Demandez le (non-)programme
Les motions B [2] et D [3] sont vierges de toute évocation du sujet.
La motion A [4] fait à peine mieux avec 31 mots [5] ! Les voici :
- « Soutenons le pluralisme de l’information à l’heure où, notamment, le modèle économique de la presse écrite est percutée par le déploiement du numérique et de l’information en continu ».
Voilà. Rappelons que la motion A est la motion présentée, entre autres, par le premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis, et qu’elle a reçu la majorité absolue des suffrages lors des congrès locaux.
En comparaison, l’effort produit par la motion C [6] apparaît « considérable » avec rien moins que… 5 paragraphes [7].
Une information libre, indépendante et diversifiée des citoyenNes, le pluralisme des sources des analyses et des idées sont au cœur du projet de toute démocratie responsable.
Nous constatons que les média sont soumis de plus en plus à des contraintes financières, ce qui les incite à de l’autocensure eu égard aux revenus publicitaires. Ils font la part belle au sensationnel qui attire le lecteur ou le téléspectateur au détriment d’articles, de reportages, d’enquêtes et de débats de fond.
Le flux d’informations accessibles aux citoyenNes est devenu considérable. Une information chasse rapidement l’autre. Les citoyenNes ne sont plus en capacité d’en distinguer la véracité.
Proposition 85 : Nous proposons que les citoyenNes quel que soit leur âge soient formés à exercer leur esprit critique dans le cadre de l’éducation nationale, de l’éducation populaire, des associations, des partis politiques et en particulier au parti socialiste.
L’État, garant de la liberté de la presse, doit veiller à sa pluralité et à sa pérennité, tant par des lois que par des aides publiques.
Et c’est tout.
Vide de la pensée et renoncement
Bref, un néant qu’il est aussi vain qu’inutile de commenter largement sur le fond tant il parle de lui-même.
Il met d’abord en lumière de manière remarquable l’incapacité définitive du Parti socialiste à avoir une réflexion approfondie sur les enjeux liés à la question des médias, qui pourrait déboucher ensuite sur des propositions précises et sérieuses capables de la « mettre en musique ».
Concrètement, la seule (microscopique) « réforme » réalisée par le gouvernement concerne la modification du mode de désignation du président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui, si elle ne relève plus du président de la République mais du CSA lui-même, demeure sous un étroit contrôle politique, les membres de l’institution étant choisis respectivement par le plus haut personnage de l’exécutif (deux) et les deux présidents des assemblées parlementaires (trois chacun).
Le « changement » dans la continuité
La récente désignation de Delphine Ernotte-Cunci à la tête de France Télévisions, dans une totale opacité et dans des conditions contestables [8] le confirme avec éclat, malgré les dénégations du président du CSA qui a jugé le processus satisfaisant lors d’une audition parlementaire le 26 mai 2015. Circulez, il n’y donc rien à voir… On se demande bien alors pourquoi le syndicat SNPCA-CGC a décidé de « saisir la justice concernant la présidence de France Télévisions » [9]...
Une déliquescence que nous avons constatée au fil des années dans les huit articles (avant celui-ci) que nous avons publiés depuis 2006 sur les propositions du Parti socialiste sur le sujet :
- 2006 : « Demandez le programme » : le projet du Parti socialiste pour les médias » (12 juin) et « Crise de la presse écrite : des propositions venues du Parti socialiste » (22 novembre).
- 2008 : « Congrès du Parti socialiste : Ce que les six motions disent sur les médias » (14 novembre).
- 2011 : « Le projet minimaliste du Parti socialiste pour les médias » (13 avril).
- 2012 : « François Hollande et les médias : du presque rien dans un épais brouillard ! » (29 janvier), « Des candidats à l’élection présidentielle répondent à Acrimed (1) : sur l’appropriation privée des médias » (29 mars), « Des candidats à l’élection présidentielle répondent à Acrimed (2) : sur l’avenir de TF1 » (5 avril) et « Des candidats répondent à Acrimed (3) : Sur le service public et les médias associatifs » (13 avril).
Il illustre ensuite à merveille le renoncement définitif du « parti de Jaurès » à mener un combat frontal pour « battre [sérieusement] en brèche » – à défaut d’éliminer complètement – la mainmise de ténors du capitalisme sur la propriété des médias (internet compris), ce secteur stratégique en constante évolution.
Les Arnault, Bolloré, Bouygues, Dassault, Lagardère, Pinault, Bertlesmann, Drahi, Weill [10], le trio Bergé-Niel-Pigasse, les géants des télécommunications ou de l’internet (Google en premier lieu) peuvent dormir tranquilles…
Réflexion, propositions et mobilisations : les trois conditions du renouveau
Ce néant prouve enfin que le « salut » ne viendra pas d’un parti qui n’a plus de socialiste que le nom, mais plus sûrement d’autres forces politiques, syndicales et associatives à la volonté réellement émancipatrice, qui doivent s’atteler à faire vivre un débat public décisif, ce qu’elles font – mais de manière encore trop épisodique – avec des propositions sérieuses même si souvent incomplètes [11].
Deux contributions récentes sont venues rappeler que la réflexion était pourtant toujours vivace [12].
Ainsi, Pierre Rimbert dans son article « Pour une presse libre », paru dans Le Monde diplomatique en décembre 2014, esquisse des pistes intéressantes pour transformer en profondeur le financement de la presse écrite [13]
Notre association Acrimed continue quant à elle inlassablement de remettre « sur le métier » ses propositions (elles aussi incomplètes), récemment le 31 janvier dernier à l’occasion de la première journée de critique des médias organisée à Paris. Pour consulter l’intégralité de nos articles sur le sujet, on pourra se rendre sur notre rubrique dédiée.
Malgré les renoncements des uns et des autres, nous n’abandonnons pas notre objectif de contribuer à construire un mouvement d’ampleur, pluraliste, capable d’imposer le projet d’une véritable appropriation démocratique des médias comme une question politique essentielle.
Comme nous le rappelons régulièrement, « si un autre monde est possible, d’autres médias le sont aussi, mais, pour qu’un autre monde soit possible, d’autres médias sont nécessaires ».
Denis Pérais