Accueil > Critiques > (...) > Un festival d’autosatisfaction [Référendum de 2005]

« L’Europe, L’Europe... »

Lamentations des « pédagogues » incompris

par Philippe Monti,

Le désarroi qui saisit nos pédagogues chroniqueurs confrontés à la résistance des électeurs trahit, dans sa sincérité blessée, l’aveuglement de ceux dont la position dominante dans le champ médiatique les conduit à croire naïvement qu’ils sont au-dessus des engagements partisans et qu’ils font généreusement don de leur sagesse à une foule ignorante, passionnelle et inconséquente ; quand on se sait indiscutablement légitime, si l’opinion résiste à vos efforts pédagogiques, c’est nécessairement qu’elle est injuste et qu’elle se berce de graves illusions. On est alors la victime innocente de l’incompréhensible violence de ceux pour lesquels on sacrifie son temps et son talent...

Bernard Guetta, pédagogue sur France Inter
Ou : comment ébouillanter les auditeurs...

Le 18 avril 2005, le “oui” ronronne sur France Inter ; Pierre Le Marc et Bernard Guetta poursuivent leurs efforts de « pédagogie » :
- Pierre Le Marc profite de sa chronique consacrée à Dominique de Villepin pour lâcher :
« Le “Non” s’explique aussi, au-delà de la méconnaissance du texte constitutionnel, par une évaluation très floue ou très optimiste des conséquences concrètes d’un rejet de la Constitution.  » Allez donc voter « non » en compagnie d’ignorants et d’irresponsables !
- Bernard Guetta poursuit son feuilleton pour expliquer l’Europe aux ignorants. Ces explications, on s’en doute, sont dénués de parti pris. De la science pure, en quelque sorte. La preuve, après avoir expliqué qu’il existait un courant fédéraliste en Europe peu satisfait que le Traité constitutionnel ne le soit pas, Guetta conclut : « Il faut fonder le fédéralisme, organiser sa progression, et la ratification de ce projet, c’est son grand intérêt, le permettrait. ». Allez donc voter « non » contre une telle perspective....

Puis, brutalement, dans le “Radiocom, c’est vous”, c’est le drame ! Un auditeur proteste contre le parti pris de France Inter et cela donne cet échange savoureux :

- Auditeur : [...] En tant qu’auditeur et citoyen, je m’inquiète un petit peu de voir que tous vos chroniqueurs, tous vos journalistes, prônent le “oui” allègrement..._ - Pierre Weill : Non ! Non ! Non ! Non ! Non !
- Auditeur : ... il n’y a aucune contradiction...
- Pierre Weill [couvrant la voix de l’auditeur pour l’empêcher de développer] : Mais où allez-vous chercher tout ça ?!?!? Où allez-vous chercher tout ça ?
- Auditeur [réussissant enfin à se faire entendre de nouveau] : ... J’écoute Monsieur Pierre Le Marc, j’écoute Monsieur Guetta, j’écoute tous les journalistes... Et citez-moi un seul journaliste qui ait fait la promotion du non ! A part Daniel Mermet, il n’y en a pas un sur France Inter ! Donc, en tant qu’auditeur de France Inter, citoyen qui m’apprête à voter, et en plus qui n’ai pas encore déterminé mon choix - mais ça, ça me regarde ! -, je trouve inadmissible ce bourrage de crâne où aucun éditorialiste ne tient en compte les tenants du non ; et quand vous annoncez que le “non” est à 53 ou 56 %, on dirait que vous annoncez la mort de quelqu’un !
- Pierre Weill : Non ! Non ! Pas du tout ! Ecoutez...
- Auditeur : Je suis désolé...
- Pierre Weill : ... je vais vous dire une chose...
- Auditeur : ... vous remettez vos magnétos : depuis un mois sur les antennes de France Inter - et les auditeurs savent de quoi je parle parce que je ne suis pas le seul à me manifester -, je trouve inadmissible - indépendamment du fait que le gouvernement et le CSA vont dérouler le tapis rouge pour le “oui” -, je trouve inadmissible qu’on se retrouve encore avec la France d’en-haut qui nous demande de voter “oui” et la France d’en-bas qui commence à en avoir assez !
- Pierre Weill : Je...
- Auditeur : Je vous le dis gentiment...
- Pierre Weill [condescendant] : Oui, oui ! Mais c’est très bien...
- Auditeur : ... j’aurais aimé qu’il y ait un contradicteur à Monsieur Guetta, un contradicteur à Monsieur Le Marc et à l’ensemble de vos.... L’autre jour, Monsieur... votre envoyé spécial en direct de...
- Pierre Weill [tentant une nouvelle fois de faire taire l’impudent] : Je peux dire un mot ?
- Auditeur : ... Luxembourg s’est permis de faire un commentaire en disant que les américains se réjouissaient du référendum qui a une tendance sur le “non”. En quoi il y a eu un commentaire d’un américain qui s’est réjoui du « non” à 56 % ? C’est votre journaliste qui s’est permis de le mettre dans sa chronique !
- Pierre Weill [excédé, couvrant la voix de l’auditeur] : NON ! NON ! C’est parce qu’on le lui a dit ! [A cet instant, on n’entend plus du tout la voix de l’auditeur qui vient manifestement d’être coupé.] Vous savez, les journalistes rencontrent des gens... ils parlent avec des personnalités, ils ont des informations ! Par ailleurs, nous avons ici des éditorialistes à France Inter, nous avons aussi des journaux dans lesquels nous diffusons des interviews de partisans du “oui”, de partisans du “non”. Nous avons entendu ce matin Henri Emmanuelli. On essaye d’être ouvert à toutes les tendances avant ce référendum. Bernard Guetta, vous vouliez dire un petit mot  ? [en gras : ci et ci-dessous, souligné par nous]

Suite :

- Bernard Guetta : Non [sic !], je voudrais dire simplement une chose , Monsieur, c’est que je me soucie - puisque vous me mettez en cause directement avec Pierre Le Marc -, je me soucie... euh... tellement... des objections, des critiques qui sont faites à ce projet de Constitution que j’en étais ce matin - mais vous allez me le reprocher, mais vous aurez tort - à ma 12e chronique d’explication. J’ai dit à l’antenne il y a maintenant près de deux semaines qu’il me semblait qu’on ne pouvait que très difficilement - pour ne pas dire pas du tout - comprendre les enjeux et les débats de cette Constitution sans remonter à l’histoire des débuts de l’Europe : comment ?... de l’Europe... de la communauté. Comment ça s’est fait. Pourquoi. Quelles étaient les positions en place, etc. etc. Je crois faire un énorme travail d’explication, et puis je reçois des mails - pas tant que ça d’ailleurs, mais quand même ! - de la tonalité de votre intervention : disant « c’est de la propagande ! », « c’est du martelage ! », etc. Bien, écoutez ! Moi je veux bien ! En quoi est-ce que j’ai fait de la propagande dans une seule de ces chroniques ? J’ai donné des arguments, des explications. Peut-être ai-je fait une erreur ou deux... ça, j’en sais rien ! Ça peut arriver. Mais en quoi est-ce que c’était de la propagande ? Il ne faut tout de même pas qualifier de “propagande” toute explication ou argumentation qui n’est pas celle qui vous convient. Un dernier point, si vous permettez Pierre, très rapidement : pendant toute la durée de la montée de la guerre d’Irak, je n’ai pas cessé... je n’ai littéralement pas cessé de condamner ce qu’était à l’époque ce projet de guerre américain. A l’époque, personne n’a dit : il faudrait mettre en face de ce chroniqueur quelqu’un qui défende le point de vue de Georges Bush. Je suis chroniqueur : je ne suis pas là pour débiter de l’eau tiède ! Je donne, effectivement, un éclairage qui est le mien. C’est ma fonction ! Voilà !

Résumons la défense confuse de Bernard Guetta :
1. Quand il ne répond pas, ... Bernard Guetta répond. Et il répond « simplement », par « un petit mot » (comme l’invite à le faire Pierre Weill), c’est-à-dire le plus longuement qu’il peut.
2. L’auditeur a tort, un point c’est tout ! Il critique l’omniprésence des chroniqueurs favorables au “oui”, Bernard Guetta répond ... en revendiquant son rôle de pédagogue en charge de répondre aux objections des partisans du “non”.
3. Bernard Guetta reçoit beaucoup de mails de protestation, mais pas beaucoup quand même !
4. Les auditeurs lui reprochent une argumentation à sens unique qui, cumulée à celle des autres chroniqueurs et présentateurs, ne fait entendre qu’un seul point de vue. Ils osent même, dans un tel contexte, parler de « matraquage » et de « propagande ». De la propagande ? Jamais... Toujours des explications, rien de plus !
5. Les électeurs ne comprennent rien aux enjeux de ce vote car il leur manque l’histoire de la construction européenne racontée par Guetta : ces idiots lisent le texte du Traité au lieu d’écouter les évangiles européens débités par saint-Guetta !
6. L’argument définitif : et l’Irak, alors ? Notre chroniqueur oublie cependant que les Français n’allaient pas ensuite être consultés par référendum sur le choix de Bush. Les contextes ne sont guère comparables.
7. Et, pour finir, quelle est la fonction d’un chroniqueur ? Ebouillanter chaque matin ses auditeurs !

Après cet interminable plaidoyer, il est temps pour Pierre Weill de fermer la parenthèse ouverte par l’auditeur impertinent :

- Pierre Weill : C’est le propre de l’éditorialiste ! A propos de Pierre Le Marc que vous avez cité, je vous rappelle que Pierre Le Marc anime chaque semaine une émission politique sur France Inter qui s’appelle Respublica à 19h20 et qu’il a reçu dans cette émission, pendant 40 minutes, des partisans du “non”, notamment Philippe de Villiers ou Henri Emmanuelli.

Pierre Weill et Bernard Guetta revendiquent donc comme naturel le monopole journalistique des partisans déclarés du « oui » sur toutes les émissions ; et ils vantent la générosité pluraliste de ce monopole qui tolère l’invitation de quelques tenants du « non » choisis, triés et épurés par leurs seuls soins ! Donc tout va bien dans le meilleur des mondes de « l’information » !

Pédagogue en France sur France Inter, Bernard Guetta l’est aussi en Suisse et ailleurs...

Bernard Guetta, pédagogue en Suisse Romande... et ailleurs
Ou : comment résister au retour de mai 68

Bernard Guetta ne comprend pas qu’on ne le comprenne pas. Il est la victime innocente d’une campagne haineuse et véhémente qui serait à l’image du climat qui règnerait désormais en France. Mais ce n’est pas en France que Bernard Guetta s’épanche ; c’est dans les colonnes d’un quotidien de Suisse romande.

S’il a reçu peu de courriels quand il parle sur France Inter, il en a reçu énormément quand il écrit dans Le Temps du 16 avril.

Ce qui secoue Bernard Guetta c’est le changement qui fait que des éditorialistes qui éditorialisaient en paix, sans plus de retour que ça, « reçoivent quotidiennement des paquets de lettres et de courriels pleins d’une fureur vengeresse ... » Des concurrents sauvages, en somme, comme la référence en fin de texte à « Internet, ses "chats", ses "blogs" » l’indique. Où va-t-on si le récepteur ignorant se met à émettre et raisonner ? L’éditorialiste tombe de haut.

Il n’en revient pas :
« Dans les unes, je jette enfin le masque. Je suis un salaud, vendu au patronat, un infect libéral ou, au mieux, un lâche cédant aux pressions des puissants."La gueule que tu feras le 29 mai.." disent ceux-là, tandis que d’autres, parfois courtois [les pires ?], me demandent douloureusement comment je peux ne pas avoir "honte" d’avoir tant changé. »

Bernard Guetta se plaint d’être persécuté par des « procureurs »  ; mais sans oublier d’élever ces contingences individuelles à la dignité spéculative d’un symptôme national :

« Il se passe quelque chose en France. Quand des éditorialistes qui défendent, contre vents et sondages, le oui au projet de Constitution européenne reçoivent quotidiennement des paquets de lettres et de courriels pleins d’une fureur vengeresse, il se passe quelque chose qui va bien au-delà de la seule installation du non dans l’opinion. »

Bernard Guetta s’efforce d’apitoyer le lecteur suisse sur l’injustice de ce qu’il subit en France :
« Pas de circonstances atténuantes. Je suis devenu un rouage, sur radio d’Etat - sur le service public, crapule ! - de cette entreprise de décervelage qui voudrait jeter les Français dans les bûchers du libéralisme. “Nous ne sommes pas si bêtes”, disent ces lettres qui, toutes ou à peu près, m’accusent de “mépriser” les Français, car quelle dose de mépris des gens faut-il avoir pour aller croire que cette propagande pourrait avoir raison de la Raison.  »

On verse une larme...

Indéniablement, l’envolée finale entraîne le lecteur helvétique vers les sommets de la science politique : « Une radicalité pré-politique de type américain rencontre le vieux fonds révolutionnaire français. Il y a quelque chose de Mai 68, la haine en plus. »

Vous avez bien lu : si des auditeurs du service public se plaignent du parti-pris militant de Bernard Guetta, c’est que la France vit désormais dans un climat de haine. Notre chroniqueur a manifestement une très très haute idée de lui-même... Comme on peut lire ici-même : Bernard Guetta célèbre sa propre importance

Quand il n’est pas pédagogue sur France Inter et dans les colonnes du Temps, Bernard Guetta l’est - indiscutablement - dans les colonnes de L’Express.

Là, il « informe » ses lecteurs sur le contenu d’un livre publié par Attac (sans leur fournir une seule observation précise sur le contenu des 194 pages d’analyse du TCE qui le composent) et leur « explique » ce qu’il faut en penser (afin de dispenser le lecteur de L’Express de lire le dangereux livre d’Attac...). Au détour de cette grande œuvre de pédagogie, cette insertion délicate pleine de sous-entendus : « On voit bien l’idée. Elle est aussi vieille que le Grand Soir... » Attac, repaire de vieux bolcheviks fossilisés...

La suite de cette chronique est ouvertement et lourdement ironique. Elle s’achève tout naturellement sur un méprisant et définitif « Merci, Attac ».

Pas de quoi s’étonner : larmoyant en Suisse, vitupérant dans L’Express, Bernard Guetta n’est pédagogue que sur France Inter.

Aurait-il oublié de s’épancher sur les plateaux de télévision ? Eh bien non ! Le 24 avril, sur France 5, dans l’émission Ripostes, il gémit à nouveau :

« La haine, je la ressens presque quotidiennement. Il suffit de vouloir argumenter ou contre-argumenter pour sentir immédiatement, et avec une violence dont vous n’avez pas idée, dans les lettres et dans les mails une colère qui, en vérité, est aujourd’hui de la haine. » [1]

Mais laissons un peu Bernard Guetta, pour nous tourner vers le pape des éditorialistes : Jean Daniel.

Les pédagogues du Nouvel Observateur :
Ni arrogants, ni condescendants

Dans son éditorial du 14 avril (Nouvel Observateur n°2110), Jean Daniel tente de répondre aux critiques des lecteurs de “son” hebdomadaire, mais commence par ne pas comprendre leurs reproches : « A tous ceux qui nous reprochent - et avec quelle véhémence - de les avoir informés que nous voterions oui lors du prochain référendum... »

Ainsi, remplir des pages et des pages - « et avec quelle véhémence » - de plaidoyers pour le « oui » et de réquisitoires contre le « non », ce n’est pas prendre parti systématiquement, mais simplement « informer » sur la position du journal. Rien de plus. Et les lecteurs sont incidemment invités à répliquer sans véhémence à ce déferlement qui se défend d’être propagandiste !

Après un long détour par des conseils de lecture autour de la question européenne (un livre « si précieusement pédagogique » de Jorge Semprun et un autre de Dominique de Villepin), Jean Daniel en arrive à une fracassante conclusion finale :

« C’est une chose de douter de la sincérité ou de l’opportunité de la stratégie de tel ou tel leader. C’en est une autre que de s’engager avec mauvaise foi dans un débat. Et il semble que, soudain, ce que l’on pouvait parfois appeler l’arrogance ait changé de camp.  ».

Ainsi il y eut donc de l’arrogance parmi les partisans du « oui »... Et « on pouvait parfois » l’appeler ainsi ? Qui dissimule ce « on » et qui excuse ce « parfois » ? Nous n’en saurons rien. Car l’arrogante mauvaise foi a changé de camp !

A quoi tient cette mauvaise foi arrogante ? « Car c’est au nom de la gauche tout entière, de ses traditions et de son identité que l’on nous somme de voter non ». Le Nouvel Observateur « informe », les partisans du “Non de gauche” « somment » ...

Et Jean Daniel « informe » ainsi :

« Soudain, il n’est plus question des dispositions du traité, mais d’une cause sacrée qui, en dépit du secours non négligeable que lui apportent Philippe de Villiers et Jean-Marie Le Pen, deviendrait celle du peuple (on ne dit plus prolétariat, mais c’est tout juste). Nos amis trouveront, on l’espère, qu’il n’est ni digne ni honorable de céder à une telle inspiration.  »

C’est donc sans arrogance que le patron du Nouvel Observateur agite le même épouvantail que celui que Patrick Jarreau brandit dans les colonnes du Monde deux jours plus tard (Lire :Le Monde épure la gauche) : une manipulation orchestrée par les staliniens dont la stratégie serait celle du vote révolutionnaire à droite !

Et comme le Nouvel Observateur, quand il n’informe pas « observe », Jean Daniel entame son éditorial de la semaine suivante (jeudi 21 avril 2005 - n°2111) par ce « constat » très personnel : « J’assiste comme chacun à l’irrésistible ascension du non dans les sondages. Et j’observe non seulement qu’il n’y a plus aucune espèce de condescendance à l’égard de ses partisans mais que l’on voit sourdre une certaine compassion pour ceux (les partisans du oui) que l’histoire pourrait s’apprêter à jeter dans ses oubliettes. »

Et, pour preuve de cette absence de condescendance à l’égard des partisans du « non », Jacques Julliard (qui pérore aussi sur LCI avec comme contradicteur Luc Ferry, partisan du... « Oui ») écrit dans le même numéro du Nouvel Obs, ces lignes :

« A la suite de mon long plaidoyer [tiens donc ! Ce n’était pas de l’info ?...] pour le oui, il y a quinze jours, j’ai reçu une avalanche de courrier et de courriels. Pour un tiers favorables, pour deux tiers critiques. Violemment. De façon parfois insultante : il paraît que c’est le courriel qui veut cela. Je ne me plains pourtant pas de la proportion, car on écrit plus souvent aux journaux pour s’en plaindre que pour les féliciter.  »

Et :

« [...] Avec cet art de la généralisation et de la montée aux extrêmes qui est dans le génie national, les Français sont en train de transformer le débat référendaire en un soulèvement généralisé non seulement contre le gouvernement légal mais contre tous les gouvernements particuliers qui se partagent la France. En un mot, contre les élites. C’est le Mai-68 des paysans, des petits fonctionnaires, des commerçants, des employés. Sans parler des lycéens eux-mêmes ! »

Passons aussi sur la surprenante sociologie politique de notre homme « de gauche »... Pas la moindre nuance d’arrogance ou de condescendance chez notre zélateur des prétendues « élites » dont il s’honore périodiquement de faire partie.

Une violence sourde et continue

Nos chers chroniqueurs et éditorialistes ayant pris l’habitude « pédagogique » de truffer de citations leurs implacables argumentations, nous leur offrons cette remarque. Elle est de Gaston Bachelard qui, au début de La Formation de l’esprit scientifique, dit avoir été frappé par le fait que les professeurs « ne comprennent pas qu’on ne comprenne pas ». Il est vrai que Bachelard parle alors surtout des professeurs de sciences. Mais nos éditorialistes ne sont-ils pas, eux aussi, des savants ? Ils « ne comprennent pas qu’on ne comprenne pas » le désintéressement des convictions dont ils abreuvent les ignorants ; mais, surtout, ils ne comprennent pas qu’on ne comprenne pas que l’omniprésence de leurs thèses dans les grands médias est justifiée par leur modeste fonction de porte-parole de la Raison. Une Raison dont ils détiennent, évidemment, le légitime monopole.

Aveugles à la violence sourde et continue qu’ils exercent en permanence (et pas seulement à l’occasion de cette campagne...), non pas un à un, mais ensemble, contre tous ces ignorants auxquels ils infligent leurs leçons méprisantes, ils pleurnichent quand les cibles de leurs vindictes s’insurgent contre eux. Dominants dominés par leurs propre domination, ils préfèrent n’en rien savoir et invitent à la retenue ceux-là mêmes qu’ils tentent de réduire au silence.

Ainsi, à en croire nos pédagogues, quand ils prennent massivement parti pour le « oui » et transforment les médias dominants en outil de propagande, les critiques qu’ils reçoivent sont par principe injustes et elles trahissent une incompréhension causée par les archaïques partisans d’un vote révolutionnaire à l’extrême-droite. Cela provoque un climat de haine qui conduit les électeurs (manipulés par des rouges au service des bruns) à dénoncer la propagande dont ils s’imaginent être les victimes.

Conclusion : si vous êtes raisonnable, ne critiquez plus les éditorialistes et les chroniqueurs qui font consciencieusement leur devoir de pédagogues ! Soyez-leur reconnaissants de vous « informer » sur les partis pris de la Raison !

Philippe Monti


 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Information transmise par un claviste de PLPL.

A la une

Portraits de journalistes dans Libération : entre-soi et complaisance

Starification et dépolitisation.