L’esprit du médiateur
- Antoine Mercier (Journaliste et présentateur du journal de 12 h 30) : « Un petit mot d’abord sur l’esprit de ce nouveau rendez-vous. On vous avait entendu un petit peu l’année dernière, et puis, cette fois-ci donc, ça prend une forme plus régulière. Votre, votre... l’esprit de ce rendez vous donc, c’est toujours évidemment de vouloir répondre… »
- Jérôme Bouvier : « Toujours favoriser… »
- Antoine Mercier : « … aux interrogations des auditeurs. »
- Jérôme Bouvier : « … Toujours favoriser et approfondir l’échange et le dialogue entre les auditeurs des radios du service public, donc France Inter, France Info, France Bleu etc., et France Culture en l’occurrence. France Culture, je suis d’autant plus heureux de revenir tous les quinze jours, vous l’imaginez, que j’ai pour elle beaucoup d’affection. Donc je voulais peut être simplement préciser avant, en redémarrant un peu cette année, un petit "médiateur mode d’emploi". Je ne sais pas si c’est une bonne formule, mais je vois bien que les auditeurs utilisent le médiateur un peu pour… ce à quoi, ce à quoi ils ont besoin. Donc le médiateur n’est pas là pour répondre à la place de ceux qui sont en place, de ceux qui sont en charge des antennes de Radio France : le médiateur est irresponsable par nature, c’est un statut que j’aime bien [rires en studio], même s’il est parfois frustrant. Mais il faut insister sur cet aspect. C’est-à-dire que le médiateur ne mute pas, ne licencie pas, ne change pas les grilles, voilà, il est là pour porter la parole… »
Bref : le médiateur n’est responsable de rien et ne répond à rien ; il transmet la parole et, nous le verrons, le courrier !
- Antoine Mercier : « Vous n’êtes pas là pour prendre les coups non plus, quoi : c’est ça que vous voulez dire. »
- Jérôme Bouvier : « Non mais il est là pour les transmettre, mais simplement quand je suis sommé de répondre sur la disparition d’une émission ou une autre, je n’en peux [inaudible]. D’où la nécessité d’essayer d’être leur médiation et de permettre, comme aujourd’hui - j’en suis très heureux -, que le directeur de France Culture soit à nos côtés pour répondre, car la logique éditoriale est bien là. »
Bis : le médiateur n’est responsable de rien et ne répond à rien ; il transmet le courrier et donne la parole à son patron. En cela consiste la « médiation ».
Et cinq minutes plus tard, après un échange sur « Le grand sujet de cet été, Michel Onfray »…
Le médiateur en action et l’esprit du PDG
- Jérôme Bouvier : « Alors, merci, changement de registre avec les questions liées, toujours un peu, à l’été et à ce début d’automne : les changements de grille. Alors je ne vais pas faire la liste hein, de… de toutes les modifications qui ont provoqué les commentaires. Peut-être prendre celles qui en ont provoqué le plus… Jacques par exemple qui me dit : “Je suis attristé et déçu par le départ de Pascale Casanova, déçu par le non-renouvellement de cette émission, qui marque pour moi un signe le plus évident de la qualité de France Culture”, Je ne cite pas tout le mail. [Puis, s’adressant à Olivier Poivre d’Arvor, le patron de France Culture, le médiateur poursuit] Donc est-ce-que vous pouvez nous apporter des précisions là-dessus ? »
Or c’est ce même « Jacques » qui a attiré, entre autres correspondants, notre attention sur cette intervention du médiateur, en nous faisant suivre le mail qu’il avait envoyé à ce dernier. Sa lecture est édifiante, puisque non seulement le médiateur omet les passages les plus importants – le manque de temps, sans doute... –, mais même ce qui est prétendument cité est infidèle à l’original. « Je ne cite pas tout le mail », précise sans vergogne le médiateur. Certes ! Citons-le :
Monsieur le médiateur de France culture,
J’ai appris il y a quelques jours que le contrat de Mme Casanova, responsable de l’émission "L’atelier littéraire" ne serait pas renouvelé à la rentrée de septembre.
J’en suis attristé et déçu.
Attristé parce que le travail de Pascale Casanova sur cette radio s’est trouvé régulièrement marqué par un souci d’exigence, de rigueur et d’indépendance longtemps accordé à l’image et à la conception d’une radio de service public telle que la vôtre (je me souviens de l’émission « Panorama » qu’elle animait parfois à la place de Michel Bidlowski).
Déçu car le non renouvellement de cette émission marque selon moi un nouvel indice des évolutions de France Culture, celles qui voient progressivement s’indexer les logiques culturelles et intellectuelles aux logiques journalistiques, celui où le temps de l’actualité et de l’évènement se substitue de plus en plus au temps long de la distanciation et de la réflexion.
Et pas, « le non renouvellement de cette émission qui marque pour moi un signe le plus évident de la qualité de France Culture », comme on l’entendit à l’antenne dans la bouche de celui « qui est là pour porter la parole » !
ll m’est enfin difficile de ne pas voir dans le départ de Pascale Casanova de la grille de France Culture un nouveau signe du recul de la dimension critique et des mises en questions constitutives de toute production intellectuelle indépendante des pouvoirs au profit d’un certain consensus et d’un certain académisme médiatico -intellectuel.
Cordialement,
Jacques xxx
Reprenons…
- Jérôme Bouvier : « […] Je ne cite pas tout le mail. Donc est-ce-que vous pouvez nous apporter des précisions là-dessus ? »
- Olivier Poivre d’Arvor : « Alors oui, j’ai découvert moi même dans la grille que l’émission que je connaissais bien, de Pascale Casanova, n’était plus là, Bon ! D’abord il faut juste dire une chose : c’est vrai que, bon, toutes les émissions ne sont pas, n’ont pas vocation à être éternelles, et je crois que Pascale a fait un travail remarquable de très nombreuses années, de très, très nombreuses années sur cette chaîne et on en est très heureux. La réponse est la suivante : c’est que bah, il y a eu divergence entre Radio France et non France Culture et Pascale Casanova, et que la littérature est toujours aussi présente sur cette antenne. Elle est portée dans quelques instants par nos amis de “La Grande Table”, mais elle est portée, à peu près, par tout le monde, dès six heures du matin jusqu’à minuit, et encore avec “les Nuits de France Culture”, et franchement s’il y a bien une antenne qui ne parle que des livres et qui a une passion avec les livres, ancienne, c’est France Culture. Donc, que nos auditeurs s’en remettent, et aillent vers ces nouvelles émissions qui proposent un regard tout à fait passionnant sur la littérature d’aujourd’hui. »
Une telle réponse atteint des sommets de muflerie : un éloge posthume, l’évocation d’une « divergence » dont on ne saura rien « entre Radio France et Pascale Casanova », et une invitation aux auditeurs à « s’en remettre » en écoutant d’autres émissions. Dites, docteurs en civilité, « muflerie », c’est une insulte ?
Que répliqua le médiateur à son hôte ? Rien ! Le facteur auprès du PDG n’avait reçu qu’un mail (qu’il a si mal résumé qu’il fut, de facto, censuré). Et il n’avait pas entendu parler de l’hommage d’une trentaine d’écrivains déplorant la suppression de l’émission produite par Pascale Casanova.
Grâce à ce « nouveau rendez-vous », qui ressemble à tant d’autres, nous ne pourrons prendre connaissance ni des conditions et des motifs du licenciement de Pascale Casanova, ni d’une appréciation critique et argumentée de celui-ci, mais nous cernons un peu mieux les fonctions respectives du médiateur et du PDG : aux questions aseptisées du premier répondent les explications tout à la fois lénifiantes, inconsistantes et indécentes du second.
Henri Maler (grâce aux transcriptions de Jean-Marie et Ricar, et aux fichiers audio de Michel)