Vendredi 25 février, après avoir démissionné, Hervé Gaymard vient (tenter de) s’expliquer au journal de 20 heures de TF1, présenté par Claire Chazal. Une explication bien préparée, un entretien sur mesure.
Préparation déontologique
L’après-midi même, le ministre en partance s’était préparé, au cours d’un « training » télévisuel assuré par... Jean-Claude Narcy, directeur adjoint de l’information de TF1.
Le Canard enchaîné (2 mars 05), qui se fait l’écho de cette « prestation » - après le Journal du dimanche (27 fév. 05) -, commente : « Bonjour le mélange des genres, bonsoir la déontologie ! »
Nul doute que les professionnels de l’information, toujours prompts à se mobiliser pour la liberté de la presse, vont sans délai s’élever vigoureusement contre cette atteinte à leur indépendance... [1]
Il leur faudra beaucoup d’abnégation pour faire oublier leur complaisance. A l’égard de Narcy, coach quasi-officiel des ministres du gouvernement Raffarin : il a « raflé la plupart des contrats », signalait déjà, le 17 sept. 03, Le Canard Enchaîné (lire L’actualité des médias n°10 (16-28 septembre 2003) - en bas de page), un marché conclu avec le Service d’information du gouvernement (SIG) dirigé alors, rappelle Le Canard (2 mars 05), par Françoise Miquel [2].
Mais les « professionnels de la profession » pourront-ils ignorer d’autres « mélanges des genres » de la part des collègues de Narcy à TF1 ?
- De Robert Namias, directeur de l’information, nommé par le gouvernement en avril 2003 président du Conseil national de la sécurité routière (CNSR) ?
- D’Anne Barrère, épouse du précédent, « consultante extérieure en communication pour aider Bernadette Chirac » (lire L’actualité des médias n°10 (16-28 septembre 2003) - en bas de page) et « productrice sur la chaîne (TF1) de l’opération "Pièces jaunes" », double casquette qui émut jusqu’au placide CSA (lire L’actualité des médias n°23 (6 au 17 av. 04) - en bas de page) ?
- De Jean-Marc Sylvestre, rédacteur en chef, nommé par le gouvernement en septembre 2004 " « président de la commission d’orientation du futur projet de loi de la modernisation agricole » " (lire Lu, vu, entendu : Une nouvelle série pour lutter contre l’amnésie) ?
Etc.
Bref : Jean-Claude Narcy, directeur adjoint de l’information de TF1, « prépara » Hervé Gaymard et Claire Chazal l’interrogea.
Compassion télégénique
Présentation des titres du journal : « Dans l’actualité de ce vendredi, la démission d’Hervé Gaymard pris dans la tourmente de l’affaire de son appartement [...] Hervé Gaymard reviendra sur ce départ précipité, ses raisons et ses sentiments aujourd’hui ». Des raisons, et comme on va le voir, surtout, des « sentiments ».
Après le point sur la situation d’Hervé Gaymard et un « Retour sur les moments forts de l’affaire Gaymard », vient le moment de l’interview. Nous n’avons retenu que les questions posées par Claire Chazal : leurs énoncés mettent en évidence comment elle tend à Hervé Gaymard toutes les perches nécessaires à une opération de communication.
- « Hervé Gaymard est avec nous ce soir. Merci beaucoup. » « Avec nous »... Pas « devant » les téléspectateurs.
- « Qu’est-ce qu’on a tout d’abord comme sentiments ce soir ? Est-ce qu’on a l’impression d’un grand gâchis personnel et, j’allais dire, politique ? » Ce « On » qui désigne Hervé Gaymard suggère une identification avec l’interlocuteur. La plupart des questions seront formulées du point de vue du ministre... à qui Claire Chazal demande avant tout de s’exprimer sur ses « sentiments », un « gâchis » évidement « personnel » avant d’être « politique ».
- « C’est l’équilibre du gouvernement qui était aussi menacé ? » « On » appréciera le choix du terme « équilibre » pour cette question qui interrompt le ministre... qui ne répondra pas...
- « Vous parlez de harcèlement et de la presse. Mais vous avez vous-même au fond... Vous vous êtes exprimé auprès de Paris Match qui et tous cela a entraîné ensuite, j’allais dire, pour le moins des ambiguïtés et des contradictions ». Un peu alambiqué, non ? Gaymard affirme qu’il n’y a pas eu d’interview avec Paris Match (affirmation fermement démentie, ensuite, par l’hebdomadaire).
- « Mais il avait des propos des propos rapportés [...]. Que vous contestez ? » « Que je conteste » confirme Hervé Gaymard. Cette contestation n’appellera aucune « relance », ne serait-ce que confraternelle avec Paris Match...
- « Hervé Gaymard, qu’est-ce qui se passe ? Est-ce que c’est, j’allais dire, le poids du pouvoir qui fait qu’on est coupé des réalités peut-être à un moment et qu’on ne mesure pas que certaines sommes peuvent choquer l’opinion ? » « Qu’est-ce qui passe » introduit à nouveau une question qui se place du point de vue du ministre : « On » est-il coupé des réalités ? Audace immédiatement tempérée : « peut-être à un moment »...
- « Certains de vos services ont été à la limite responsables de légèreté ? » Tentative de « disculper » le ministre ? Celui-ci répond qu’il assume sa responsabilité : quel homme !
- « Dans cette affaire vous avez le sentiment, j’allais dire, d’avoir été lâché et pas assez soutenu dans le gouvernement et chez vos amis politiques ? » Nouvelle tentative d’introduire un peu de compassion, complétée par : « Il y a eu des réactions assez sèches, assez... » [Presque inaudible : « notamment de Nicolas Sarkozy » (?)]
Vient alors une question inquiète : « Qu’est-ce qu’on va faire après ? Quel est l’avenir d’un homme politique comme vous après une telle affaire, un départ aussi rapide ? »
Presque rassurée sur l’avenir d’Hervé Gaymard, Claire Chazal ose cette question dont on ne sait si elle invite à s’apitoyer sur la difficulté d’exercer des responsabilités gouvernementales ou à insister sur les obligations qu’elles créent : « Si vous n’aviez pas été ministre des Finances, ça n’aurait peut-être pas pris autant d’ampleur. Ça vous conférait des responsabilités particulières ? »
Et enfin : « Merci beaucoup, Hervé Gaymard, d’être venu » [...]
...Sans vous être invité vous-même, pour proposer des réponses préparées avec Jean-Claude Narcy (TF1) à des questions sans complaisance posées par Claire Chazal (TF1).
Depuis les ennuis judiciaires d’Alain Juppé et son « entretien » avec PPDA, on n’avait pas fait mieux [3].
Il n’y a que de grands « professionnels » sur TF1.