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Le Parti socialiste et la question des médias : « Quand t’es dans le désert depuis trop longtemps »

par Denis Perais,

À l’occasion du 72ème Congrès du Parti socialiste qui se déroulera du 5 au 7 juin 2015, nous nous penchons sur les propositions quant à la transformation du secteur des médias contenues dans les quatre motions soumises au vote des militants, afin d’évaluer une éventuelle évolution du PS sur la question [1]. Résultat : un vide sidéral qui, paradoxalement, rappelle une nouvelle fois cette évidence : le combat pour l’appropriation démocratique des médias est une question politique de première importance.

Demandez le (non-)programme

Les motions B [2] et D [3] sont vierges de toute évocation du sujet.

La motion A [4] fait à peine mieux avec 31 mots [5] ! Les voici :

- « Soutenons le pluralisme de l’information à l’heure où, notamment, le modèle économique de la presse écrite est percutée par le déploiement du numérique et de l’information en continu ».

Voilà. Rappelons que la motion A est la motion présentée, entre autres, par le premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis, et qu’elle a reçu la majorité absolue des suffrages lors des congrès locaux.

En comparaison, l’effort produit par la motion C [6] apparaît « considérable » avec rien moins que… 5 paragraphes [7].

Une information libre, indépendante et diversifiée des citoyenNes, le pluralisme des sources des analyses et des idées sont au cœur du projet de toute démocratie responsable.
Nous constatons que les média sont soumis de plus en plus à des contraintes financières, ce qui les incite à de l’autocensure eu égard aux revenus publicitaires. Ils font la part belle au sensationnel qui attire le lecteur ou le téléspectateur au détriment d’articles, de reportages, d’enquêtes et de débats de fond.
Le flux d’informations accessibles aux citoyenNes est devenu considérable. Une information chasse rapidement l’autre. Les citoyenNes ne sont plus en capacité d’en distinguer la véracité.
Proposition 85 : Nous proposons que les citoyenNes quel que soit leur âge soient formés à exercer leur esprit critique dans le cadre de l’éducation nationale, de l’éducation populaire, des associations, des partis politiques et en particulier au parti socialiste.
L’État, garant de la liberté de la presse, doit veiller à sa pluralité et à sa pérennité, tant par des lois que par des aides publiques.

Et c’est tout.


Vide de la pensée et renoncement

Bref, un néant qu’il est aussi vain qu’inutile de commenter largement sur le fond tant il parle de lui-même.

Il met d’abord en lumière de manière remarquable l’incapacité définitive du Parti socialiste à avoir une réflexion approfondie sur les enjeux liés à la question des médias, qui pourrait déboucher ensuite sur des propositions précises et sérieuses capables de la « mettre en musique ».

Concrètement, la seule (microscopique) « réforme » réalisée par le gouvernement concerne la modification du mode de désignation du président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui, si elle ne relève plus du président de la République mais du CSA lui-même, demeure sous un étroit contrôle politique, les membres de l’institution étant choisis respectivement par le plus haut personnage de l’exécutif (deux) et les deux présidents des assemblées parlementaires (trois chacun).


Le « changement » dans la continuité

La récente désignation de Delphine Ernotte-Cunci à la tête de France Télévisions, dans une totale opacité et dans des conditions contestables [8] le confirme avec éclat, malgré les dénégations du président du CSA qui a jugé le processus satisfaisant lors d’une audition parlementaire le 26 mai 2015. Circulez, il n’y donc rien à voir… On se demande bien alors pourquoi le syndicat SNPCA-CGC a décidé de « saisir la justice concernant la présidence de France Télévisions » [9]...

Une déliquescence que nous avons constatée au fil des années dans les huit articles (avant celui-ci) que nous avons publiés depuis 2006 sur les propositions du Parti socialiste sur le sujet :

- 2006 : « Demandez le programme » : le projet du Parti socialiste pour les médias » (12 juin) et « Crise de la presse écrite : des propositions venues du Parti socialiste » (22 novembre).

- 2008 : « Congrès du Parti socialiste : Ce que les six motions disent sur les médias » (14 novembre).

- 2011 : « Le projet minimaliste du Parti socialiste pour les médias » (13 avril).

- 2012 : « François Hollande et les médias : du presque rien dans un épais brouillard ! » (29 janvier), « Des candidats à l’élection présidentielle répondent à Acrimed (1) : sur l’appropriation privée des médias » (29 mars), « Des candidats à l’élection présidentielle répondent à Acrimed (2) : sur l’avenir de TF1 » (5 avril) et « Des candidats répondent à Acrimed (3) : Sur le service public et les médias associatifs » (13 avril).

Il illustre ensuite à merveille le renoncement définitif du « parti de Jaurès » à mener un combat frontal pour « battre [sérieusement] en brèche » – à défaut d’éliminer complètement – la mainmise de ténors du capitalisme sur la propriété des médias (internet compris), ce secteur stratégique en constante évolution.

Les Arnault, Bolloré, Bouygues, Dassault, Lagardère, Pinault, Bertlesmann, Drahi, Weill [10], le trio Bergé-Niel-Pigasse, les géants des télécommunications ou de l’internet (Google en premier lieu) peuvent dormir tranquilles…


Réflexion, propositions et mobilisations : les trois conditions du renouveau

Ce néant prouve enfin que le « salut » ne viendra pas d’un parti qui n’a plus de socialiste que le nom, mais plus sûrement d’autres forces politiques, syndicales et associatives à la volonté réellement émancipatrice, qui doivent s’atteler à faire vivre un débat public décisif, ce qu’elles font – mais de manière encore trop épisodique – avec des propositions sérieuses même si souvent incomplètes [11].

Deux contributions récentes sont venues rappeler que la réflexion était pourtant toujours vivace [12].

Ainsi, Pierre Rimbert dans son article « Pour une presse libre », paru dans Le Monde diplomatique en décembre 2014, esquisse des pistes intéressantes pour transformer en profondeur le financement de la presse écrite [13]

Notre association Acrimed continue quant à elle inlassablement de remettre « sur le métier » ses propositions (elles aussi incomplètes), récemment le 31 janvier dernier à l’occasion de la première journée de critique des médias organisée à Paris. Pour consulter l’intégralité de nos articles sur le sujet, on pourra se rendre sur notre rubrique dédiée.

Malgré les renoncements des uns et des autres, nous n’abandonnons pas notre objectif de contribuer à construire un mouvement d’ampleur, pluraliste, capable d’imposer le projet d’une véritable appropriation démocratique des médias comme une question politique essentielle.

Comme nous le rappelons régulièrement, « si un autre monde est possible, d’autres médias le sont aussi, mais, pour qu’un autre monde soit possible, d’autres médias sont nécessaires ».

Denis Pérais

 
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Notes

[1Voir nos précédents articles, dont la liste est donnée plus bas.

[2Motion B

[3Motion D

[4Motion A

[5Page 24 de la version papier.

[6Motion C

[7Page 79 de la version papier.

[8Lire à ce sujet l’article de Laurent Mauduit du 16 mai 2015 intitulé « France Télévisions : la désignation de la PDG entachée d’irrégularités ».

[9Information confirmée par Jean-Jacques Cordival, responsable du SNPCA-CGC dans un article de Laurent Mauduit paru sur Mediapart le 25 mai.

[10Le propriétaire du groupe NextRadioTV (BFMTV, RMC) qui s’est porté candidat récemment pour l’acquisition de la chaîne de la TNT Numéro 23, opération pour laquelle le CSA a lancé une étude d’impact avant de prendre une décision qui sera rendue publique, comme s’y est engagé son président Oliver Schrameck.

[11Ces propositions sont à consulter dans notre rubrique « Transformer les médias : D’autres propositions ».

[12Même si sa contribution se révèle pour le moins approximative et ne remet pas en cause les fondements qui organisent le fonctionnement actuel des médias, nous mentionnons quand même en note l’ouvrage de Julia Cagé intitulé Sauver les médias. Capitalisme, financement participatif et démocratie, publié aux éditions du Seuil.

[13Texte publié en intégralité sur notre site.

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