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Le documentaire qui rend justice à La Villeneuve… malgré les pressions

Nous mettons en ligne, avec l’autorisation du site Terrains de luttes, qui l’a publié le 23 octobre dernier, un article consacré à un documentaire tourné dans le quartier de La Villeneuve, à Grenoble, tourné après une « affaire » opposant les habitants de La Villeneuve et France 2.

Une « affaire » que nous avions déjà évoquée sur notre site, qui fait suite à « la diffusion, dans l’émission "Envoyé Spécial" du 26 septembre, d’un reportage intitulé "La Villeneuve le rêve brisé", reprenant tous les stéréotypes médiatiques, misérabilistes et obnubilés par "la violence ", sur les quartiers populaires » (Acrimed).

Le film « La Villeneuve, l’utopie malgré tout » (à voir sur Public Sénat jusqu’au 30 octobre [1] puis sur le site de latelelibre.fr) permet enfin d’entendre sur une chaîne de télévision nationale, la parole des habitants qui s’étaient mobilisés suite à la diffusion d’un reportage sur ce quartier de Grenoble, dans Envoyé spécial, en septembre 2013. Après une demande de droit de réponse ignorée par France 2 et un avis du CSA qualifiant ce reportage de « stigmatisant », un collectif d’habitants avait décidé de poursuivre la chaîne au tribunal pour diffamation. Une première en France (lire nos comptes rendus de la mobilisation, du procès et de la réaction de la profession). Deux ans après, le documentaire de Vincent Massot et Flore Viénot expose les motivations de ces habitants, mais également la diversité des ressentis sur ce quartier et le rapport des habitants aux médias, notamment des jeunes interviewés dans les reportages. Une re-découverte du quartier dont la journaliste d’Envoyé spécial a tenté d’empêcher la diffusion, comme l’explique ici le réalisateur Vincent Massot.



Comment est né ce projet de documentaire sur la mobilisation des habitants de La Villeneuve ?

J’ai un rapport assez intime avec La Villeneuve car mon père a réalisé le premier film sur le quartier en 1972, « Une raisonnable utopie ou l’expérience de Grenoble » [2]. Quand j’ai découvert son film il y a environ 5 ans, je me suis alors demandé ce que le quartier était devenu et quel film on pourrait y faire aujourd’hui. À l’époque je n’avais pas fait le rapprochement entre La Villeneuve filmée par mon père et cet emballement médiatique sur les quartiers populaires souvent illustré par des reportages sur La Villeneuve. Ce n’est qu’en septembre 2013, quand Envoyé Spécial a utilisé des extraits du film de mon père pour dire « voilà c’était comme ça avant », et dépeindre ensuite une situation actuelle catastrophique, que j’ai fait le lien. J’ai alors été choqué, au premier degré, qu’un quartier qui avait été fondé sur d’aussi bonnes intentions, avec toutes ces initiatives humanistes, puisse arriver à un tel niveau de dérèglement social. Ça aurait pu en rester là. Par chance, je travaille dans une rédaction qui s’appelle La Télé libre avec Flore Viénot, une jeune journaliste qui a fait ses armes en écrivant des articles pour des journaux alternatifs, comme L’âge de faire. Flore avait fait plusieurs papiers sur La Villeneuve, sur des initiatives positives dans le quartier : Willy Lavastre et la BatukaVI, le restaurant associatif L’arbre fruité qui fait travailler des femmes en contrat d’insertion… Et après avoir regardé Envoyé spécial, elle m’a dit : « Mais c’est pas ça du tout La Villeneuve ! C’est un quartier populaire, un quartier sensible, d’accord, tout le monde te met en garde quand tu vas là-bas, te dit de faire attention, de surtout pas y aller toute seule… Mais moi j’y suis allée toute seule, j’ai observé, et j’ai tout de suite été sous le charme de ce quartier. » Il y avait un tel décalage entre ce que j’avais ressenti en regardant Envoyé Spécial et ce qu’elle m’en disait, qu’il fallait que j’aille voir par moi-même. Mais pour convaincre un producteur de soutenir un projet de film, il faut une histoire. Quand j’ai entendu parler du collectif d’habitants de La Villeneuve qui s’était monté pour porter plainte contre France Télévision, ça a été le déclic. John-Paul Lepers, avec qui je travaille et qui est producteur et journaliste, a dit « Ok, on y va [3] ! » On a commencé à tourner au moment de la décision de justice en juin 2014, quand l’association des habitants a finalement été déboutée.




Quels contacts avez-vous eus avec Envoyé Spécial et Ligne de mire, la société de production qui a vendu et réalisé le reportage de France 2 ?

Le journalisme est un tout petit monde : John-Paul Lepers connaît les deux producteurs et rédacteurs en chef de Ligne de mire, Nicolas Jaillard et Valérie Montmartin et cette dernière a accepté de nous rencontrer. Elle a défendu son reportage en disant que c’était un quartier très dur, que ça avait été un tournage très difficile pour la journaliste, que dans les pièces accumulées sur place ils avaient un journal intime d’une habitante qui subit les nuisances, et que rien n’était inventé. Elle défendait vraiment sa production. Surtout, quand je lui ai dit qu’on serait peut-être amenés à utiliser dans notre film des extraits d’Envoyé spécial, elle nous a dit qu’elle ne donnerait pas son accord. Au final, on en a quand même intégré, sans demander les droits, qu’on nous aurait refusés. Il y a cinq extraits d’Envoyé spécial dans le film qui représentent un pourcentage très faible de l’ensemble de notre documentaire : moins de deux minutes d’extraits, sur cinquante-et-une minutes de film. Pour se défendre en cas de poursuites, on va invoquer le droit de « citation courte », c’est-à-dire le droit de faire des citations courtes si c’est dans le cadre d’une critique déontologique d’une œuvre.



Est-ce qu’il y a eu des pressions pour vous dissuader de diffuser le film ?

Oui. Valérie Montmartin a dû se rendre compte qu’elle ne pourrait pas nous attaquer frontalement sur le droit de citation courte, ou que c’était risqué, du coup je pense qu’elle a poussé Amandine Chambelland, la journaliste, à faire jouer son « droit moral » pour nous intimider et pousser la chaîne à déprogrammer notre documentaire ! Celle-ci a fait pression sur Public Sénat par l’intermédiaire de son avocat… qui a envoyé une lettre mettant la chaîne « en demeure de ne pas diffuser ce documentaire » avec « les images » d’Amandine Chambelland. Elle menace d’engager des « procédures judiciaires » dans le cas contraire.



Comment Public Sénat et vous avez réagi face à ces tentatives d’intimidation ?

La première réaction de Public Sénat était très préoccupée. Ils ont enchaîné les réunions pour savoir s’ils allaient diffuser ou pas… Notre producteur s’est beaucoup renseigné auprès d’avocats sur le droit de citation, qui reste flou dans le domaine du documentaire et de l’audiovisuel par rapport à la presse écrite. D’ailleurs, si on est poursuivis en justice, on espère créer une jurisprudence pour renforcer ce droit dans le domaine audiovisuel. On est confiants : la manière qu’on a d’utiliser ces extraits, le fait que la critique de cette « œuvre » émane surtout des habitants qui avaient demandé en vain un droit de réponse, l’existence d’une notification du CSA sur ce reportage de France 2 qui déplore que « la diversité des points de vue » n’a pas « été totalement respectée » et que le reportage est jugé insuffisamment équilibré et « stigmatisant »… Nos avocats et Public Sénat ont donc considéré que le sujet méritait d’être traité et qu’on prenait le risque de diffuser.



L’émission Envoyé spécial avait-elle demandé l’autorisation d’utiliser les images du film de ton père ?

Non, pas à moi en tout cas. C’est ça qui est absurde dans leur position ! Amandine Chambelland et Ligne de Mire ont pris 1 minute 30 dans le film de mon père, et ils se sont autorisés à remonter les extraits et à les « resizer », c’est-à-dire à couper l’image pour l’adapter au format 16/9e… Tout ça revient à transformer l’œuvre initiale, ce qu’ils n’avaient pas le droit de faire sans demander l’autorisation des personnes qui sont propriétaires du droit moral du film de mon père depuis sa mort – en l’occurrence ma sœur et moi. Mais pour eux, ce sont de vagues images d’archives : on prend, on se sert, et on en fait ce qu’on veut ! Ils ne précisent même jamais que c’est un extrait du film de mon père. Ni en incrustation dans l’image, ni à la fin du reportage, ni même dans le générique de fin de l’émission… Nous, pour faire valoir ce droit de citation courte d’Envoyé Spécial, on signale chaque extrait tiré du reportage d’Amandine Chambelland par un bandeau qui indique la chaîne et la date de diffusion, la société de production, le nom de la réalisatrice, et on n’a pas remonté ces extraits…


La présentation du projet de documentaire aux habitants (2014)



Pour réaliser votre documentaire « La Villeneuve, l’utopie malgré tout », quel a été votre intention et comment avez-vous choisi de travailler ?

Très vite on s’est rendu compte qu’on avait deux problèmes majeurs. D’abord La Villeneuve, où habitent 12 000 personnes, est un quartier très complexe en soi, parce qu’il y a tissu associatif hyper large, avec de nombreuses ramifications d’associations, de nombreux habitants qui y participent, mais il y a aussi une partie des habitants qui a plutôt tendance à dire qu’ils ne se sentent pas bien à La Villeneuve, qu’ils aimeraient en partir parce que c’est compliqué… Cette diversité de points de vue nous a fait nous dire qu’on était en face d’un sujet délicat, qu’on ne pouvait pas traiter sans prendre du temps pour comprendre comment ça marche, pour rencontrer les gens afin qu’ils nous expliquent leur rapport au quartier… L’autre problème majeur est que c’est un quartier qui était blessé, meurtri, par l’utilisation de son image par les médias depuis en gros quinze ans. Donc quand tu sors avec une caméra après Amandine Chambelland qui a promis de faire un « sujet plus nuancé sur le quartier » que les précédents reportages mais qui a fait exactement l’inverse, et que tu arrives avec des propos similaires en promettant que tu veux restituer la complexité du quartier… Très peu de gens te croient encore ! On peut parler avec des gens, en revanche c’est très difficile qu’ils acceptent d’être filmés, parce qu’ils ont peur de l’image qu’ils vont renvoyer, qu’ils n’ont pas confiance, ou qu’ils n’ont juste plus envie de parler à des journalistes. Et pendant le tournage, sortir une caméra à La Villeneuve avec des gens qui ne savent pas qui tu es, dans les premiers temps, c’est pas de tout repos. Donc on ne l’a pas vraiment fait. Heureusement, j’avais déjà une expérience de tournage dans les quartiers populaires. À côté de mon travail de cameraman-réalisateur, je fais de l’accompagnement et de la formation de jeunes des quartiers populaires, dans une initiative qui s’appelle Reporter Citoyen, créée par la Télé libre et l’École des Métiers de l’Information (EMI). Ce sont des jeunes qu’on initie aux métiers du journalisme et qui doivent commencer par tourner dans leur environnement. Donc j’avais déjà conscience que les médias n’étaient pas nécessairement les bienvenus dans un quartier populaire. On s’est alors rendu compte que le tournage allait être long. On savait qu’on partait pour douze, treize, quatorze mois…



Comment avez-vous financé ce tournage ?

Avec très peu de moyens. Dès le départ, les conditions de tournage et de production ont été relativement précaires. Quelque part, ça joue dans l’intérêt du film. À partir du moment où on a obtenu la confiance de quelques personnes, on a été hébergés gratuitement par une habitante du quartier. Le problème, c’est qu’on n’a trouvé le diffuseur pour acheter le documentaire qu’en fin de tournage. Dès le début, beaucoup de professionnels étaient intéressés mais ne comprenaient pas où on voulait aller. Normal, puisqu’on ne le savait pas précisément non plus ! Là encore c’est une des forces de notre film : on n’est pas arrivés avec un film pré-écrit. Mais ce sont des conditions complexes pour convaincre des chaînes en amont, parce qu’elles ont l’habitude qu’on leur présente un projet de film séquencé où on sait ce qu’on va raconter du début à la fin, avant le tournage. Notre décision de traiter les rapports entre quartiers populaires et médias n’a été prise qu’en novembre 2014, à partir d’un tournage qui s’est fait à la Maison de la Culture de Grenoble, pendant un forum organisé par une association qui s’appelle Villeneuve debout, sur le thème « Quartiers populaires et médias », cinq mois après le procès. À partir de là, on a pu commencer à écrire et essayer de trouver un diffuseur. On a fini par avoir la confiance de la section Documentaires de Public Sénat qui nous a financé à hauteur de ses moyens, c’est-à-dire très légèrement (15 000 euros). On a alors réussi à boucler un budget, ce qui nous a permis de dégager quelques petits salaires et que cette production ne nous coûte pas d’argent.



Qu’est-ce qu’on comprend en regardant ce film qu’on ne comprend pas forcément en regardant Envoyé Spécial ?

Franchement, quand on voit Envoyé Spécial, on ne comprend rien. On voit un quartier violent, sans aucune contextualisation, hormis quelques images d’archives qui n’expliquent pas l’évolution du quartier puisqu’elles évoquent un instant T, il y a 40 ans, insérées dans un constat aujourd’hui. Il n’y a rien sur l’évolution de la société, sur les actions des pouvoirs public et politique, etc. Nous, quand on parle de l’histoire de La Villeneuve, on essaie de restituer une histoire complexe, qui ne s’est pas écrite comme ça. C’est pas un hasard si c’est dans ce quartier que, pour la première fois, des habitants d’un quartier populaire portent plainte contre un groupe médiatique aussi important que France Télévision. Et ce n’est pas non plus un hasard que ça soit France Télévision et pas M6 qui soit visé. Parce que France Télévision, c’est le service public, et pour beaucoup d’habitants ça les affecte encore plus d’être stigmatisés par le service public de l’information. Tous ces enjeux font partie de l’histoire de La Villeneuve et, dans notre film, je pense qu’on parvient à montrer la complexité de cet endroit et la complexité des rapports entre journalistes, médias et habitants des quartiers populaires. Parce que ce sont des jeux de dupes. Il y a d’un côté des habitants qui, devant la caméra, jouent des rôles qu’ils pensent être ce que les journalistes attendent d’eux. C’est très flagrant pour les jeunes, un peu moins flagrant pour les militants ou pour les habitants lambda. De l’autre côté, il y a les journalistes qui veulent qu’on parle de ça, et du coup on ne parle que de ça.



Vous n’abordez pas des thèmes comme la délinquance dans votre documentaire ?

Dans notre film, on a choisi de ne pas parler des sujets qui sont déjà très largement abordés dans les reportages d’actu, qui sont traditionnellement plus des faits divers, des histoires de trafics, des affaires d’insécurité. Mais on s’est dit qu’on ne pouvait pas non plus faire un film sur un quartier comme La Villeneuve en disant que tout allait bien. Ça ne serait pas honnête de dire que tout roule dans un quartier qui est un quartier « sensible ». Mais sensible dans le sens noble du terme : un quartier avec une vraie richesse humaine, mais avec une vraie misère sociale aussi. Donc ça crée des tensions, ça crée des crispations. Du coup, ce qu’on s’est dit, c’est « qu’est-ce qui pose problème aux habitants de La Villeneuve ? ». Donc on est allé leur demander à eux. On n’est pas arrivés en disant : « Bon, c’est la drogue qui pose un problème, donc on va faire un sujet sur le trafic de drogues », ou « C’est le trafic d’armes qui pose problème, donc on traite ce sujet ». Non, on leur a laissé la parole pour qu’ils nous disent ce qui les gênait, eux, chez eux. On n’a pas pu tout raconter dans le film mais on a choisi des exemples de nuisances, d’incivilités, comme les ordures que les habitants lancent par leurs fenêtres. Et on essaie en même temps de réfléchir au rôle de la télé, comme elle avait été pensée à l’origine même du quartier puisque La Villeneuve avait innové en se dotant de son propre réseau de diffusion d’une télévision interne, faite par des habitants. Comme à l’époque, on réfléchit dans le film sur l’impact de la télévision sur la société qu’elle décrit. C’est toute cette mise en abyme qui est intéressante dans le film parce que ça permet d’avoir une vision plus objective, en abordant des problématiques qui essaient d’être en accord avec les problématiques des gens qu’on interviewe.


Entretien avec les auteurs et extraits du documentaire sur le rapport aux médias des habitants des quartiers et sur l’utilité du film (par la télélibre.fr)



Le risque c’est de tomber dans l’écueil inverse de l’approche déformée d’Envoyé spécial et de ne montrer qu’une représentation enchantée du quartier ?

Pendant qu’on était en tournage, y a eu deux incendies criminels dans la périphérie du quartier, qui touchaient vraiment les habitants, puisque l’un a dévasté le théâtre Prémol, l’un des deux théâtres du quartier, et l’autre, l’AJAV, le club de foot de La Villeneuve. Vu qu’on réfléchissait dans le film au journalisme, on aurait pu se dire qu’on allait en parler mais on était en fin de tournage, et ça nous aurait amené à écrire un autre film. Plutôt que de faire un film sur des faits divers, on a choisi de faire un film sur des problématiques plus ancrées. Et cette histoire des poubelles qui tombent des étages, c’est une préoccupation dans plein de quartiers populaires. Ça peut paraître ridicule comme problématique mais c’est une nuisance du quotidien pour certains habitants, ceux qui habitent au rez-de-chaussée et qui ne peuvent pas profiter de leur balcon parce qu’il est ravagé par les poubelles du voisin du dessus. Donc c’est une question de démarche. J’ai vraiment la conviction qu’on parle trop de faits divers, ce qui valorise l’extraordinaire, et pas assez des problématiques sociales. Il faut redonner un peu leur place aux problématiques sociales.



Votre reportage s’appelle « La Villeneuve, l’utopie malgré tout ». Pourquoi ?

Parce que c’est un quartier qui, malgré toutes les difficultés qu’il rencontre, a fait sienne les utopies de départ, dans lesquelles le quartier puise de l’énergie pour continuer à se battre aujourd’hui, pour continuer à vivre ensemble. Et c’est un petit clin d’œil au titre du film de mon père, « Une raisonnable utopie ou l’expérience de Grenoble ». À l’époque ça paraissait raisonnable, alors qu’aujourd’hui on a tendance à dire que c’est déraisonnable de faire cohabiter 12 000 personnes qui vivent les unes sur les autres. Moi, de mon expérience pendant un an à La Villeneuve, je trouve que ça marche plutôt pas trop mal. C’est pas un paradis sur terre, mais c’est un endroit accueillant où les gens se parlent, où il y a une solidarité entre les habitants. Il y a des tensions, des crispations, de l’insécurité, de la violence, on en a aussi été témoins, mais c’est un quartier où on a passé du bon temps, vraiment.



Dans les rédactions, les rédacteurs en chef peuvent reprocher d’être « naïfs » ou « militants » aux journalistes contestant la focalisation des médias sur les déviances… Est-ce le rôle d’un journaliste ou d’un documentariste de parler d’utopie ?

Il y a une dérive en ce moment à faire de plus en plus de sensationnalisme, avec des formules de reportages rapides et efficaces dans lesquelles tu fais peur aux gens, pour faire de l’audience. Ça s’inscrit dans la logique commerciale qu’adoptent de plus en plus les chaînes. Heureusement il y a encore des journalistes comme John-Paul Lepers qui réfléchissent à leurs pratiques et qui continuent à faire leur travail noblement. Le documentaire, on appelle ça aussi le « cinéma du réel ». Dans notre film, il y a le regard de trois auteurs : le regard d’un journaliste-producteur expérimenté – John Paul Lepers qui croit dur comme fer à son métier de journaliste –, le regard d’une jeune journaliste, Flore Viénot, et mon regard, celui d’un jeune réalisateur qui a priori n’est pas complètement convaincu par le métier de journaliste, mais qui travaille régulièrement avec eux en tant que cameraman. Pour ma part, c’est vrai que j’ai toujours gardé un regard bienveillant sur les habitants du quartier. Mais avec l’association de ces trois regards, on arrive à avoir un regard nuancé qui ne fait pas d’angélisme.



Comment les habitants de La Villeneuve ont-ils accueilli votre documentaire ?

Quand on a commencé le travail dans le quartier, on s’était engagés auprès des habitants à leur présenter le film avant qu’il soit diffusé à la télé. Ça faisait partie des promesses qu’on avait faites à tous ceux qui avaient accepté de nous aider et de répondre à nos questions. C’était important pour nous. Donc on a organisé cette projection à l’Espace 600, un des deux théâtres du quartier, devant environ 250 personnes. Pour être honnête, on était à deux doigts de la standing ovation, ils étaient ravis et soulagés de voir pour une fois un film qui montrait autre chose de leur quartier que ce qu’on a l’habitude de voir dans les reportages sur les quartiers populaires. Ça leur a semblé plus fidèle à ce qu’ils vivent, mais ils ont aussi trouvé le film intelligent parce qu’il les fait réfléchir sur leur environnement, sur les initiatives à prendre, à encourager, sur les défauts qui existent chez eux. Et on a réussi à le faire avec suffisamment d’humour pour que, quand on aborde des problèmes qui peuvent les affecter, ça fasse aussi réfléchir. On arrive à créer de l’émotion et de la réflexion sans être dans la peur et la violence. Ils ont été très sensibles à cela.



Propos recueillis par Terrains de luttes

 
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Notes

[1Prochaines diffusions sur Public Sénat : samedi 24 octobre à 23h20, dimanche 25 octobre à 10h20, vendredi 30 octobre à 17h30.

[2« Une raisonnable utopie ou l’expérience de Grenoble » (57’), diffusé dans l’émission Signes des temps (ORTF), le 21 mai 1973. Réalisateur : Claude Massot, Producteurs : Hubert Knapp & Jean-Claude Bringuier.

[3« La Villeneuve, l’utopie malgré tout » est produit par John-Paul Lepers & ON Y VA ! media.

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