Complaisance
« J’ai trouvé ça plutôt rythmé et tonique, de bonne tenue, pas mal sur le fond et sur la forme. À deux ou trois moments, il y a eu confrontation, il y a eu aussi des explications, un peu de pédagogie. C’était un entretien libre de ton. » [1]. C’est en ces termes que David Pujadas lui-même analyse son interview du président de la République le 12 juillet 2010. Cette auto-célébration est loin d’avoir été partagée, comme le montrent les critiques dont l’animateur du Journal de France 2 a été la cible juste après l’émission avec Nicolas Sarkozy.
Dès le lendemain, en effet, le SNJ-CGT de France Télévisions publie un communiqué dénonçant un David Pujadas « complaisant et incompétent, (…) et laissant Nicolas Sarkozy avancer des contre-vérités ». Cette émission est, selon le syndicat, « une honte pour l’information de service public. » De son côté, le site Marianne2.fr revient en détails (sans pour autant être exhaustif…) sur les manquements de l’intervieweur : « lorsqu’on a la vanité d’accepter ce rôle en solo, on prépare un minimum la confrontation. (…) Il n’est pas admissible de se faire balader sans répliquer lorsque Nicolas Sarkozy réitère des mensonges grossiers sur des questions connues qui ont déjà largement fait polémique et que tout journaliste s’intéressant à la politique, même doté d’une attention flottante, ne peut pas ignorer. »
Des exemples ? Marianne2.fr en donne deux : « "Il existait avant mon élection des contribuables qui payaient 100% d’impôt, c’est-à-dire il gagnait 1000, ils payaient 1000 et ils partaient tous", a affirmé le Président sans être contredit par Pujadas. Pratiquement, personne n’a jamais payé 100% d’impôts et le bouclier fiscal, contrairement à ce que répète le Président, n’a pas pour effet de limiter la taxation des revenus réels à 50 % mais plutôt autour de 20% comme on l’a vu avec Madame Bettencourt. Toute aussi fausse son affirmation selon laquelle "le bouclier fiscal existe en Allemagne depuis plus de vingt ans". Il n’y a jamais eu de bouclier fiscal en Allemagne, mais une décision de la Cour constitutionnelle qui ne concernait d’ailleurs que l’impôt sur la fortune et qui a été supprimée depuis, comme nombre de mises au point l’ont rappelé dans la presse ces derniers mois. »
Plus complet, un article publié sur le site de l’Expansion (13 juillet 2010) explique « comment David Pujadas aurait pu argumenter contre Nicolas Sarkozy » et expose dix (grosses) contre-vérités assénées par le président de la République non relevées par le présentateur.
En comparant l’entretien du président avec celui, un mois plus tôt, de Martine Aubry dans son JT, le site de Arrêt sur images revient sur la pugnacité variable de David Pujadas. Face à la première secrétaire du Parti socialiste, l’interview se révèle « tenace, exigeante sur la précision des réponses attendues. » Et face à Nicolas Sarkozy, « Pujadas change radicalement de ton : il se fait plus coulant, bienveillant, et surtout, laisse Sarkozy digresser comme il l’entend. »
Nous ne reviendrons pas sur cet entretien de juillet 2010 qui, comme les précédents, soulève avec insistance la même question : qui invite qui [2] ? David Pujadas invite-t-il Nicolas Sarkozy dans son JT pour lui poser ses propres questions ? Ou Nicolas Sarkozy reçoit-il (comme ce fut le cas se 12 juillet 2010) David Pujadas à l’Élysée pour qu’il serve de porte-micro et de passe-plat ? Poser la question, c’est y répondre…
Récompense
Hasard du calendrier, quelques jours plus tôt (le 30 juin 2010), des proches du défunt journal Le Plan B accompagnés du réalisateur Pierre Carles décidaient de remettre à David Pujadas, sur le trottoir, devant les locaux de France Télévisions, une « laisse d’or », symbole de « la servilité du journaliste ». En guise de consécration et… d’anticipation involontaire du rendez-vous à l’Élysée. Une opération qui tombait à point nommé moins de deux semaines avant celui-ci.
Un communiqué publié sur le site du Plan B apporte quelques explications à cette action :
« En décernant ce kit [une laisse d’or plus une boîte de cirage, une brosse et un plumeau multicolore doté] au présentateur du "20 heures" de France 2, les organisateurs entendaient récompenser le "journaliste le plus servile", comme ils l’ont expliqué au Plan B, qui passait par là. Selon eux, Pujadas mérite la Laisse d’or pour son amour des euros (12 000 euros de salaire mensuel), sa haine des syndicalistes [3] et son dévouement pour les puissants, réaffirmé récemment dans le film culte de Denis Jeambar, "Huit journalistes en colère" (Arte, 9.2.10), qui le montrait fustigeant la surmédiatisation des humbles : "Le journalisme des bons sentiments, c’est aussi une bien-pensance. C’est l’idée que, par définition, le faible a toujours raison contre le fort, le salarié contre l’entreprise, l’administré contre l’État, le pays pauvre contre le pays riche, la liberté individuelle contre la morale collective. En fait, c’est une sorte de dérive mal digérée de la défense de la veuve et de l’orphelin." »
La cérémonie fut brève et non violente. Ses organisateurs ont même repeint le scooter de l’animateur d’une peinture dorée…et délébile. Une action symbolique qui n’a gère attiré l’attention de la presse imprimée et des grands médias audiovisuels, mais que de nombreux blogueurs et sites Internet ont dénoncé comme une « agression ».
Indignation
Pour le site Gala.fr, David Pujadas s’est fait « piéger par un commando », pour voici.fr, le « happening était trop violent pour être drôle. » Selon Europe1.fr, « David Pujadas a été victime d’un guet-apens ». Sur le site d’Arrêt sur images, on parle d’« agression ». Terme qui est utilisé un peu partout, notamment par les sites Internet des quotidiens nationaux. On appréciera enfin le titre de l’article sur le site 7sur7 : « David Pujadas agressé avec une laisse ». De son côté, la direction de l’information de France 2 s’est empressée de juger « méprisable », dans un communiqué publié le 6 juillet 2010, l’opération menée contre David Pujadas qui « porte atteinte au travail de l’ensemble de la rédaction » de la chaîne publique. « De plus, l’action consistant à interpeller David Pujadas à la sortie du siège de France Télévisions dans des conditions contestables ne peut que renforcer notre sentiment d’indignation », a ajouté la direction de la chaîne, prétendant parler au nom de toute la rédaction.
Encore ne s’agit-il, jusqu’ici, que de réactions… nuancées. En revanche, le 7 juillet 2010, Bruno Roger-Petit dénonce sur son blog du Post.fr un « lynchage » : celui de David Pujadas par une équipe diligentée par Pierre Carles et Le Plan B (« qui est à la critique des médias ce que le site « Françoisdesouche » est aux Droits de l’Homme »). Ne reculant devant aucun poncif, il y compare Le Plan B tour à tour à la Milice, à Je suis partout et aux tortionnaires d’Abou Graïb, n’hésitant pas non plus à le soupçonner d’antisémitisme :
« Tout est insupportable dans cette agression (désolé, il faut bien appeler les choses par leur nom) : l’acte lui-même (quel courage que de tendre un guet-apens à plusieurs !) la narration de l’acte (avec l’allusion à la petite taille de la victime, comme s’il s’agissait d’un sous-homme, donc c’est un être indigne), le choix d’une laisse (cet homme est un chien, donc c’est un être indigne), la fuite du coupable (il se dérobe, donc c’est un être indigne) et enfin le scooter de la victime peint en or (vieille symbolique, pas de pitié pour les juifs adorateurs du veau d’or, ces êtres indignes). Cela pue. Le Plan B fait l’apologie de la Milice médiatique des années 2000. Bravo !
[…] Cela confirme qu’une certaine extrême gauche qui fait de la critique des médias "vendus au grand capital et aux forces de l’argent" son petit fonds de commerce, façon "Je suis Partout", est en train de passer de l’autre côté du miroir. Il est triste de constater que Pierre Carles s’est fait le complice de ce petit lynchage, aussi minable que sinistre, et s’est abaissé à filmer cette mise en scène sordide. En tout cas, voilà un document vidéo-filmé qui aura toute sa place dans la vidéothèque de Lynndie England et sa collec’ de DVD "Abou Graïb inside". »
Qu’une action non-violente (comme David Pujadas en conviendra lui-même) suscite autant de mensonges (un seul exemple : la petite taille de David Pujadas n’a fait l’objet d’aucune allusion) et une telle débauche d’interprétations diffamatoires, laisse pantois ! Surtout lorsque l’on sait que Bruno Roger-Petit n’a pas assisté à la scène [4]. On peut ne pas se réjouir de cette action symbolique sans sombrer dans la caricature…
… Caricature que Jean-Marc Morandini magnifie en consacrant une partie de son émission du 5 juillet sur Direct 8 (modestement intitulée « Morandini ! ») à cet épisode. Au terme d’une présentation dramatique (« David Pujadas agressé devant France Télévision, le journaliste a été victime d’une opération commando »), l’animateur donne la parole à celui qui, dit-il, « a révélé cette affaire » : un certain Bruno Roger-Petit. Ce dernier décrit la scène comme s’il l’avait vécue : « ça a commencé à déraper parce que d’abord il y a eu des remarques déplaisantes sur sa taille (…). Moi quand j’ai vu ça [sic], j’étais sidéré (…). On n’est plus dans la critique des médias, on est dans l’agression physique d’une personne. Ça devient quand même grave. C’est écœurant. Franchement, c’est une opération abjecte. C’est un guet-apens, c’est minable, c’est lâche… »
Le lendemain, David Pujadas s’explique sur Europe 1 dans l’émission de Jean-Marc Morandini (encore lui !) et contredit ce qui a été dit dans les médias : « j’ai vu trop de bêtises écrites un peu partout. (…) Il n’y a rien eu de dégradant. (…) J’ai dit stop et ça s’est arrêté là. »
Il est sans doute dans l’intérêt de Pujadas de faire oublier cette affaire puisqu’elle révèle des choses vraies sur le fond. D’ailleurs quand Morandini l’interroge sur ce sujet, il fuit la conversation :
- Morandini : « Quand ils parlent de votre haine des syndicalistes et votre dévouement aux puissants, ça vous touche, ou vous vous dites c’est des allumés… »
- Pujadas : « Non, ça ne me touche pas du tout. Ne vous attendez pas à ce que je réponde sur le fond à ces gens-là puisqu’ils n’ont aucun argument. »
Aucun argument ? Ce serait oublier un peu vite tous ceux qui sont réunis sur le site d’Acrimed (voir notre dossier « David Pujadas ») ou dans les archives du Plan B. Ce serait oublier désormais la célèbre interview de Nicolas Sarkozy un certain 12 juillet 2010.
Complaisant, servile ou tout simplement fonctionnel ? En tout cas, un jour viendra – peut-être un 14 juillet… - où David Pujadas recevra la Légion d’honneur, pour services rendus. Mais à qui ?
Mathias Reymond