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EN BREF

Cerné par ses fantasmes, Le Point règle leurs comptes aux fonctionnaires

par Blaise Magnin,

Après un portrait imaginaire et apocalyptique de la fonction publique territoriale, l’hebdomadaire enquête à partir des légendes urbaines véhiculées par ses lecteurs…

En février 2014, Le Point publiait, sous le titre (légèrement) provocateur « Combien coûte vraiment un poste de fonctionnaire ? », un article accumulant amalgames, idées reçues, désinformation et conclusions erronées – comme nous l’avions souligné en nous demandant à notre tour : « Combien Le Point coûte-t-il à la nation française ? »

Apparemment satisfait de sa démonstration tordue, l’auteur, Jean Nouailhac, récidivait quelques semaines plus tard, cette fois à propos des fonctionnaires territoriaux, et avec toujours la même logique hémiplégique qui consiste à ignorer (sciemment… ou non) la valeur des services qu’un fonctionnaire rend par son travail, comme les cotisations qu’il paie, et à décréter que les salaires et pensions qui lui sont versés tout au long de sa carrière puis de sa retraite ne représentent qu’un « coût » pour la collectivité…

Voilà ce que cela donne dans ce nouvel opus intitulé « Encore 31 000 fonctionnaires de plus dans la "territoriale". Accablant ! » :

« Un fonctionnaire d’État revient en moyenne à 3,5 millions d’euros pendant les 73 années (incluant ses études supérieures rémunérées, 21 ans de retraite et 10 ans de réversion au profit de son conjoint survivant) durant lesquelles il sera inscrit au budget général. Chez les territoriaux, le salaire net moyen étant plus bas - 1 823 euros au lieu de 2 431 en 2011, derniers chiffres connus - et les charges sociales moins lourdes, on peut estimer le coût total d’un poste à 2,5 millions d’euros. 31 000 multiplié par 2,5 millions égale 77,5 milliards d’euros, ce qui représente une addition phénoménale quand on sait que le gouvernement n’est pas sûr d’arriver à économiser vraiment 50 milliards sur trois ans - 16,7 milliards par an -, et quand on sait que cela ne couvre même pas l’augmentation "mécanique" de la masse salariale annuelle de tous les fonctionnaires, malgré un point d’indice bloqué, laquelle augmentation mécanique est de l’ordre de 20 milliards par an. »

Des élucubrations au doigt mouillé précédées de cette affirmation péremptoire qu’apprécieront tous les précaires de la fonction publique : « Sachant qu’en France les fonctionnaires territoriaux statutaires ont la garantie de l’emploi à vie, de jure, et les fonctionnaires contractuels presque la même chose, de facto, combien vont encore coûter à la France ces 31 000 postes supplémentaires ? »

À la fin de l’article, précédée du sous titre « Sortir de ce cercle vicieux », Jean Nouailhac réinvente la comptabilité et le droit publics et mélange tout : « comptes officiels » et « hors bilan », fonctionnaires et élus, dépenses d’aménagement urbain, d’investissement et salaires. Et comme toute tirade inspirée par une détestation viscérale de tout emploi public qui ne sert pas à surveiller, réprimer ou punir, ce fatras s’achève par une mise en cause des éboueurs marseillais :

« De plus, ces 77,5 milliards d’euros de dépenses nouvelles générées en 2012 dans le millefeuille territorial resteront invisibles pendant longtemps. Ils n’entreront jamais dans les comptes officiels : c’est du "hors bilan", comme on dit dans le privé. On ne verra apparaître que les salaires et les charges supplémentaires, soit tout de même un gros milliard de plus chaque année. Sans compter les dépenses générées par ces nouveaux serviteurs territoriaux, qui ont la gâchette facile. On n’imagine pas ce qu’un maire très dévoué à ses électeurs peut arriver à dépenser pour sa commune ! Créer, par exemple, un service des parcs et jardins municipaux avec des achats somptuaires de végétaux rares . Acheter des camions très sophistiqués et très chers pour les poubelles et le lavage des rues et des trottoirs, ce qui suppose un personnel technique renforcé qui travaille au moins vingt-cinq heures par semaine... Chez les éboueurs de Marseille, c’est moins de trois heures par jour !  »

Ce nouvel article non sourcé et imprégné des fantasmes les plus caricaturaux sur la fonction publique n’a pas seulement permis à Jean Nouailhac de vider son sac, il a aussi stimulé ses lecteurs et suscité leurs commentaires par centaines, dixit Le Point. Et plutôt que de se délecter en privé, avec ses collègues, de leurs anecdotes et de leurs saillies, Jean de Nouailhac a eu la lumineuse idée d’en faire… un article intitulé « 31 000 fonctionnaires de plus dans la "territoriale" : au secours ! ». « Un florilège édifiant », d’après la présentation de l’article, reposant sur huit témoignages relatant des abus présumés de fonctionnaires, qui ont toutes les apparences, soit des légendes urbaines qui foisonnent en la matière, soit d’épiphénomènes ponctuels…

Évidemment, Jean Nouailhac est libre de ses commentaires et libre de penser que les fonctionnaires sont pléthoriques et dispendieux, encore faudrait-il qu’il le prouve autrement que par des raisonnements (très) personnels et des affirmations fantaisistes… Mais peut lui chaut, puisqu’avec ce dernier article, Jean Nouailhac fait coup double : il caresse ses lecteurs dans le sens de leurs préférences et de leurs croyances idéologiques – quitte à prendre quelques libertés avec les faits –, et il innove avec une nouvelle méthode d’enquête qui ne coûte rien et dispense d’effectuer la moindre recherche – quitte à prendre des libertés avec quelques règles élémentaires du métier, comme la vérification des faits… De la belle ouvrage en somme !


Blaise Magnin

 
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