I. Un classement général….
L’étude de l’INA, aussi instructive soit-elle, souffre de deux grandes lacunes. D’une part, elle porte sur le nombre de « sujets » consacrés à telle ou telle rubrique de l’actualité, mais ne se préoccupe jamais du temps d’antenne global qu’ils représentent. D’autre part, elle saucissonne l’actualité en tant de thématiques qu’il en devient difficile de se figurer les lignes de force qui structurent l’information telle qu’elle est présentée chaque soir.
Ainsi l’INA distingue les rubriques suivantes (figure entre parenthèses la part qu’elles auraient prise, en nombre de sujets, dans les JT en 2012) : Société (17 %) ; International (15 %) ; Politique française (13 %) ; Économie (11 %) ; Culture-Loisirs (7 %) ; Sport (7 %) ; Faits divers (atteintes aux personnes, accidents, banditisme, etc. 6 %) ; Catastrophes (6 %) ; Justice (5 %) ; Environnement (4 %) ; Santé (3 %) ; Éducation (2 %) ; Histoire-hommages (2 %) ; Sciences et techniques (2 %).
Des résultats quelque peu surprenants, tant du point de vue de l’importance des sujets internationaux, que de la faiblesse en volume de la rubrique « faits divers » (même en lui adjoignant celle intitulée « catastrophes »).
Avant d’en commenter la méthode et le sens, voici les résultats que nous avons obtenus en classant dans un nombre plus limité de rubriques les 282 sujets des quinze JT observés, représentant 564 minutes d’informations :
– Faits divers et sport : 26 % de l’ensemble des sujets
– Questions économiques et sociales : 18,5 %
– Faits de société : 17 %
– Politique : 14,5 %
– International : 11 %
– Magazine : 9 %
– Culture : 4 %
Beaucoup plus significatif pour appréhender leur poids respectif, voici maintenant le temps d’antenne qu’elles ont occupé :
– Faits divers et sport : 20 %
– Faits de société : 20 %
– Questions économiques et sociales : 20 %
– Magazine : 14 %
– Politique : 11 %
– International : 7,5 %
– Culture : 6 %
Avant de les commenter, quelques remarques sur la méthode utilisée pour parvenir à ces résultats.
… Et sa méthode
Convenons tout d’abord que, contrairement à l’étude de l’INA qui repose sur une analyse exhaustive des JT de six chaînes sur une année entière, le décompte que nous avons réalisé est beaucoup plus limité et qu’on ne saurait en tirer de conclusions aussi définitives – gageons tout de même qu’il fournit quelques indices et quelques grandes tendances significatives.
Convenons ensuite que l’affectation de chaque sujet à une rubrique plutôt qu’à une autre est un exercice largement arbitraire. Il procède néanmoins d’une certaine logique :
- Nous avons classé dans la rubrique faits divers et sport des sujets que l’INA aurait sans doute affecté dans les rubriques justice (la libération de Michael Blanc détenu depuis de nombreuses années en Indonésie pour trafic de drogue), international (« Brésil : la statue du Christ touchée par la foudre », « Chine : incendie dans le village historique de Dukezong »), ou catastrophes (les intempéries dans le Var). Ce qui explique le triplement de leur volume total. Au cours de ces deux semaines, le sport a été réduit à la portion congrue.
- Nous avons affecté à la rubrique « magazine » des sujets relativement atemporels, qui, s’ils peuvent prendre appui sur « l’actualité », n’y sont pas directement liés, et dont le thème ou le traitement évoque davantage le film documentaire que le reportage factuel. Avec évidemment beaucoup de sujets consacrés à la nature et aux voyage (« États-Unis : le Grand Canyon en hiver, une face méconnue » ; « Antarctique : des anémones sous la banquise »), mais aussi à des thèmes historiques (« Histoire : Lénine, 90 ans après sa mort » ; « Histoire : Philippe Druillet, "fils de collabo" »), aux faits de société (« "Encombrants" : ruée sur les trottoirs »), ou à l’international (« Portrait : Rachel Mwanza, l’enfant des rues de Kinshasa »).
- La rubrique « faits de société » est la plus composite. Elle regroupe essentiellement des sujets ayant trait à l’éducation, à la santé, aux modes de vie et à leurs évolutions. Nombre de ces sujets, notamment en matière d’éducation et de santé recèlent des questions qui devraient normalement relever de la rubrique « questions économiques et sociales », mais leur approche, souvent très individualisante, ne fait qu’effleurer les aspects renvoyant à des enjeux collectifs et au débat public (« Orientation post-bac : l’heure des choix » ; « Formation professionnelle : le parcours de Céline en restauration »).
II. Le palmarès de l’information…
Quelles que soient leurs limites, que conclure de ces résultats ? Que dénotent-ils de la densité et de la valeur informative du 20h du secteur public ?
- Les faits divers, le sport et les sujets magazine (qui sont aussi à leur manière des faits divers…) ont représenté plus du tiers des JT au cours de ces deux semaines. À elles deux ces rubriques pèsent presque autant que les rubriques « questions économiques et sociales », « politique » et « international » réunies. En ce sens, elles font bien diversion au sens où l’entendait Pierre Bourdieu, c’est-à-dire qu’elles prennent indûment la place de questions et d’enjeux d’intérêt public.
- La parité de durée entre les rubriques « questions économiques et sociales » et « faits de société » illustre encore la pauvreté informative des JT de France 2. Des questions d’intérêt général relatives à la conflictualité et à l’évolution des rapports sociaux, au rôle de la puissance publique, aux grands équilibres macroéconomiques et au fonctionnement de l’appareil productif y ont ainsi la même importance quantitative que des problèmes très limités touchant si ce n’est des individus, du moins des catégories restreintes de la population, leurs modes de vie ou leurs relations avec les institutions… Et encore faut-il noter que nous avons classé dans la rubrique « questions économiques et sociales » un certain nombre de sujets qui auraient tout aussi bien pu figurer sans dépareiller dans la rubrique « magazine » (tels que « Soldes : chaussures en boutique ou sur internet », ou encore « Immersion : quotidien d’un patron de PME » d’une durée de près de six minutes).
- Les « affaires » Dieudonné et Hollande-Gayet-Trierweiler (et leur traitement médiatique), en suscitant de nombreuses réactions politiques, ont largement nourri la rubrique au cours de ces quinze jours. Plus en tout cas que le pacte de responsabilité qui ne donne lieu qu’à… deux sujets ! Ce choix éditorial de privilégier la réorientation de la vie amoureuse du président sur celle de sa politique illustre bien la tonalité générale de la rubrique politique et relativise son importance quantitative : les polémiques, l’anecdotique et la personnalisation prennent systématiquement le pas sur la présentation des organisations collectives, des enjeux de fond qui les mobilisent et des rapports de force qui les opposent.
- Amputée des faits divers et des sujets magazine, la rubrique « international » est ramenée à bien peu de choses. Ainsi maltraitées et donc mal connues du public, les questions internationales demeurent rebutantes pour le téléspectateur, pour l’audimat et donc pour la chefferie éditoriale…
- Enfin, le poids significatif de la rubrique culture (4 % des sujets ; 6 % de la durée totale des JT) est trompeur. Deux entretiens en plateau avec Bernard Pivot et Isabelle Huppert (qui auraient tout aussi bien pu être considérés comme des sujets « magazine », voire publicitaires – les deux invités étant présents pour vendre un produit culturel), d’une durée respective de neuf et douze minutes, représentent les deux tiers de l’ensemble – pour le dire autrement, sans ces deux sujets la culture n’aurait représenté que 2 % des JT.
… et son sens
Il ne s’agit pas ici de dessiner en creux le sommaire d’un JT idéal qui, se résumant aux seules questions économiques et sociales, politiques et internationales, aurait une ligne d’ensemble aussi austère qu’élitiste. Mais avant de se heurter à cet écueil, il semble que le 20 h de France 2 dispose d’une marge d’évolution – et de progression – assez confortable... Le tableau que dépeignent ces quelques chiffres, et que confirme la consultation détaillée des sommaires (que nous vous proposons en pdf ci-dessous), est en effet assez lamentable.
Le JT de la principale chaîne de service public apparaît ainsi avant tout comme un divertissement audiovisuel, juxtaposant chaque soir une vingtaine de sujets dont un inventaire à la Prévert n’épuiserait pas la diversité. Dans un enchaînement effréné où la durée moyenne d’un sujet est de deux minutes, l’accessoire, l’anecdotique, l’émouvant, le sensationnel ou le pittoresque alterne au fil du journal avec ce qui devrait constituer l’essentiel de l’information et finit par l’étouffer. Sur un plan strictement quantitatif d’abord, mais surtout parce qu’il devient impossible de discriminer dans ce fatras hétéroclite les « informations » qui concernent potentiellement tout un chacun, qui ont à voir avec la chose publique, voire la « marche du monde », et les « évènements » qui n’en sont que parce que les médias les jugent dignes de l’être.
C’est bien la hiérarchie de l’information, et donc les choix de la rédaction en chef qui sont ici en cause. Quel peut bien être, par exemple, la logique et l’intelligibilité de la succession sans queue ni tête de sujets qui constituait la seconde partie du 20h du 9 janvier : « États-Unis : une femme enceinte en état de mort cérébrale » 1’30 ; « Cuba : apparition publique de Fidel Castro » 30’’ ; « Attaque terroriste d’In Amenas : témoignage d’une infirmière rescapée » 3’30 ; « Sativex : le cannabis médical » 1’30 ; « Salon des nouvelles technologies de Las Vegas : le sommeil assisté » 2’15 ; « Régimes matrimoniaux : la séparation des biens en augmentation » 2’ ; « Couples : 20 ou 30 ans de différence d’âge » 4’ ; « Découverte : Cordouan, le plus ancien phare de France » 4’ ; « Pierre Lescure devrait succéder à Gilles Jacob à la présidence du Festival de Cannes » 40’’ ; « Spectacle de Dieudonné : en direct de Nantes » 1’ ; « Football : victoire du PSG contre Brest, 5 buts à 2 » 15’’ ?
Et que penser de la valeur informative globale de ce même JT qui avait été ouvert par une salve de sept sujets exclusivement dédiés à l’affaire Dieudonné – on comparera avec intérêt la pudeur exquise dont témoigne la durée du sujet consacré aux tracas judiciaires de Dassault, qui clôt la séquence : « Nantes : le spectacle de Dieudonné annulé » 1’10 ; « Dieudonné à Nantes : ambiance tendue avec les spectateurs » 1’ ; « Affaire Dieudonné : déroulement de la journée » 2’30 ; « Spectacle de Dieudonné : incohérences judiciaires » 1’ ; « Affaire Dieudonné : une victoire pour Manuel Valls ? » 2’30 ; « Affaire Dieudonné : des leçons à tirer de l’interdiction ? » 1’ ; « Dieudonné : son parcours » 2’ ; « Sénat : interrogation sur la levée d’immunité de Serge Dassault » 20’’ ?
Entre les deux séquences, deux sujets sur des thèmes apparemment mineurs, dont le second aura malgré tout les honneurs d’un reportage particulièrement long : « Plan social La Redoute » 10’’ ; « Sécurité sociale : la fin de l’assurance obligatoire ? » 3’30…
Cette évaluation essentiellement chronométrique est, somme toute, très charitable : elle n’entre pas dans le détail du traitement anecdotique de la plupart des « sujets », de l’emphase souvent dérisoire de la présentation de certains d’entre eux (« Immersion », « Grand format », « Dossier de cette édition ») ou des effets de la mise en scène de ce petit théâtre de l’information (et notamment des annonces à suspense des « sujets suivants »). Nous y reviendrons.
Nous avons déjà évoqué les « Cartes postales des États-Unis à destination du JT de France 2 ». Nous pourrions également évoquer le tour des destinations touristiques européennes, destiné à faire rêver les téléspectateurs installés leur canapé, souvent faute de moyens de le quitter. S’informer peut être aussi un moyen de se divertir. Mais divertir surtout peut-il être un moyen d’informer ?
Blaise Magnin