Accueil > Critiques > (...) > Après le scrutin du 29 mai 2005 [Référendum de 2005]

Les matins du « oui » sur France Culture : après le choc...

par Mathias Reymond,

29 mai 2005 : le résultat du référendum portant sur l’adoption du Traité Constitutionnel Européen (TCE) est sans équivoque : il est rejeté massivement par 55% (contre 45%) des votants. Cette différence de près de 3 millions de voix mérite explication, analyse et compréhension. L’émission « Les Matins de France Culture », qui fut une active propagandiste du « oui » pendant la campagne [1], va poursuivre sur sa lancée en invitant des partisans du TCE pour donner l’explication de ce « séisme ». Est-ce à dire que, si le « oui » l’avait emporté, les invités auraient été choisis dans le camp du « non » ?

Depuis le lendemain du référendum, les « Matins de France Culture » consacrent la plupart des émissions à l’analyse des résultats. Ainsi, Pierre Rosanvallon (le 30/05), Kalypso Nicolaïdis (31/05), Yann Moulier-Boutang (01/06), René Rémond (02/06), Ezra Suleiman (07/06) et Jean-Luc Dehaene (08/06), tous partisans du « oui », sont venus s’exprimer sur le plateau. Seul René Passet, invité une semaine après les résultats (06/06), est venu présenter une analyse émanant du camp du « non ». 6 oui égale donc 1 non ; telle est la conception de « l’équité » (la notion « d’égalité » est désormais une notion obsolète) des responsables des « Matins de France Culture ».

Des invités en campagne pour le "oui"

Les jours qui suivent le référendum, l’ensemble des chroniqueurs de l’émission matinale de France Culture présentée par Nicolas Demorand, qui, tous, avaient soutenu le « oui » au TCE, vont commenter la victoire du « non » avec des invités censés tirer objectivement les leçons du scrutin puisque ce sont des « savants » ou des « personnalités » qui connaissent bien l’Europe. En fait, ce sont tous de farouches partisans - français ou étrangers - du « oui » qui vont déplorer ce qu’ils estiment tous être une catastrophe. La semaine suivante seulement, René Passet sera invité pour proposer la lecture des résultats du référendum pour les partisans du « non »... mais après les prêcheurs du « oui ».

Le premier invité est Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, qui va doctement discourir sur cette « implosion politico-sociale en France ». Pour lui, « la clé de ce scrutin (...) c’est le fait qu’une partie de l’électorat socialiste ait voté ‘non’ », mais surtout ce qui l’intéresse c’est que « la réponse de beaucoup de personnes qui ont voté ‘non’, c’est de dire : ‘on n’est pas tellement partisans de la solidarité et de la redistribution économique avec un certain nombre d’Européens.’ »

France Culture fait ainsi parler les partisans du « non »... que l’on n’invite pas puisqu’il s’agit de dire ce qu’ils cachaient derrière leur vote. D’ailleurs, savaient-ils vraiment eux-mêmes ce qu’ils faisaient ? Choisissant l’interprétation du « non » qui l’arrange, Rosanvallon continue donc à disséquer les résultats de la veille (on appréciera au passage la grande rapidité d’analyse de notre « savant ») : « Toute une partie de la gauche, qui était une gauche internationaliste, est devenue plus nationaliste aujourd’hui. (...) Aujourd’hui, c’est : ‘ouvriers français, soyez solidaires des ouvriers français. Ouvriers allemands, soyez solidaires des ouvriers allemands.’  » Et il insiste : « les partisans du non ont dit : ‘ Oui à une Europe protectionniste et non à une Europe de la redistribution !’  » Ainsi, le non de gauche est nationaliste et contre la redistribution...

Sur le plateau des « Matins de France Culture », personne ne réagira puisque, sur les 6 personnes qui entourent Pierre Rosanvallon, aucune ne s’est prononcée contre le Traité constitutionnel (Alexandre Adler, Olivier Duhamel, Alain-Gérard Slama, Olivier Pastré, Marc Kravetz et Nicolas Demorand). Le ‘non’ absent, ne peut que se soumettre aux explications saugrenues de Pierre Rosanvallon.

Le lendemain, Kalypso Nicolaïdis, ancienne conseillère du ministre grec des affaires étrangères, revient sur les atouts de cette Constitution du point de vue de « la démocratie participative avec l’initiative populaire » et donc déplore, elle aussi, le vote « non » qu’elle interprète, elle aussi, en disant qu’il est « d’un côté eurosceptique, de l’autre peut-être xénophobe... ». Admirons la prudence du « peut-être xénophobe  » et aussi l’absence d’un « non » qui, « peut-être », était également « pro-européen » mais pour une autre conception de l’Europe. Lorsque Kalypso Nicolaïdis affirmera qu’elle «  ne participe pas à la diabolisation du ‘non’ », Nicolas Demorand, dans un grand mouvement de dénégation, s’écriera : « Nous ne l’avons pas fait là, en tout cas ! » Sans doute a-t-il déjà oublié, entre autres, les chroniques d’Alexandre Adler qui ont précédé le référendum et n’a-t-il pas encore entendu celles qui le suivront.

Poursuivant sur les enseignements qu’il convient de tirer des résultats du référendum, Demorand invite un politologue, historien des droites en France, René Rémond. L’académicien, à son tour, ne fait pas dans la nuance : « [le non] c’est les résurgences des égoïsmes nationaux. (...) On a probablement détruit la plus grande entreprise de l’histoire ! » Les grands mots et les grands amalgames ne l’effraient pas : «  Nous avons voté contre la déclaration des droits [de l’homme] dimanche dernier. C’est incroyable quand même ! » [2] La raison en est que « les électeurs n’ont pas été éclairés » (sous-entendu ‘par les partisans du oui qui, seuls, détenaient les Lumières’). Pourtant, ajoute René Rémond, « les médias, dont le comportement a été irréprochable dans la dernière campagne, ont fait un grand effort d’information.  »

Une comparaison historique s’impose donc aux yeux de cet éminent historien : « Je suis tenté de dire que c’est aussi grave que Munich . Ça ne veut pas du tout dire que les motivations des électeurs ont fait d’eux des munichois. (...) Ils ont même eu le sentiment, au contraire, d’êtres des résistants. (...) Objectivement je ne suis pas sûr qu’en définitive ce ne soit pas le ‘non’ qui était plutôt collaborateur, parce que l’on fait le jeu de l’Angleterre.  » Sommes-nous donc a la veille d’une nouvelle guerre ? Notre historien tient toutefois à nous rassurer : « c’est la peur qui l’a emporté » et «  rien ne justifie cette morosité, c’est de l’ordre du psychodrame  ! »

Des éditorialistes en campagne pour le "oui"

Accompagnant ces déçus du référendum, d’autres vont reprendre en chœur le même leitmotiv, soit dans leurs chroniques, soit au cours des entretiens avec les invités.

Pour Alexandre Adler, dont les prévisions ne s’avèrent que rarement vérifiées [3], « nous allons rentrer dans une phase de cacophonie  » [4] et l’Europe « est au bord du gouffre  » [5]. L’expert omniprésent ironise : « Je voudrais donner effectivement à tous les gens qui ont eu la bonne idée de voter ’non’ quelques informations sur l’excellence de la situation qu’ils ont créée. » [6] Après la phase de pédagogie pré-référendum, voici la phase d’explication post-référendum. A cause « du climat [provoqué par] le non français et néerlandais  », l’Angleterre ne va pas contribuer au budget communautaire, la Turquie va se retourner vers ses alliés extérieurs et maintenant ce « sentiment de rétraction porte également sur l’Euro qui est aujourd’hui de plus en plus attaqué sur les places financières. » Et les tsunamis à venir ? [7]


Pour Olivier Pastré, qui se présente comme économiste, tout est simple puisque « à long terme, l’Europe a des chances de disparaître de la carte ...  » [8] Déçu par les jeunes qui ont voté « non », il se fâche : «  C’est pour eux qu’on a construit l’Europe. S’ils n’en veulent pas, on n’est pas bien barrés.  » Aucun jeune n’est sur le plateau pour donner son point de vue sur la construction de cette Europe.

Alain-Gérard Slama, tout en finesse, revient quant à lui sur les « erreurs de la campagne ». Sans doute, « on a trop exalté l’Etat Providence et la protection. On a invoqué une Europe bouclier. (...) On a encouragé cette espèce de lent et morne repli vers un ordre de l’Etat préventif et de l’Etat précaution. » [9] Trop d’Etat Providence ? Pour lui, « la diabolisation du mot « libéralisme », qui n’est plus appelé que l’« ultralibéralisme », a été vraiment une des fautes majeures de cette campagne. Qui a pris position en faveur de l’Europe de la liberté ? Personne ! » L’Europe de la liberté contre l’Europe du repli.

Si pour Olivier Duhamel [10] , le « non » est un «  fiasco  », il n’arrive pas à comprendre les raisons d’un tel vote et interroge René Passet, président d’honneur d’ATTAC : « Comment se fait-il qu’un esprit aussi ouvert, profondément intelligent et européen que le votre (...), comment se fait-il que vous ne le voyez pas [les avancées du TCE] ? » [11] C’est vrai, comment se fait-il ?
Mais rassurons-nous, puisque Aurore, la fille d’Olivier Duhamel, a voté ‘oui’ [12].

Haro sur ATTAC

A l’exception de René Passet, aucun opposant au Traité constitutionnel n’a eu l’occasion de venir s’exprimer dans les « Matins de France Culture ». Pourtant, zélateurs du « oui » et chroniqueurs propagandistes, n’ont pas hésité à les faire parler et à leur faire dire tout et n’importe quoi.

Dans un grand moment d’euphorie, avec comme invité Jean-Luc Dehaene - ancien Premier ministre belge et défenseur sans état d’âme du « oui » puisque vice-président de la Convention européenne, et à ce titre rédacteur du TCE - Alexandre Adler effectue une subtile analyse et lance une idée ingénieuse : « Il y a au fond une seule innovation politique ces dernières années - et je le déplore profondément mais c’est ainsi - c’est le mouvement ATTAC en France ; qui a d’ailleurs fait des adeptes en Allemagne, en Belgique, un peu partout ; et qui dénonce la mondialisation et aussi bien sûr l’Europe. Et, pourquoi ne ferions-nous pas - les Européens - un mouvement qui s’appellerait « Défense », par exemple, ou autre chose encore, et qui serait le contrepoids de cette organisation qui dépasse les partis mais qui a cristallisé finalement un refus, qui est devenu opérant, en tout cas en France, et à certains égards aux Pays-Bas ? » [13]

L’idée semble séduire l’ancien Premier ministre belge, mais l’appellation suggérée, « Défense », le dérange un peu : « Je n’appellerais pas ça « Défense » parce que justement je crois que la piste européenne... c’est le choix pour un avenir. Alors que l’approche ATTAC, ça j’appellerais une approche de défense et de forteresse... qui n’aboutira à rien ! »

Ravi, Duhamel enchaîne : « Pour le titre, je vous propose ‘Contre-Attac’ ! » Heureuse répartie qui suscite enfin un peu de bonne humeur dans le studio. Et Olivier Duhamel pose la dernière « question » de l’émission : « Est-ce que vous êtes au moins d’accord sur un point ? Est-ce qu’on a au moins acquis un point ce matin ? C’est qu’on lance ‘Contre-Attac’ ? ».
Olivier Duhamel est bien chroniqueur sur... France Culture.

Mathias Reymond
Merci aux acrimédiens transcripteurs et notamment Lucas et Philippe Monti.

 
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Notes

[1Voir le précédent article : Les matins du « oui » sur France Culture.

[2En gras : souligné par nous.

[3Voir « Portrait d’un omniscient », Le Monde Diplomatique, juin 2005.

[4France Culture, 30 mai 2005.

[5France Culture, 31 mai 2005.

[6France Culture, 8 juin 2005.

[7Lire dans Le Monde diplomatique (février 2005) " Contre les tsunamis, votez « oui » au référendum ! ", par Serge Halimi et, sur la réaction de Bernard Guetta à cet article, lire ici-même Bernard Guetta célèbre sa propre importance (note d’Acrimed).

[8France Culture, 30 mai 2005.

[9France Culture, 30 mai 2005.

[10Chroniqueur des " Matins de France Culture ", mais aussi ancien député PS au Parlement européen et ancien membre de la " Convention sur l’avenir de l’Europe ", donc co-rédacteur du TCE (note d’Acrimed).

[11France Culture, 6 juin 2005.

[12France Culture, 30 mai 2005.

[13France Culture, 8 juin 2005.

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