d’entre eux qui, de la Presse, ont passé, comme Claude Vignon, dans les hautes régions du pouvoir. »

Honoré de Balzac, écrivain, La Cousine Bette, Omnibus, Paris, 1999 (1846), p. 134.

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« Le téléviseur est "réel". Il est là, il a de la dimension. Il vous dit quoi penser, vous le hurle à la figure. Il doit avoir raison, tant il paraît avoir raison. Il vous précipite si vite vers ses propres conclusions que votre esprit n’a pas le temps de se récrier : "Quelle idiotie !" »

Ray Bradbury, écrivain, Fahrenheit 451, trad. de l’anglais (États-Unis) par Jacques Chambon et Henri Robillot, Gallimard, coll. Folio SF, Paris, 1995 (1953), p. 128.

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« La faute n’est donc pas au public, qui demande des sottises, mais à ceux qui ne savent pas lui servir autre chose. »

Miguel de Cervantès, écrivain, L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, tome I, trad. de l’espagnol par Louis Viardot, Flammarion, Paris, 1969 (1605), p. 466.

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« La grande entreprise est dirigée par une équipe très nombreuse d’hommes et de femmes hautement qualifiés, aux relations très étendues. Ils n’ont pas de mal à se persuader que les besoins de leur société et les impératifs de la politique nationale se confondent. Et les journaux et les programmes de télévision et de radio se font leurs porte-parole car ils savent à merveille formuler et faire prévaloir leurs idées. Personne ne s’est jamais fait traiter d’extrémiste pour avoir défendu le point de vue de la Chase Manhattan Bank. J’ai souvent dit que dans notre société industrialisée moderne, la voix de la classe aisée, notamment celle des cadres des entreprises, parce qu’elle a un meilleur accès aux circuits de communications, est régulièrement confondue avec la voix de la collectivité. »

John Kenneth Galbraith, Tout savoir – ou presque – sur l’économie, entretien avec Nicole Salinger, Seuil, Paris, 1978, p. 65-66.

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« Énormes sont les moyens mis en œuvre pour conditionner l’opinion publique, et, dans leur immense majorité, ces moyens – à la fois intellectuels et matériels – sont aux mains des hommes de pouvoir, directement ou par relais, administrativement ou par complaisance. Une société peut, dans de telles conditions, se permettre de sacrifier aux rites de la démocratie chaque fois que cela ne porte pas atteinte aux intérêts des puissants, mais ses dirigeants savent bien qu’elle changerait de visage si la démocratie était libérée de ses entraves. Voilà bien le danger. Pour tenter de l’écarter, il faut convaincre le grand public que, en dépit d’incontestables déficiences, la société libérale avancée est quand même plus agréable à vivre que tout autre modèle existant de par le monde. Aucun effort ne sera donc négligé pour dénoncer les tares – ostensibles, éclatantes – des autres systèmes. Et pourquoi pas, si un exercice aussi salubre ne détourne pas le regard des tares du système dans lequel on vit ? Mais la critique se porte plus volontiers sur autrui que sur soi et finit par donner un caractère anodin et bénin aux injustices commises chez soi. »

Claude Julien, journaliste, Le Devoir d’irrespect : articles du Monde diplomatique 1973-1990, HB Éditions, Forcalquier, 2007, p. 14 [3].

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« L’approche pseudo-équilibrée des médias, en particulier, me fait hurler. J’ai coutume de blaguer en disant que si Bush affirmait que la terre est plate, les journaux titreraient le lendemain : "Forme de la terre : les vues divergent".  »

Paul Krugman, économiste, au Nouvel Observateur, 4 novembre 2004.

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« Il suffit de feuilleter les hebdomadaires politiques américains ou européens, ceux de la gauche comme ceux de la droite, du Time au Spiegel ; ils possèdent tous la même vision de la vie qui se reflète dans le même ordre selon lequel leur sommaire est composé, dans les mêmes rubriques, le mêmes formes journalistiques, dans le même vocabulaire et le même style, dans les mêmes goûts artistiques et dans la même hiérarchie de ce qu’ils trouvent important et de ce qu’ils trouvent insignifiant. Cet esprit commun des mass média dissimulé derrière leur diversité politique, c’est l’esprit de notre temps. »

Milan Kundera, écrivain, L’Art du roman, Gallimard, coll. Folio, Paris, 1986, p. 30.

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« Si vous n’êtes pas vigilants, les journaux arriveront à vous faire détester les opprimés et aimer ceux qui les oppriment. »

Malcolm X, militant des droits civiques, cité dans Propaganda Review, printemps 1989 [4].

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« Un autre exemple de l’uniformité, au milieu de la diversité des médias de communication, a été l’interprétation qu’ont faite ces médias du problème social le plus important en Espagne, à savoir le chômage. La grande majorité de la caste médiatique – à quelques exceptions près – a attribué ce chômage à la rigidité du marché du travail espagnol, ainsi qu’à l’accroissement excessif des salaires et de la protection sociale qui, sous-entendu, ont inhibé l’investissement et la création d’emploi de la part de la classe entrepreneuriale de notre pays. Cette interprétation du chômage fut reproduite ad nauseam dans les médias de persuasion, et plus particulièrement dans ceux proches du capital financier, dont les porte-voix ont été les plus insistants dans la propagation de cet évangile, annuellement bénie par les centres de l’orthodoxie financière, la banque d’Espagne, le FMI et l’équipe économique de l’OCDE. »

Vicenç Navarro, sociologue, Bienestar insuficiente, democracia incompleta : sobre lo que no se habla en nuestro país, Anagrama, Madrid, 2002, p. 138 [5].

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« Ce qui m’intéresse, c’est l’infra-ordinaire, le contraire de l’événement. Les journaux passent leur temps à repérer ce qui casse. Pourtant, ce qui est effroyable, ce n’est pas le coup de grisou, c’est le travail à la mine. Il y a une sorte d’anesthésie par le quotidien : on ne fait plus attention à ce qui nous entoure, à ce qui se refait tous les jours, seulement à ce qui déchire le quotidien. »

Georges Perec, écrivain, cité par Gérard Dupuy, Libération, 5 mars 1982.

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« À l’occasion d’une conférence que j’ai faite il y a quelques années en Allemagne, j’ai pu rencontrer le responsable d’une chaîne qui était venu m’écouter avec quelques-uns des ses collaborateurs. Je m’abstiens de le nommer, pour éviter de donner à cette affaire un tour personnel. Au cours de notre discussion, il me tint des propos effarants, qui lui paraissaient naturellement indiscutables. "Nous devons offrir aux gens ce qu’ils attendent", disait-il, par exemple, comme si l’on pouvait savoir ce que les gens veulent, simplement en s’appuyant sur les statistiques de l’audimat. Tout ce que l’on peut recueillir, éventuellement, ce sont des indications sur les préférences des téléspectateurs devant les programmes qui leur sont offerts. Ces chiffres sont bien incapables de nous dire ce que nous devons ou pouvons proposer, et ce directeur de chaîne ne peut pas non plus savoir quels choix feraient les téléspectateurs devant d’autres propositions que les siennes. De fait, il était convaincu que le choix n’est possible que dans le cadre de ce qui est d’ores et déjà offert, et il n’envisage aucune alternative. Nous eûmes une discussion réellement incroyable. Sa position lui semblait conforme aux "principes de la démocratie", et il pensait devoir suivre la seule direction qui était compréhensible pour lui, celle qu’il considérait comme "la plus populaire". Or, rien dans la démocratie ne justifie la thèse de ce directeur de chaîne, pour qui le fait de présenter des émissions de plus en plus médiocres correspond aux principes de la démocratie, "parce que c’est ce que les gens attendent". À ce compte-là, il ne nous reste plus qu’à aller au diable ! »

Karl Popper, philosophe, La Télévision : un danger pour la démocratie, avec John Condry, trad. de l’anglais par Claude Orsoni, Bibliothèque 10/18, Paris, 1994 (1993 pour l’édition anglaise), p. 23-24.

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« Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers ? se changer en bouffon
Dans l’espoir vil de voir, aux lèvres d’un ministre,
Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
Non, merci. Déjeuner, chaque jour, d’un crapaud ?
Avoir un ventre usé par la marche ? une peau
Qui plus vite, à l’endroit des genoux, devient sale ?
Exécuter des tours de souplesse dorsale ?...
Non, merci. D’une main flatter la chèvre au cou
Cependant que, de l’autre, on arrose le chou,
Et donneur de séné par désir de rhubarbe,
Avoir un encensoir, toujours, dans quelque barbe ?
Non, merci ! »

Edmond Rostand, écrivain, Cyrano de Bergerac, acte II, scène VIII, Gallimard, coll. Folio classique, Paris, 1999 (1897), p. 189-190.


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« Il faut, pour comprendre ce que nous voulons, voir ce qu’il faut entendre par liberté de l’information. La première chose sur laquelle on fait beaucoup d’erreurs, c’est qu’on croit que la liberté d’information, le droit à la liberté de la presse, c’est un droit du journaliste. Mais pas du tout, c’est un droit du lecteur du journal. C’est-à-dire que c’est les gens, les gens dans la rue, les gens qui achètent le journal, qui ont le droit d’être informé. C’est les gens qui travaillent dans une entreprise, dans un chantier, dans un bureau qui ont le droit de savoir ce qu’il se passe et d’en tirer les conséquences. Naturellement, il en résulte qu’il faut que le journaliste ait la possibilité d’exprimer ses pensées, mais cela signifie seulement qu’il doit faire en sorte qu’il informe constamment le peuple. Quel est le moyen d’informer le peuple ? C’est de l’informer par le peuple. [...] On vous a parlé d’objectivité. L’objectivité, c’est une situation vraie telle qu’elle est exprimée par la pensée populaire. Ce sont des gens qui pensent sur une situation qui est la leur. Cela, nous devons le recueillir. Comme on vous l’a dit, le journaliste ne doit pas faire l’histoire, il ne doit pas l’interpréter. Il doit recueillir l’événement et le donner dans le journal à ceux du peuple qui n’ont pas été intéressés à l’événement en question ou qui n’en ont pas été mis au courant. Donc, il faut essentiellement que le peuple discute avec le peuple. »

Jean-Paul Sartre, philosophe, conférence de presse de présentation du quotidien Libération, 4 janvier 1973, cité par François-Marie Samuelson, Il était une fois Libé, Seuil, Paris, 1979, p. 153-154.

 
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Notes

[1La présentation suit l’ordre alphabétique du nom des auteurs.

[2Le formulaire de contact est ici. Veuillez accompagner chaque citation de références détaillées, comme dans la présente sélection.

[3La préface du Devoir d’irrespect dont est extrait ce passage a été reproduite sur le site Internet du Monde diplomatique.

[4Nous ne sommes pas parvenus à trouver les références complètes de cette citation (date et « lieu » de la première publication). Si vous avez ces précisions, transmettez-les-nous. Il n’y a malheureusement rien à gagner à part nos remerciements.

[5Traduction de Benjamin.

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