Favoriser les concentrations
L’Aspirant Président expédie en quelques phrases le problème des concentrations.
S’agissant de nos groupes de communication, débarrassons-nous d’abord d’une idée particulièrement fausse, celle de la prétendue trop grande concentration. Car, en effet, c’est tout le contraire. Nos groupes ne sont pas trop concentrés. Ils sont trop disséminés, trop petits, pas assez internationaux. Tout doit être fait pour les renforcer. La communication au sens large est trop stratégique pour abandonner le terrain aux seuls groupes anglo-saxons.
Qu’il s’agisse de médias privés, que leur concentration ait essentiellement pour but d’augmenter leurs profits, que leur emprise ne soit pas sans effets sur la diversité des programmes et le pluralisme, ainsi que sur l’indépendance des rédactions et, plus largement, sur le choix des programmes : tout cela est, pour le potentiel redoublant à la Présidence, sans importance. Seul importe l’avenir économique d’entreprises traitées comme n’importe quels autres secteurs industriels, et, en particulier, ceux qui sont accaparés par les principaux propriétaires des médias eux-mêmes : le béton et les canons, par exemple.
C’est ce que confirme la suite :
Il faudra donc complètement revoir les règles propres à ce secteur, en encourageant au lieu de dissuader la constitution de grandes entreprises de communication multimédia. Les limites qui ont été posées, il y a quelques années, sont aujourd’hui datées. Pour compter dans l’univers concurrentiel mondial, il faut pouvoir amortir ses achats de droits ou de films sur le plus de supports possible. Il doit en aller de même avec les règles concernant la propriété du capital où ces entreprises doivent être traitées exactement comme celles des autres secteurs industriels. Une loi sera nécessaire pour adapter toutes ces règles et permettre à nos groupes de s’imposer comme des champions européens, voire mondiaux.
Quelle adaptation ? On ne sait, mais on devine : abolir la plupart (si ce n’est la totalité) des dispositions qui entravent les concentrations, ces obstacles qui, « si amoindris soient-ils, restent intolérables aux yeux de nos médiavores et de leurs amis politiques » [3], au premier rang desquels figure, sans surprise… Nicolas Sarkozy. Son militantisme ne fait que reprendre à son compte des propositions formulées par l’élue UMP/Les Républicains Danièle Giazzi dans le rapport qu’elle lui avait remis en septembre 2008 [4]. L’objectif était déjà d’ « assurer la rentabilité et la compétitivité de nos entreprises de médias et faire naître des champions internationaux capables de rivaliser avec les nouveaux géants de l’Internet » [5].
Et face à ces potentiels mastodontes, quel avenir pour l’audiovisuel public ?
Renforcer le contrôle politique
Première exigence : renforcer le contrôle politique des médias, et en particulier de l’audiovisuel public.
Il faudra d’abord mettre un terme à la triste farce des nominations. Le CSA s’est une fois de plus décrédibilisé avec son système d’auditions secrètes. Interventions multiples du pouvoir, polémiques à répétition, le malaise à France Télévisions fut réel. Tout cela prêterait à sourire si ce n’était pas si grave et si coûteux pour le contribuable. Malheureusement, nous n’aurons d’autre choix que de changer une nouvelle fois le système. Cela commencera par des nominations. J’avais voulu la transparence complète en assumant la nomination des présidents de l’audiovisuel public en Conseil des ministres avec ratification par un vote à la majorité qualifiée des commissions culturelles du Sénat et de l’Assemblée nationale. Je pensais qu’il était logique que le gouvernement assume la décision de nommer le dirigeant d’un groupe dont l’État est actionnaire à 100 %, et que le vote, de surcroît à la majorité qualifiée pour que l’opposition puisse être associée à ce choix, des commissions parlementaires était démocratique. La suite démontra que c’était une erreur. Après y avoir bien réfléchi, je crois donc que la meilleure solution consiste à supprimer le pouvoir de nomination du CSA et à demander aux commissions parlementaires spécialisées d’exercer à sa place l’essentiel de ses compétences. Le contribuable y trouvera une source d’économie bienvenue. La démocratie y gagnera en transparence. L’hypocrisie reculera.
Ces deux « propositions », en vérité n’en font qu’une. Elle prive non seulement le CSA de son pouvoir de nomination, mais aussi, si les mots ont un sens, de toutes ses autres prérogatives ; ce qui équivaut, sans le dire, à supprimer toute autorité potentiellement indépendante (pour faire des économies ?), même si celle qui existe n’est en vérité qu’un organisme croupion et fantoche.
Pour mémoire : une « Haute Autorité de la communication audiovisuelle » avait été créée, sous Mitterrand, par une loi du 29 juillet 1982. Chargée, notamment « de garantir l’indépendance du service public de la radiodiffusion sonore » et de délivrer « les autorisations en matière de service locaux de radiodiffusion sonore par voie hertzienne », elle avait été remplacée en 1986 par la Commission nationale de la communication et des libertés, puis par l’actuel Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), certes critiquable, mais en sens contraire de celui que balise l’aspirant Président. Avouons-le humblement : nous ne sommes pas surpris que notre position (« Pour un conseil national des médias… de tous les médias ») ne soit pas mentionnée et prise en compte… Mais revenir à la situation antérieure à 1982 n’est pas la marque d’un grand progrès !
À mots à peine couverts, Sarkozy propose – sans grande surprise – non de refonder et de démocratiser cette instance, mais de la supprimer, puisque les commissions parlementaires seraient appelées à « exercer à sa place l’essentiel de ses compétences ». En espérant que la majorité serait à la botte du pouvoir exécutif tant à l’Assemblée qu’au Sénat ! Sarkozy propose plus précisément – encore sans grande surprise – non de confier aux salariés de l’audiovisuel public le choix de leurs dirigeants, mais de livrer directement ce choix au pouvoir politique…
… Et de compléter cette mise sous tutelle par l’étranglement de l’audiovisuel public.
Étrangler le secteur public
Restera à définir le périmètre de l’audiovisuel public. La situation est devenue ubuesque. Les chaînes s’empilent les unes sur les autres sans que le choix des téléspectateurs en soit si peu que ce soit renforcé. C’est sans doute paradoxal, mais force est de constater que l’extrême concurrence dans la télévision avec la multiplication des chaînes a plutôt conduit au mimétisme et au nivellement des grilles. Jamais sans doute il n’a été aussi difficile de trouver sur nos écrans des émissions culturelles, de théâtre, de musique et même de variété. Se laisser aller au zapping donne une idée assez précise quant à la variété des programmes proposés.
Ainsi, la concurrence entre toutes les chaînes aurait abouti au mimétisme et au nivellement : juste diagnostic ! Comment y remédier ? Non pas, on s’en doute, en nationalisant l’une des chaînes généralistes privées, à commencer par TF1, pour soustraire l’audiovisuel aux effets délétères de la concurrence mercantile ; ni même en diversifiant le secteur public et en favorisant les médias associatifs, mais en amputant le secteur public sans dire un mot sur les médias associatifs.
À lire sa prose, le candidat à la présidence postule aussi à un poste de chargé des programmes :
Trop souvent, la différence entre les programmes du public et ceux du privé sur les grandes chaînes généralistes est notoirement insuffisante. La dérision, la polémique, l’investigation racoleuse ont trop souvent pris le pas sur la découverte, la science, la culture.
Passons sur ce qui déplaît au programmateur présidentiel : il n’est que trop évident que ce qui est visé ce sont les émissions qui le visent, lui et ses comparses, à commencer par les enquêtes que proposent des émissions comme « Cash investigation ». Comme il est improbable que le programmateur en chef prétende imposer ses programmes au secteur privé, c’est évidemment l’audiovisuel public qu’il entend placer sous son autorité.
Et pour cela, une seule solution :
Réduire le périmètre de l’audiovisuel public
S’agissant du service public, il y a sans doute une chaîne de trop. France Télévisions n’a pas les moyens financiers de faire vivre quatre canaux nationaux, sans compter France Ô.
Traduction : plutôt que de permettre à France Télévisions de disposer de « moyens financiers suffisants », il faudrait, comme on va le voir, envisager de les réduire. Et une fois ce sous-financement confirmé, il conviendrait de privatiser l’une des chaînes du secteur public. Comme à l’accoutumée, c’est France 3 qui est dans le collimateur. Mais pas seulement France 3 (conservé apparemment dans la phrase suivante) :
Quant à la nouvelle chaîne d’info du service public, quelle est son utilité alors même qu’il y a déjà trois chaînes d’info gratuites et TNT ? L’ambition de donner une véritable identité à France 2, France 3 et France 5 est déjà un fameux défi.
Il faut, nous dit l’oracle, que le secteur public affirme sa différence, sans lui donner les moyens financiers de la faire. Mais, affirme le même oracle, cette différence ne peut ni ne doit concerner la chaîne d’info du service public.
Supprimer la publicité sans compensation
Cela commence par une magnifique tirade contre la télévision mercantile.
Je persiste en outre à penser que la publicité doit être supprimée des écrans et des ondes radio du service public. C’est toujours la même explication. Celle de la tyrannie de l’audience. Avec les recettes de publicité, l’audience devient le mètre étalon. Tout s’organise autour d’elle pour une politique de la « demande supposée ». C’est tout le contraire que nous devrons faire avec une « politique de l’offre » ambitieuse qui finira par trouver son public.
Les naïfs seront tentés d’applaudir. Mais cette politique prétendument « ambitieuse » est une mystification. D’abord parce qu’elle devrait reposer, selon notre aspirant Président, sur une réduction non moins « ambitieuse », du nombre de chaînes. Ensuite et surtout parce que la « tyrannie de l’audience » strictement commerciale ne peut être neutralisée, voire abolie qu’à condition de pouvoir disposer d’un financement qui compense, voire dépasse le financement publicitaire. Or c’est très précisément ce qui est exclu, sinon explicitement par Nicolas Sarkozy, du moins par l’un de ses lieutenant : Éric Woerth.
Augmenter la contribution à l’audiovisuel public (la « redevance ») ? Pas question [6] ! Augmenter progressivement cette contribution à l’audiovisuel public (la « redevance ») et la rendre proportionnelle aux revenus (comme nous le proposons) ? Même pas ! Étendre son assiette en l’élargissant à tous les supports permettant la réception du service public de télévision (ordinateurs, tablettes, smartphones) ? Ne pas y songer. En revanche, Éric Woerth propose de « rechercher les économies structurelles qui pourraient être mises en œuvre selon un calendrier programmé au sein de l’audiovisuel public pour l’adapter, également aux nouvelles pratiques (numérisation de chaîne, réduction des coûts de grille et des effectifs) » [7]..
Supprimer la publicité sans augmenter la redevance ni trouver d’autres sources de financement, c’est sous-financer le sous financement actuel. Proposer d’y remédier par des économies, notamment sur les effectifs, c’est miner par avance toute possibilité d’amélioration. Accroître ces économies en réduisant le nombre de chaînes, c’est priver l’audiovisuel public de la diversité dont peut dépendre la qualité.
Le Projet de Nicolas Sarkozy ? Confiner l’audiovisuel public dans un rôle pédagogique (« la découverte, la science, la culture ») et le transformer en chambre d’amis de la culture officielle.
La mystification éclate au grand jour quand on lit les lignes suivantes : « Avec un financement unique par la redevance, le service public sera débarrassé de l’audimat et pourra construire une offre différente et complémentaire du privé. »
Le secteur public ? Un « complément » du privé. Un complément alimentaire, en quelle sorte.
Henri Maler et Denis Perais
N.B. Il faut saluer la remarquable discrétion de la plupart des grands médias sur les pages du chef d’œuvre. Nous n’avons repéré qu’un seul compte-rendu qui aborde l’ensemble des propositions : celui d’Alexis Delcambre dans Le Monde du 23 août 2016. En cherchant bien, on trouve, en date du 1er septembre, un billet de Renaud Revel qui évoque sur son blog le sort réservé à France Télévisons et au CSA et, en date du 22 août, un article d’Emmanuel Beretta qui, traitant des propositions globales du candidat sur tous les thèmes, relègue les quelques lignes consacrées aux médias en fin d’article.
L’article du Monde, plus précis, renvoie à un autre. En effet, les propositions de Nicolas Sarkozy reprennent et résument celles qui figurent dans le projet adopté par Les Républicains lors de leur convention thématique du 9 juin 2016 : Alexis Delcambre et Alexandre Piquard en avaient rendu compte le même jour.